Borgonino (Armando Gabba), Léonore (Michelle Canniccioni), Fiesque (Roberto Alagna), Alain Altinoglu, Verrina (Franck Ferrari), Julie (Béatrice Uria-Monzon), Sacco (Alexandre Swan), Hassan (Jean-Sébastien Bou) et Gianettino (Vladimir Stojanovic) lors de la générale.
Photographies ©Luc Jennepin / Festival de Radio France et de Montpellier
Fiesque a été entrepris le 22 mai 1866 et achevé le 27 octobre 1868 c'est-à-dire au cours d’une des périodes les plus riches de l’histoire de l’opéra, celle qui voit naître et créer sur la scène rien de moins que
Barbe-bleue, La Vie parisienne, La Grande-Duchesse de Gérolstein, La Périchole d’Offenbach,
Mignon et
Hamlet, d’Ambroise Thomas, tête de Turc de Lalo,
Roméo et Juliette de Gounod,
Don Carlos de Verdi,
Dalibor de Smetana,
Mefistofele de Boïto,
Les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner !
Cet opéra marque les débuts de Lalo dans le monde de l’art lyrique, étape obligée du cursus honorum de tout musicien de l’époque. Il est certain que son beau mariage avec l’une de ses élèves, Julie Bernier de Maligny, superbe voix de contralto à qui il destine le rôle de Julie, fut décisif dans cette nouvelle orientation. N’oublions pas que la mère de sa nouvelle épouse est liée avec Mme. Orfila dont le salon recevait tout le gotha du beau chant. Surtout cette Madame de Maligny, dédicataire de l’oeuvre, a su user de l’amitié qui la liait à Gounod pour inciter ce dernier à favoriser la carrière de l’oeuvre de son gendre.
Le concours d’opéra lancé en août 1867 par Camille Doucet, directeur de l’administration des théâtres, est pain béni pour le compositeur. Les dispositions du règlement divergent pour chacun des théâtres concernés. « A l’Opéra, un double concours aurait lieu : le premier pour la composition d’un poème en trois actes ; le second, pour la mise en musique du poème jugé le plus digne d’être représenté sur ce théâtre (‘) A l’Opéra-Comique, un poème en trois actes, spécialement choisi par le directeur, et par conséquent admis d’avance à la représentation, serait offert aux compositeurs pour être mis par eux en musique.
« Au Théâtre-Lyrique, pour ouvrir une plus large carrière à tous les goûts et à toutes les inspirations, chaque compositeur serait libre de choisir à son gré et de se procurer personnellement, comme bon lui semblerait, le poème sur lequel il lui conviendrait de travailler, quels que fussent son genre, sa forme et son étendue ».
Lalo opta pour le Théâtre-Lyrique, et doit donc rendre sa copie avant le 30 octobre 1868.
Sur cent quatre-vingts manuscrits déposés, on compte une douzaine Vercingétorix, une demi-douzaine de Cid, une Conjuration de Fiesque.
Depuis quelques temps, le drame de jeunesse de Schiller intéresse les musiciens. En 1864, Gounod ébauche furtivement un
Fiesque mais renonce vite à ce projet. Vers 1866, au moment même où Lalo se penche sur ce sujet, Charles Lefebvre écrit une ouverture de Fiesque. Lalo et Beauquier, son librettiste, sont surtout séduits par la dimension de drame républicain de l’oeuvre. L’homme de lettres, auteur d’une
Philosophie de la musique, sera, sous la IIIe République, un des députés les plus virulents de la gauche radicale.
Fiesque arrive en troisième position, sur 43, dans le classement final après le
Magnifique de Jules Philippot et
la Coupe et les Lèvres de Gustave Canoby. Lorsque les résultats sont publiés, à la fin de juin 1869, Paul Lacôme dans les colonnes de
l’Art Musical des 8 et 12 juillet 1869 s’élève contre une «faute énorme » le fait qu’on ait introduit dans le jury « le directeur même de la scène où devait être jouée la pièce qui aurait le prix », c’est-à-dire Pasdeloup. Celui-ci est accusé d’avoir perverti le concours en dévoyant son but. Lacôme met en cause la constitution même du jury, « les compositeurs arrivés ayant écarté la corvée en faveur des compositeurs de second ordre, accablés de leçons ». Beauquier, ulcéré, exige dans une lettre ouverte à Camille Doucet publiée par plusieurs journaux l’annulation pure et simple du concours. Lalo prend publiquement un autre parti dans la
Chronique musicale et décide de prendre en charge tout seul le sort de son opéra. Lassé par les atermoiements de Perrin, il place ses espoirs dans l’opéra de Hambourg puis, en raison de la guerre de 1870, sur la Monnaie de Bruxelles, où l’oeuvre est reçue, grâce à l’intervention de Gounod, le 22 février 1871. La distribution de Fiesque est annoncée dans
l’Indépendance belge du 11 février 1872 et les costumes dessinés. Hélas, le changement de direction et les demandes de remaniement de la partition du nouveau directeur Avrillon pousse Lalo à se retirer à la fin d’août 1872
Fiesque ne sera entendu que par fragments, en concert, avec Julie Lalo comme interprète. Des extraits furent donnés à l’étranger notamment en décembre 1877 à Glasgow sous la baguette du premier chef d’orchestre star de l’histoire de la musique Hans von Bülow. Lalo n’ayant pu, avant de mourir, parfaire son l’oeuvre comme il l’aurait voulu, « interdit qu’elle fût, dans l’état où elle est demeurée, donnée sur aucun théâtre ». Son v’u fut respecté et l’on exécuta que des passages instrumentaux comme le 2 octobre 1999, en l'église Sainte Marie Madeleine, à Lille, où l'ensemble Musica à participé à la recréation de l'Ouverture.
René Koering a décidé de passer outre l’interdiction du compositeur et réuni une distribution brillante pour en assurer la création mondiale en version de concert cet été et, lors de la saison 2008, en version scénique. Hélas, l’oeuvre malgré quelques fulgurances et des beautés éparses (le quintette, l’introduction orchestrale du dernier air de Julie, quelques pages orchestrales, les intermezzi, ‘) déçoit même si le livret, dans le dernier acte au moins, possède des qualités de clarté et de concision.
Roberto Alagna dans un rôle-titre qui ne présente guère de difficultés techniques majeures charme par les qualités bien connues de sa voix moins solaire que naguère mais plus charnue et par la clarté absolue de sa diction. Il ne paraît investi que par intermittence, cabotine sans arrêt et se fâche parfois avec la justesse.
Michèle Cannicioni palie à la défection d’Angela Gheorghiu. Cette soprano corse qui a fait ses premières armes dans la région, à 19 ans, au concours d’Alès, peut se targuer d’avoir depuis travaillé avec R. Muti et chanté Mimi à Glyndebourne. Son timbre est agréable sans être exceptionnel, sa diction et son style soignés. Elle excelle dans le registre aigu qu’elle a long et éclatant mais un vibrato déjà accentué pour son âge entache sa ligne de chant.
Frank Ferrari est plus qu’efficace en Verrina, même si son chant manque de raffinement et qu’il a trop tendance à vouloir grossir artificiellement sa voix.
Béatrice Uria-Monzon, superbe à voir dans sa tenue de grande classe, prête de belles couleurs et de la noblesse à Julie mais son français, comme souvent, reste peu intelligible.
Jean-Sébastien Bou, dans le rôle du tragi-comique du tueur à gages, déploie des trésors de style, de musicalité et d’intelligence.
L’excellent Alain Altinoglu dirige cet ouvrage avec précision et avec passion et lui insuffle vie.
PS
Les données historiques de ce texte sont tirées du beau programme de salle signé Hugh MacDonald, d’un article de Jean Gallois publié dans le dernier numéro d’
Opéra Magazine, n° 9, pp. 20-23 et d’un autre texte de J-M Fauquet publié sur internet.