Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

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jeantoulouse
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Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par jeantoulouse » 04 déc. 2018, 22:33

Franz Schubert
Sei mir gegrüßt D 741
Dass sie hier gewesen D 775
Lachen und Weinen D 777
Du bist die Ruh D 776
Greisengesang D 778 (F. Rückert)

Wolfgang Rihm
Tasso-Gedanken - Monolog-Stücke aus, Torquato Tasso - Création française
1 Bist du aus einem Traum erwacht
2 Ganz ruht mein Gemüt auf diesem Werke nun
3 Gedanken ohne Maß und Ordnung
4 Die Träne hat uns die Natur verliehen (J. W. v. Goethe)

Franz Schubert
Abendbilder D 650
Himmelsfunken D 651 (J. P. Silbert)

Pause

Hugo Wolf
Gesänge des Harfners
1 Wer sich der Einsamkeit ergibt
2 An die Türen will ich schleichen
3 Wer nie sein Brot mit Tränen aß (J. W. v. Goethe)

Alban Berg
Vier Gesänge op.2
I Aus „Dem Schmerz sein Recht“ (F. Hebbel)
II Drei Lieder aus „Der Glühende“
1 Schlafend trägt man mich
2 Nun ich der Riesen Stärksten überwand
3 Warm die Lüfte (A. Mombert)

Hugo Wolf

Begegnung
Lied eines Verliebten
Auf ein altes Bild
Auf eine Christblume II
Schlafendes Jesuskind (E. Mörike)
Grenzen der Menschheit (J. W. v. Goethe)

Mini coup de gueule, maxi coup de cœur. Les Toulousains connaissent Christian Gerhaher. Ils ont un souvenir ébloui de son Posa dans le Don Carlo présenté au Capitole en juin 2013. Ils avaient réservé un triomphe à sa prestation bouleversante, à ce chant souverain empreint de dignité et d’humanité. Les mélomanes n’ignorent rien, je suppose, des qualités hors pair de ce récitaliste exceptionnel, l’égal des plus grands. Les mêmes, mélomanes et toulousains (ou régionaux) ont rempli le Capitole pour les cinq représentations de La Ville morte de Korngold (grosso mode 5000 personnes), manifestant une curiosité d’esprit et une empathie avec la mise en scène singulière proposée et une' musique somptueuse mais méconnue… Et combien étions-nous vendredi 30 novembre pour un récital Gerhaher ? Quelque 300 ! Le prix du concert était-il prohibitif ? Le programme rébarbatif ? Schubert, Wolf pour 20 euros ! Prévoyait-on une méforme du baryton ? Nullement, et il fut admirable. Le croyait-on au crépuscule de sa carrière ? Il est à son zénith et son dernier enregistrement de lieder de Schumann le confirme hautement. Où étaient les élèves du Conservatoire tout proche ? les étudiants en musicologie ? Où étaient ceux qui se précipitent aux concerts des Grands Interprètes, véritable institution musicale toulousaine qui remplit sans coup férir peu ou prou la vaste Halle aux Grains ? Je ne comprends pas, je ne comprends pas, je ne comprends pas. Et je suis indigné et attristé.

Les absents ont eu tort, c’est peu de le dire. En effet, avec son complice d’élection, le pianiste Gerold Huber, Christian Gerhaher vient d’offrir un récital qui restera dans les annales de ce théâtre par l’émotion continue née de l’interprétation de lieder interprétés avec une exigence stylistique et un pouvoir d’évocation exceptionnels. Dense, exigeant, cohérent, le programme proposé s'ouvre sur Schubert, se ferme sur Wolf, et inclut Berg et le compositeur Wolfgang Rihm, dont le baryton présente en création française le cycle Tasso-Gedanken. On peut mesurer la qualité d’un récital à la qualité d’écoute, au silence qui accueille la voix, à l’absence totale de toux, de froissements, de soupirs mêmes. Cela porte un très beau nom, la communion où chacun fait corps, fait âme commune avec l’interprète avec sa voix et le rythme de sa respiration, la pulsation de son cœur. On moquera peut-être ce lyrisme désuet. Mais l’expérience vécue ce soir est de cet ordre, esthétique, émotionnel sans doute, mais aussi et surtout spirituel. Je ne puis en détailler tous les moments, car l’admiration et l’émotion font écran à l’analyse. Mais quelques souvenirs émergent. D’abord la fusion, plus encore que la complicité, avec le magnifique pianiste qu’est Gerold Huber, accompagnateur attitré du chanteur depuis des années. L’osmose est parfaite, sans qu’il soit nécessaire d’afficher par des gestes ostentatoires cette entente. Ils respirent au même rythme et assortissent leurs climats avec un ajustement parfait au sens de chaque lied, à son rythme, à son mouvement, à ses émotions. Quelle maîtrise du piano pour traduire la houle à la fin de l’œuvre de Rihm, la noblesse de ton qui ouvre tel lied de Schubert, la gravité du troisième Wolf, la violence dans le dernier Berg, l’espièglerie d’un autre Wolf. De l’interprétation de Gerhaher, il est difficile de distinguer telle ou telle pièce, tant tout se révèle clair, soutenu, élégant et beau, servi par un timbre d'une grande pureté et une voix chatoyante. D’emblée, le fameux Sei mir gegrüßt D 741 sur un poème de Rückert fait entendre un chant passionné et tendre, dont le refrain (Je te salue, je t’embrasse) sait varier l’engagement, l’ardeur, la douce mélancolie, les couleurs. Du bist die Ruh D 776 manifeste l’art du chant le plus accompli : les éclats de la voix sont puissants, lumineux, le legato sert la noblesse du propos, la prononciation des consonnes, loin de toute affectation, prolonge le texte et l’émotion. Et la strophe qui clôt apparait ainsi servie comme une profession de foi : « Du soir au matin et les nuit durant / Je te chanterai jeunesse et mal d’amour ». Ruckert, Schubert, Gerhaher, Huber s’unissent pour parler au cœur de l’auditeur comblé.
La création des Pensées du Tasse (Tasso-Gedanken), monologue musical de Rihm sur un texte de Goethe constitue un autre grand moment. On suit avec passion la grande réflexion que proposent le poète et le musicien. Dans un beau texte d’accompagnement exigeant, Gerhaher rappelle l'affirmation de Holderlin : « Celui qui est infini souffre infiniment ». Le spectateur suit les étapes du chemin de croix intérieur de Le Tasse dont Verlaine disait "Le poète est un fou perdu dans l'aventure". Le monologue s'ouvre, comme fouillé par un scalpel, sur les murmures, les éclats, les chuchotements, acceptant l’éparpillement, disant l’éclatement d’une âme déchirée.Ce sont fragments d'un discours douloureux. Et même si le baryton reste toujours d’une grande sobriété, c’est bien à une action dramatique que nous assistons, portée par une musique à la fois complexe et immédiatement intelligible et par un chant habité comme une confidence. Après la pause, les lieder sur des poèmes de Petrus Silbert de Schubert « nous conduisent vers le bonheur éternel » : Himmelsfunken D 651 relève de la célébration avec un dépouillement, un recueillement, une élévation qui sont l’expression même de la beauté. Dans les Chants du Harpiste de Wolf, on est d’abord séduit par l’espièglerie de la saynète amoureuse, la fraicheur tendre du discours et puis par l’ampleur mystique du Schalendes Jesuskind, grand moment d’émotion qui rapproche de Bach. Les quatre lieder de Berg, fort intelligemment enchainés expriment une souffrance et un désarroi qu’un verbe résume : und ich wanke (et je titube). Il faut entendre comment les pianissimi des derniers mots, délivrés avec quel tact, quelle absence de pathos, quelle intimité font sentir la solitude, la perdition de l’âme. S’il fallait un couronnement à cet ensemble, on le trouverait dans le grandiose lied de Wolf qui clôt le récital sur le poème de Goethe Grenzen der Menschhheit / Limites de l’humanité que sauf erreur Berg et Schubert ont aussi mis en musique. Déployé par la voix de Christian Gerhaher, il vibre d’intelligence et de force spirituelle. Ici encore on touche les sommets. Jamais l’instrument vocal n’accuse la moindre fatigue, la moindre altération. Il ne passe jamais en force, tant la technique est maitrisée, le légato royal, la simplicité offerte comme un manifeste d'intégrité.
Deux bis enchainés sont offerts à un public enthousiaste : Über die Grenzen des All, extrait des Altenberg Lieder d’Alban Berg, lied minimaliste où le pianiste se voit contraint de pincer les cordes de son instrument, et Der Einsame de Schubert, Le Solitaire, thème commun de ce récital aux tonalités douloureuses qui se conclut cependant sur l’acceptation de la condition humaine. Le mot s’impose in fine comme une évidence : c’est l’humble humanité des deux interprètes que consacre ce soir l’accomplissement de leur art.

Jean Jordy

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Re: Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par Markossipovitch » 05 déc. 2018, 14:08

Merci Jean pour ce CR.
Si Toulouse n'était pas si loin de chez moi, je n'aurais pas manqué un tel événement.
Merci à Christophe Ghristi qui offre aux Toulousains de telles merveilles, et honte à eux de ne pas faire fête à Gerhaher!

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Re: Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par JdeB » 05 déc. 2018, 14:46

José Van Dam m'a raconté qu'une de ses plus illustres collègues, beaucoup plus célèbre que Gerhaler, voulait donner un récital Wolf au Capitole. Une seule place fut vendue, on n'osa bien évidemment pas le lui dire, on invoqua des "problèmes techniques" pour annuler le récital, on lui paya malgré tout son cachet et voilà.
Donc si vous étiez 300 c'est un énorme progrès !

300 c'est aussi le nombre de billets vendus pour le premier récital de JK au Grand Théâtre de Bordeaux en 2007.
C'est 2 fois plus que le nombre de spectateurs réunis à Nîmes pour un récital de June Anderson à son zénith (1994)

Bon bref, il y a toujours eu une grande réticence du public méridional pour les récitals avec piano, quelque soit le niveau des interprètes, a fortiori vis à vis des liederabende.
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par JdeB » 05 déc. 2018, 14:58

Je reviens sur le Rihm. Il s'agit d'extraits de la pièce Torquato Tasso de Goethe ?

On ne dit pas "de Le Tasse" mais "du Tasse" c'est ainsi qu'on désigne en français Torquato Tasso, le grand poète italien dont la grande épopée sur la première croisade, La Jérusalem délivrée (1580), a été si souvent adaptée à l'opéra (Armide, Renaud, Clorinde, Tancrède)
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par Piero1809 » 05 déc. 2018, 15:47

Merci pour ce compte rendu très intéressant.

Les récitals ont du mal à faire recette, y compris à l'Opéra National du Rhin qui bénéficie pourtant d'un large public potentiel de mélomanes.
Ce ne fut pas le cas de Christian Gerhaher lors de son récital à Strasbourg avec au programme Winterreise

La conclusion de mon CR:
La salle était comble et le public, souvent réservé dans les récitals, fit une ovation enthousiaste aux artistes. Il n'y a pas eu de bis mais que pouvait-on chanter après Der Leiermann !

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Re: Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par JdeB » 05 déc. 2018, 15:51

oui, c'est bien pour cela que j'ai parlé du public méridional, bien spécifique sur ce point.
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par jeantoulouse » 05 déc. 2018, 17:40

J de B écrit :
Je reviens sur le Rihm. Il s'agit d'extraits de la pièce Torquato Tasso de Goethe ?
Il s'agit bien de Torquato Tasso, l’œuvre de Goethe. Wolfgang Rihm (né en 1952) a composé pour ses Pensées du Tasse une sorte de collage de quatre monologues du poète : acte V, scène 1, acte V scène 2, acte II scène 1, acte V scène 5. Voici la traduction (jointe au programme de salle) de quatre extraits de ces fragments :
1. "est-ce / Un sommeil qui t'a dompté, et pèse / Avec de lourdes chaines sur ton âme angoissée? "
2. "Si je ne puis méditer ou composer des vers, / La vie n'est plus pour moi la vie. / Essaie de défendre au ver à soie de filer / Lorsque son fil le mène à la mort".
3. "plus que jamais /Je me sens double, (...) avec moi-même / Je me débats à nouveau dans une lutte confuse"/
4. La Nature nous a donné les larmes/ Le cri de douleur quand à la fin l'homme / Est à bout de force. Et à moi, don suprême, / Elle m'a laissé dans la douleur la mélodie et la parole / Pour pleurer ma détresse profonde et entière".

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Re: Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par Renard » 05 déc. 2018, 22:34

JdeB a écrit :
05 déc. 2018, 14:46
José Van Dam m'a raconté qu'une de ses plus illustres collègues, beaucoup plus célèbre que Gerhaler, voulait donner un récital Wolf au Capitole. Une seule place fut vendue, on n'osa bien évidemment pas le lui dire, on invoqua des "problèmes techniques" pour annuler le récital, on lui paya malgré tout son cachet et voilà.
Donc si vous étiez 300 c'est un énorme progrès !

300 c'est aussi le nombre de billets vendus pour le premier récital de JK au Grand Théâtre de Bordeaux en 2007.
C'est 2 fois plus que le nombre de spectateurs réunis à Nîmes pour un récital de June Anderson à son zénith (1994)

Bon bref, il y a toujours eu une grande réticence du public méridional pour les récitals avec piano, quelque soit le niveau des interprètes, a fortiori vis à vis des liederabende.
Il aurait dû faire un Midi du Capitole, où il y a toujours au moins 800 dans la salle…

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Re: Récital Christian Gerhaher-Gerold Huber - Capitole, Toulouse - 30/11/2018

Message par JdeB » 06 déc. 2018, 09:19

jeantoulouse a écrit :
05 déc. 2018, 17:40
J de B écrit :
Je reviens sur le Rihm. Il s'agit d'extraits de la pièce Torquato Tasso de Goethe ?
Il s'agit bien de Torquato Tasso, l’œuvre de Goethe. Wolfgang Rihm (né en 1952) a composé pour ses Pensées du Tasse une sorte de collage de quatre monologues du poète : acte V, scène 1, acte V scène 2, acte II scène 1, acte V scène 5. Voici la traduction (jointe au programme de salle) de quatre extraits de ces fragments :
1. "est-ce / Un sommeil qui t'a dompté, et pèse / Avec de lourdes chaines sur ton âme angoissée? "
2. "Si je ne puis méditer ou composer des vers, / La vie n'est plus pour moi la vie. / Essaie de défendre au ver à soie de filer / Lorsque son fil le mène à la mort".
3. "plus que jamais /Je me sens double, (...) avec moi-même / Je me débats à nouveau dans une lutte confuse"/
4. La Nature nous a donné les larmes/ Le cri de douleur quand à la fin l'homme / Et à bout de force. ET à moi, don suprême, / Elle m'a laissé dans la douleur la mélodie et la parole / Pour pleurer ma détresse profonde et entière".
Merci beaucoup Jean
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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