Ci joint l'article finalisé.
Dans la suite de l'article sur le
Le répertoire de l’Opéra de Paris de l’inauguration du Palais Garnier (1875) à nos jours
http://www.odb-opera.com/viewtopic.php? ... rnier+1875, le présent article rend compte du répertoire de l'Opéra de Paris (qui fut dénommé successivement, Académie Royale de Musique, Théâtre de l'Opéra, Théâtre de la Nation, Théâtre Impérial de l'Opéra, Théâtre National de l'Opéra) depuis l'ouverture de la salle Le Peletier en 1821 à l'ouverture de Garnier en 1875.
La salle Le Peletier
Il permet en un coup d’œil de comparer les œuvres les plus jouées du répertoire à cette époque, et de voir l'évolution à partir de l'ouverture de Garnier.
Ces données sont à prendre dans un premier temps avec précaution car la source (Chronopera) ne permet pas facilement de distinguer les ouvrages joués partiellement (un ou deux actes par exemple), des ouvrages joués intégralement. Les chiffres sont donc très approximatifs (par exemple, on sait que
Louis Véron a donné 60 représentations tronquées de
Guillaume Tell dont il doutait des valeurs théâtrales).
L’opéra de 1821 à 1874 sous la Restauration et le Second Empire
Avec l’ouverture de la salle Le Peletier le 19 août 1821, construite en 12 mois après la fermeture de la salle Richelieu témoin de l’assassinat du
Duc de Berry, en plein cœur de la Restauration, l’Académie Royale de Musique s’apprête à vivre une révolution esthétique et dramaturgique qui va en faire le reflet des mentalités de la société bourgeoise triomphante à l’aube de la monarchie de juillet.
La poursuite de la tradition classique (Spontini, Gluck, Sacchini, Grétry)
Dans les mois qui suivent cette inauguration,
Aladin et la Lampe merveilleuse, opéra-féérie en cinq actes de
Nicolas Isouard, joué seulement après sa mort, est la première création de la nouvelle salle et le premier spectacle représenté sous les lumières du gaz.
Toutefois, lors des premières années d’exploitation, sous la tutelle du Ministre de la Maison du Roi, la programmation de la salle prolonge pour un temps le mouvement de renouvellement esthétique de l’Opéra de Paris dont
Gaspare Spontini est l’artisan depuis la création de
La Vestale en 1807, et de
Fernand Cortez en 1809, œuvres qui, avec leur orchestration somptueuse et leurs décors monumentaux, annoncent le grand opéra français.
La tradition classique est maintenue avec les ouvrages parisiens de
Gluck, et si
Iphigénie en Tauride et
Iphigénie en Aulide sont abandonnés au cours des deux premières années,
Armide*, et surtout
Alceste et
Orphée et Eurydice, restent à l’affiche plus longtemps. On retrouve également l'
Œdipe à Colone d'
Antonio Sacchini qui poursuit sa brillante carrière jusqu’en 1844 avec 50 représentations.
* Armide reste l’œuvre tirée de la Jérusalem délivrée la plus représentée à l'Opéra : voir " La carrière de six ouvrages lyriques tirés de la Jérusalem délivrée à l'Opéra de Paris (1686-1913) : Lully, Campra, Desmarets, Gluck, Sacchini et Persuis », Le Répertoire de l’Opéra de Paris (1671-2009). Analyse & interprétation. Actes du colloque de l’Opéra Bastille, Paris, Honoré Champion, 2011.
Quant à
André Grétry, compositeur qui vivait à Paris dès 1767, et toujours compositeur phare du Premier Empire, il se maintient pendant 8 ans avec son grand succès
La Caravane du Caire joué 50 fois jusqu’en 1829, et il en va de même pour
le Rossignol de
Louis-Sébastien Lebrun, qui reste à l’affiche jusqu’en 1831 avec près de 100 représentations.
L’avènement de l’opéra historique (Rossini, Auber, Scribe)
Mais depuis que
Spontini a quitté la capitale en 1820 suite à l’échec d’
Olympie, le paysage musical parisien est en pleine mutation.
Gioacchino Rossini arrive à Paris en 1823 pour diriger le Théâtre des Italiens installé au Théâtre Louvois, puis à la première salle Favart.
Ce n’est pas un inconnu puisque 12 de ses opéras y ont déjà été joués. Il réussit à créer à la salle Le Peletier, en 1826 et 1827,
Le Siège de Corinthe et
Moïse et Pharaon, adaptations françaises respectives de
Maometto II et
Mosè in Egitto. Il s’impose alors comme un précurseur de l’opéra historique. Les deux ouvrages totaliseront à eux-deux plus de 250 représentations.
Et l’année 1823 est véritablement celle des rencontres parisiennes déterminantes, car l’élève de
Cherubini,
Daniel-François-Esprit Auber, s’associe au librettiste
Eugène Scribe pour créer des ouvrages à l’Opéra-Comique, mais également pour tenter de séduire le public bourgeois avide de pièces historiques.
La Muette de Portici, créée à Le Peletier en 1828, devient leur plus grand succès commun à l’Opéra avec près de 450 représentations en 50 ans.
Dans la foulée,
Rossini crée la même année à l’Opéra
le Comte Ory, son dernier opéra-comique et grand succès de la salle Le Peletier, en collaboration avec
Eugène Scribe, puis en 1829 son chef-d’œuvre,
Guillaume Tell, qui totalisera à l’instar de
La Muette plus de 450 représentations.
La Muette de Portici et
Guillaume Tell vont devenir les deux pierres angulaires du genre du grand opéra français, genre caractérisé par une veine historique déployée sur 4 à 5 actes, des lignes mélodiques écrites pour le goût français, et un grand ballet central.
Parallèlement à ces succès,
Giacomo Meyerbeer, compositeur berlinois, arrive à Paris en 1825 pour superviser les répétitions d’
Il crociato in Egitto au Théâtre des Italiens. Le succès est tel qu’il décide de s’installer définitivement dans la capitale, et se met à la recherche de librettistes.
Dès 1827, il annonce qu’il débute sa collaboration avec
Eugène Scribe et
Germain Delavigne pour composer
Robert Le Diable.
L’âge d’or du grand opéra français (Meyerbeer, Auber, Halevy, Donizetti, Scribe)
Survient la révolution de juillet 1830 qui porte au pouvoir
Louis-Philippe Ier.
Sous la monarchie de juillet, le 01 mars 1831, le gouvernement nomme à la tête de l’Opéra, nouvellement baptisé Théâtre de l’Opéra, un directeur-entrepreneur,
Louis-Désiré Véron.
Il va s’agir pour lui de répondre aux attentes de la bourgeoisie parisienne tout en gérant l’institution comme une entreprise commerciale.
On peut lire en effet dans ses mémoires, au moment où il dut se décider à diriger l’Opéra, les propos suivants :
« la révolution de Juillet est le triomphe de la bourgeoisie : cette bourgeoisie victorieuse tiendra à trôner, à s’amuser ; l’Opéra deviendra son Versailles, elle y accourra en foule prendre la place des grands seigneurs de la cour exilés.»
Robert le Diable de
Meyerbeer, joué sans interruption de 1831 à 1860, devient le plus grand succès de l’histoire de la salle Le Peletier, et
les Huguenots, créés en 1836, seront le deuxième grand succès de l’institution de toute son histoire après le
Faust de
Charles Gounod (1869), puisqu'ils totaliseront plus de 1000 représentations avant l’entrée dans la Seconde Guerre mondiale.
Le Prophète (1849) et
L'Africaine (1865) sont également dans les 10 premiers au cours de cette période.
Préalablement au succès des superproductions de
Giacomo Meyerbeer, 5 autres ouvrages de
Daniel-François-Esprit Auber font partie des réussites de l’Opéra avec
La Muette :
Le Philtre (1831) – ouvrage basé sur le même livret que l’
Elixir d’Amour de
Donizetti créé l’année d’après à La Scala -,
Le Dieu et la Bayadère (1830),
Le Serment ou les Faux-monnayeurs (1832),
Gustave III ou le Bal masqué (1833),
L'Enfant prodigue (1850). Et avec 28 représentations,
Le lac des Fées (1839) se situe tout juste dans les 50 premiers titres de la salle.
En 1833,
Louis-Désiré Véron passe ensuite commande à
Fromental Halévy, ancien chef de chant aux Italiens devenu chef de chant à l’Opéra depuis 1829, d’un opéra en cinq actes sur un livret de
Scribe.
Ce sera
La Juive (1835), un portrait de l’intolérance religieuse aussi puissant que celui des
Huguenots programmé l’année suivante.
La Juive atteint les 550 représentations à la fin du XIXe siècle.
Halévy n’en reste pas à un tel triomphe, et 5 autres ouvrages,
Guido et Ginevra ou la peste de Florence (1838),
La Reine de Chypre (1841),
Charles VI (1843),
Le Juif errant (1852),
La Magicienne (1858) vont faire partie des 40 grands succès de la salle Le Peletier.
Cependant, si
Scribe est l’auteur de tous les livrets des succès de
Meyerbeer et
Auber, seuls
La Juive,
Guido et Ginevra et
Le Juif errant sont de lui.
Véron disait d’ailleurs de lui :
"Je ne crains pas de le dire ici, M. Scribe est de tous les auteurs dramatiques celui qui comprend le mieux l'opéra."
Eugène Scribe est enfin l’auteur des livrets des deux grands opéras de
Donizetti,
La Favorite (1840) et
Dom Sébastien, roi du Portugal (1843), et, au total, plus de la moitié des représentations d’opéras entre 1821 et 1873, et même
8 des 10 œuvres les plus jouées, permettent d'entendre ses vers, ce qui en fait une figure centrale du théâtre lyrique au XIXe siècle.
Même si
Véron ne reste directeur que jusqu’en 1835, le fait qu’il mise sur
Auber,
Rossini,
Meyerbeer,
Halevy et
Scribe, conditionne fortement la programmation que ses successeurs,
Duponchel,
Pillet et
Roqueplan, vont prolonger jusqu’à la crise de 1854 – crise qui sera fatale à la carrière de
La Nonne Sanglante de
Charles Gounod, et qui va aboutir à une reprise en main du Théâtre Impérial par le gouvernement du second Empire -.
Les autres compositeurs de grands opéras français (Niedermeyer, Marliani, David, Poniatowski, Mermet, Verdi, Thomas)
D’autres compositeurs,
Niedermeyer avec
Stradella (1837),
Marliani avec
La Xacarilla (1839),
David avec
Herculanum (1859),
Poniatowski avec
Pierre de Médicis (1860),
Mermet avec
Roland de Roncevaux (1864), apportent leur pierre au grand opéra français, et obtiennent pour un temps la reconnaissance du public parisien.
Giuseppe Verdi arrive même par quatre fois, avec
Jérusalem (1847) – adaptation française d’
I Lombardi alla prima crociata -,
Les Vêpres siciliennes (1855),
Le Trouvère (1857) – adaptation française d’
Il Trovatore -, et
Don Carlos (1867), à se faire reconnaitre dans le genre du grand opéra. Les deux premiers livrets sont de
Scribe, mais seul
Le Trouvère va dépasser les 200 représentations.
Enfin,
Ambroise Thomas crée en 1868
Hamlet, un grand opéra dont la carrière va se prolonger jusqu’à l’approche de la Seconde Guerre mondiale pour plus de 350 représentations.
L’introduction du romantisme (Mozart, Donizetti, Weber, Gounod)
Afin de ne pas totalement décrocher du développement de l’opéra romantique italien et allemand qui gagne tous les théâtres concurrents, des ouvrages déjà anciens sont créés et adaptés aux goûts du public de la salle Le Peletier.
Don Giovanni, opéra de
Mozart charnière avec l'époque romantique, fait son entrée le 10 mars 1834 dans l’adaptation française de
Castil-Blaze,
Don Juan, en version 5 actes, et
Lucie de Lammermoor de
Donizetti s’impose dès le 20 février 1846 pour plus de 240 représentations.
Après l’échec de
Benvenuto Cellini en septembre 1838,
Hector Berlioz obtient commande en 1841 pour monter en version française le
Freischütz de
Weber. Avec plus de 100 représentations, cet opéra se maintient au répertoire jusqu’à l’entre-deux guerres.
En revanche, l’échec retentissant de
Tannhaüser en 1861 n’est que partie remise pour
Richard Wagner, qui, trente ans plus tard, fera un retour triomphal au Palais Garnier avec
Lohengrin.
L’appropriation du
Faust de
Charles Gounod créé au Théâtre Lyrique, et réarrangé pour sa création à la salle Le Peletier le 03 mars 1869, va devenir par la suite le plus grand succès de toute l’histoire de l’Opéra de Paris avec plus de 2500 représentations au début des années 2000.
Plans et vues de la salle Le Peletier
La Concurrence des salles parisiennes
La programmation à la salle Le Peletier du genre dit 'noble' ne doit pas faire oublier le grand courant créatif qui s'empare des scènes concurrentes au même moment.
A
L'Opéra Comique (Théâtre Feydeau) sont créées des œuvres de
François-Adrien Boieldieu (La Dame Blanche),
Le pré aux Clercs d'
Herold,
Le Chalet et
Le Postillon de Lonjumeau d’
Adolphe Adam, et
Le Cheval de bronze et le
Domino noir d’
Auber.
Et c'est à la salle Favart II, louée pour l'occasion, que
Berlioz crée
La Damnation de Faust le 06 décembre 1846. L’œuvre est reprise le 20 décembre, mais le manque de public entraîne la ruine du compositeur.
Giacomo Meyerbeer présente également deux opéras comiques dans cette salle,
L’Étoile du Nord (1854), à nouveau sur un livret
de Scribe , et
Le Pardon de Ploërmel (Dinorah) en
1859.
Au
Théâtre des Italiens,
Rossini monte le 19 juin 1825,
Il Viaggio a Reims, et les premières parisiennes de
Il barbiere di Siviglia (26 Octobre 1819),
Otello (5 Juin 1821), et
Tancredi (23 Avril 1822) y sont données également.
C'est dans ce théâtre, dorénavant installé salle Favart, que
Bellini crée
Les Puritains, le 25 janvier 1835, qui devient un immense succès populaire.
Stabat Mater, de
Rossini, est créé en 1842 à la salle ventadour, et les œuvres populaires de
Donizetti (
Don Pasquale) et
Verdi y sont régulièrement jouées - 3 ans après le scandale de sa création,
La Traviata est montée aux Italiens, en 1856 -.
Enfin, depuis 1851,
Le Théâtre Lyrique crée
Si j’étais Roi d’
Adolphe Adam (1852),
Le Médecin Malgré lui (1858),
Faust (1859) et
Philémon et Baucis (1860) de
Gounod .
Léon Carvalho, le directeur du théâtre depuis 1856, fait jouer les œuvres de
Weber,
Les Noces de Figaro et
L’enlèvement au sérail de
Mozart,
Orphée de
Gluck,
Fidelio de
Beethoven, tous en version française.
Puis on y entend des opéras italiens en version française,
La Traviata,
Rigoletto,
Norma, et la version parisienne du
Macbeth (1865) de
Giuseppe Verdi.
C’est au cours de cette période faste que
Les Pêcheurs de perles et
La Jolie fille de Perth (
Bizet),
Les Troyens à Carthage (
Berlioz),
Mireille et
Roméo et Juliette (
Gounod) sont joués pour la première fois.
Enfin, la première française de
Rienzi de
Richard Wagner (1869) devient la production la plus importante des dernières années du
Théâtre Lyrique.
Mais
les Italiens ferment en 1871 à cause de cette concurrence, et la salle du
Théâtre Lyrique est détruite la même année lors des combats de La Commune, deux ans avant que la salle Le Peletier ne soit emportée à son tour, dans la nuit du 29 octobre 1873, par un incendie qui va durer plus d’une journée.
La fin subite de ces théâtres survient ainsi à la fin d'une décade qui aura vu la disparition de tous les compositeurs et figures légendaires du Grand Opéra :
Scribe en 1861,
Halévy en 1862,
Meyerbeer en 1864,
Véron en 1867,
Rossini en 1868,
Berlioz en 1869,
Auber en 1871.
Après un bref passage à la salle Ventadour, l’Opéra peut s’installer en janvier 1875 au Palais Garnier, monument initié sous le Second Empire, mais exploité au cours de la Troisième République.
L'incendie de la salle Le Peletier le 29 octobre 1873