Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Toulouse - 06/2017

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Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Toulouse - 06/2017

Message par jeantoulouse » 21 juin 2017, 10:32

Le Prophète Giacomo Meyerbeer (1791-1864)
Opéra en cinq actes sur un livret d'Eugène Scribe créé le 16 avril 1849

Nouvelle production
Claus Peter Flor direction musicale
Stefano Vizioli mise en scène
Alessandro Ciammarughi décors et costumes
Guido Petzold lumières
Pierluigi Vanelli mouvement chorégraphique

John Osborn Jean de Leyde
Kate Aldrich Fidès
Sofia Fomina Berthe
Mikeldi Atxalandabaso Jonas
Thomas Dear Mathisen
Dimitry Ivashchenko Zacharie
Leonardo Estévez Le Comte d'Oberthal

Orchestre national du Capitole
Chœur et Maîtrise du Capitole Alfonso Caiani direction

L’événement au moins toulousain de la saison. Sauf erreur, l’opéra de Meyerbeer (créé le 16 avril 1849) n’a pas été joué à l’Opéra de Paris depuis 1912 (573° représentation) et en France depuis… des décennies ! Ce sont les grandes figures de Marylin Horne en Fidès d’une part et d’autre part de Placido Domingo dans le rôle-titre qui ont convaincu de grandes maisons étrangères de reprogrammer Le Prophète, dont le Straastoper de Vienne en mai 1998 avec Domingo et Agnès Baltsa. L’avant-dernière production de l’ouvrage semble avoir été celle donnée à Karlsruhe en 2015 dans une mise en scène largement saluée de Tobias Kratzer. La dernière est toute récente : en avril dernier, l’ Aalto-Musiktheater d’Essen proposait l’opéra de Meyerbeer avec John Osborn en Jean de Leyde, Marianne Cornetti en Fidès et Lynette Tapia (épouse de John Osborn) dans le rôle de Berthe, sur une mise en scène de Vincent Boussard. On annonce par ailleurs à Berlin un Prophète (décembre 2017) avec Dmitry Korchak et la française Clémentine Margaine.

Que le Capitole se lance dans l’entreprise de monter un opéra de cette ampleur (3h40 annoncées avec entractes et donc avec coupures, dont une partie du ballet), imposant grand orchestre et chœurs impressionnants est déjà en soi un beau défi. Le rôle du héros, difficile ô combien ! à la fois par son ambitus et par sa longueur échoit au ténor John Osborn, dont on connait la conduite accomplie de la ligne vocale, la rigueur de la prononciation, et la brillance des aigus. Kate Aldrich, qui ici même était Léonor dans La Favorite, hérite du personnage maternel de Fidès, créé par Pauline Viardot. L’Orchestre du Capitole déploiera la richesse colorée et la dynamique dont on le sait capable sous la baguette rigoureuse de Claus Peter Flor dans une partition plus complexe qu’on ne le dit et à coup sûr spectaculaire. Et on fait toute confiance à Alfonso Caïani pour avoir préparé ses chœurs enthousiastes aux nombreux et exigeants ensembles qui émaillent la partition. La mise en scène a été confiée à Stefano Vizioli auquel on doit dans les murs du Capitole un I due Foscari remarqué. Se laissera-t-il aller aux facilités ( ?) d’une adaptation –actualisation ou cherchera-t-il à retrouver les fastes anciens du grand opéra ? La photo de la maquette jointe donne un aperçu des choix esthétiques du dramaturge.

Le public contemporain pourrait souscrire aux propos de Berlioz par ailleurs plus nuancé sur l’œuvre du compositeur : « M. Meyerbeer, le plus heureux des compositeurs dans cette vallée de larmes […] L’auteur du Prophète a non seulement le bonheur d’avoir du talent, mais aussi le talent d’avoir du bonheur. Il réussit dans les petites choses comme dans les grandes, dans ses inspirations et dans ses combinaisons savantes, comme dans ses distractions. » (Berlioz, Les Soirées de l’orchestre, 5ème soirée) ?

On lira avec intérêt l’article très nourri de Wikipédia sur l’opéra de Meyerbeer
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Proph% ... op%C3%A9ra

et pour en savoir bien plus encore le tout récent numéro de l’Avant-scène Opéra consacré au chef d’œuvre de Meyerbeer.
Et si l’on souhaite une vision plus littéraire des faits historiques qui ont inspiré le librettiste et le compositeur – le « règne » du faux prophète Jan Bockelson/ Hans Bockhold dit Jean de Leydel, du nom de sa ville natale (Leyde, 1509 – Munster, 1536) - on relira les chapitres que Marguerite Yourcenar consacre à cet épisode dans L’Œuvre au Noir.

Compte rendu après la première du 23 juin.

Maquette de décor par Alessandro Ciammarughi

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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Capitole Toulouse Juin 2017

Message par MariaStuarda » 21 juin 2017, 14:30

On attend ton retour avec impatience !

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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Capitole Toulouse Juin 2017

Message par jeantoulouse » 21 juin 2017, 19:36

Après la générale de cet après midi qui a remporté à juste titre un vif succès, une question s'impose. Comment justifier le purgatoire du Prophète ? Qu'est-ce qui explique que ce "grand opéra" , mais pas plus imposant que bien d'autres, n'ait plus été représenté en France depuis plus d'un siècle ? La faute (seulement) à Wagner ?
La production du Capitole est la preuve de la vitalité et de la qualité de cet opéra dont les atouts dramatiques et musicaux se sont avérés nombreux aujourd'hui.

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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Capitole Toulouse Juin 2017

Message par operakohler » 21 juin 2017, 19:56

Je te souhaite une belle représentation.
J'éprouve un peu de jalousie car j'avais prévu d'y aller mais mon travail actuel a tout emporté. Personnellement je n'ai vaiment beaucoup aimé les opéras de meyerbeer qu'après les avoir vus sur scène (Robert le diable, Dinorah, l'Africaine et les Huguenots). Le prophète à Toulouse, c'est vraiment une très belle surprise et c'était une occasion en or. Pouvu qu'un autre théâtre en France reprenne l'idée.
J'espère un grand succès pour John Osborn. je l'ai toujours trouvé très bien quand je l'ai entendu sur scène. Meyerbeer et le Prophète, c'est un beau défi pour lui.

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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Capitole Toulouse Juin 2017

Message par PlacidoCarrerotti » 21 juin 2017, 20:00

operakohler a écrit :
21 juin 2017, 19:56
J'espère un grand succès pour John Osborn. je l'ai toujours trouvé très bien quand je l'ai entendu sur scène. Meyerbeer et le Prophète, c'est un beau défi pour lui.
Défi largement relevé à Essen ;-) . CD à suivre :D
"Venez armé, l'endroit est désert" (GB Shaw envoyant une invitation pour l'une de ses pièces).

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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Toulouse- 06/ 2017

Message par marcelin duclos » 23 juin 2017, 16:16

Si j'en crois " la Depeche du midi" édition de Toulouse, le Prophete n'a pas été representé à Toulouse depuis 1935 ...Qui aurait des infos sur la distribution de l'époque????

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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Toulouse- 06/ 2017

Message par jeantoulouse » 24 juin 2017, 10:41

Compte rendu de la Première (vendredi 23 juin 2017)

En bref. La découverte scénique d’un grand opéra, bien construit, musicalement varié, très efficace. Une réalisation aboutie (à quelques détails près), fuyant le piège d’une actualisation réductrice, assumant avec simplicité et la dose d’humour qui sied une narration fluide, respectant les didascalies et le caractère historique de l’œuvre. Deux actes III et IV stylistiquement remarquables. Une fin plus plate ou d’une ironie trop confuse. Orchestre somptueux sous la direction plus poétique et lyrique que « pompier » de Claus Peter Flor. Chœurs superlatifs, à faire frissonner. John Osborn, l’élégance, la distinction, l’intelligence, les infinies nuances, la conduite de la ligne, l’articulation, la sûreté des aigus. Kate Aldrich : beauté du timbre, profondeur des graves, virtuosité, engagement dramatique, pour moi la révélation de la soirée( bien que j’aie entendu sa Carmen et sa Favorite). Sofia Fomina, une Berthe à la voix à la fois aérienne et pulpeuse. Une distribution très homogène pour un spectacle marquant que d’autres maisons d’opéra devraient « emprunter ». Une résurrection à saluer. Aux entractes, des réactions oscillant entre distance polie et enthousiasme ému. Au final, un très très gros succès.

Comment accommoder Meyerbeer aujourd’hui ? Faut-il le laisser dans son jus ou l’accompagner à la nouvelle sauce, avec force vidéos des guerres de religion contemporaines, d’atrocités commises ici et là au nom d’une idéologie, les tenues militaires du jour et les incontournables kalachnikovs ? Stefano Vizioli a clairement choisi la première option, et au vu du résultat, il a bien fait. On découvre l’opéra de Meyerbeer et on en apprécie non pas la modernité – chacun est capable de faire ses transferts et actualisations personnels -, mais simplement la puissance d’évocation et la force dramatique. A deux ou trois éléments près, nous y reviendrons, Le Prophète révèle la force et somme toute la clarté de son livret, la richesse de sa palette orchestrale, l’efficacité de sa musique pleine de contrastes, la fluidité de son déroulement dramatique, la variété de ses climats ou registres, tant psychologiques que musicaux. Bref, on ne s’ennuie pas une seconde pendant ces quasi quatre heures de spectacle (deux entractes compris) et grâce à une interprétation vocale et orchestrale homogène et d’un très haut niveau, se révèle un opéra dont l’enregistrement seul – fût-il avec Marilyn Horne et Renata Scotto – apparaissait plus lourd.

Usurpation, mensonge, lucre, despotisme, mépris du peuple, dogmatisme, fanatisme, violences, manipulations des esprits, emprisonnements arbitraires, reniements, trahisons, tentatives de meurtre, vengeance, punition… ce n’est qu’un aperçu des abominations que le livret du Prophète met en œuvre. Les rapports entre les humains s’avèrent marqués par la violence et le mensonge. « Le Prophète ne nourrit nulle propension à l’optimisme : les seigneurs y sont des sadiques concupiscents, le peuple une masse noire aisément manipulée, et ses « libérateurs, des cyniques assoiffés de pouvoir, prêts à toutes les trahisons ». (Piotr Kaminski, Mille et un opéras. p. 955). Comme le proclame Jean dans la scène finale, « Tous coupables et tous punis! ». Ce pourrait être la morale de ce drame noir qu’éclairent seulement les deux figures féminines, aisément exaltées toutefois. Quant à Jean de Leyde, il apparait faible, soumis aux forces qui l’emportent, brûlant certes de venger son amour, mais prêt pour cela à tous les reniements et à tout consentement aux horreurs commises en son nom, même si un sursaut tardif le laisse lassé et enclin à abandonner son rôle. Malgré la gravité du sujet et tous les ressorts dramatiques mis en œuvre, l’opéra de Meyerbeer n’émeut guère. Il peut impressionner (messe du couronnement, incendie final, masses chorales), irriter (que de vers de mirlitons et de proclamations héroïco mystiques sans souffle, que de pathos suranné ! ), prêter même à sourire, volontairement (trio du III) ou pas (Berthe décidée à tout faire sauter). Il peut même emporter l’adhésion par l’ardeur, la vigueur de certains épisodes (le final des actes en général, la rébellion, le reniement). Mais il ne sait pas toucher, il ne parvient pas à m’émouvoir. « Grand opéra », dont se souviendront Wagner, Gounod, Verdi (la scène de l’autodafé dans Don Carlo est directement puisée à la source du Prophète), il emprunte dramaturgiquement aux règles édictées par le drame romantique, mêlant tragédie politique et tension psychologique, grande Histoire et sphère intime, sublime et grotesque, souffle épique et épisodes prosaïques, images du peuple et hautes (tristes) figures, combats guerriers et scènes bucoliques, problèmes philosophiques ( l’Homme et l’Histoire, le Pouvoir, l’amour, l’engagement, la Foi, le Mal…) et charme esthétique plus modeste (le Ballet des Patineurs). Spectacle total, il cherche avant tout à séduire et à impressionner. C’est assez dire qu’il est compliqué pour un metteur en scène de tenir tous ces éléments dans une conception cohérente, qui ait à la fois du souffle et de la distance, voire un semblant d’humour… Vizioli relève le défi, avec une simplicité d’approche, une modestie qui allie inventivité et rigueur.

L’acte I s’ouvre sur une scène de genre, danses et travaux des chants : des rangs d’épis de blé, des gerbes servent de cadre convenu aux chœurs et aux tendres épanchements de Berthe que contrebalance un trio muet de Parques, coupant in fine le fil du chant de la demoiselle. Mythologie d’autant plus inopportune et incongrue que ce motif et ces personnages ne réapparaitront plus. En faire l’économie ne nuirait pas au spectacle. Au II prestement enchainé, une table, quelques chaises, l’apparition d’une carcasse animale écartelée tombant des cintres campent l’hôtellerie de Jean dont des esquisses de cloisons ouvriront sur un fond d’enluminure biblique aux paroles saintes brouillées : procédé léger et efficace pour encadrer le songe du héros « Sous les vastes arceaux d’un temple magnifique… », l’air d’amour puis le ralliement aux trois anabaptistes. L’arrivée du « méchant » sur un cheval d’apparat blanc roulé à vue et son costume d’opérette – ses militaires annoncent Offenbach ! - introduisent la note d’humour, le décalage qui devenaient nécessaires. Même si le personnage d’Oberthal est celui d’un seigneur brutal et obscène, la situation burlesque et sarcastique que lui imposera Meyerbeer à l’acte III (trio bouffe) justifie ce traitement dramaturgique. Par contraste, les costumes des paysans, leur harmonie picturale, leur gestuelle, la passion rebelle qui animent les chœurs (fin du I, début du III) rendent à leur intervention une force qui frôle l’épique : saisissant mélange des registres, ici encore pleinement fidèle à la partition.
Le III s’ouvre sur un paysage désolé : un plateau porte les reliques de soldats tués ou le cadavre du cheval foudroyé et des pendus, aux cintres, profilent leur silhouette sinistre. Le dramaturge assume ici encore le contraste puisque s’ouvre le fameux ballet des patineurs sur le lac glacé. Au fond, pendant de courts instants, des danseurs glissent en silence, clin d’œil aux premières représentations où sur des patins à roulettes que Berlioz avait trouvé bien bruyants, le corps de ballet avait impressionné le public. Les gens du peuple, paysans devenus soldats, se délassent et rêvent : une malle délivre ses trésors de tulle et d’habits fastueux, mais détournés plaisamment et la danse prend place. Amputée d’un numéro, elle fait briller la valse, le quadrille et le galop dans une parenthèse à la fois ludique, imaginaire et sarcastique. On sait gré à l’équipe de conception du spectacle de n’avoir pas cherché à actualiser le divertissement et d’en faire ce qu’il était à l’époque, un temps de rêve, mais auquel il serait vain de croire. L’acte IV joue l’antithèse entre intimité et grandiose, dépouillement et effet de magnificence. Ainsi, le très beau duo entre Fidès et Berthe s’organise sur la scène nue, dans le cadre noir qui enferme désormais les humains, très au-devant du plateau, comme pour laisser les deux femmes seules à découvert dans leur déchirement et leur détresse. S’illuminent avant même la fin de leur échange tous les cierges échelonnés qui vont dessiner l’architecture de la cathédrale et s’ouvre alors la grand-messe du couronnement à l’indéniable efficacité. L’acte V s’avérera le moins abouti, malgré la toile d’une gargouille grimaçante mariant effroi et grotesque. L’incendie final manque d’ambition, mais on se demande si la pauvreté de la chose n’est pas aussi intentionnelle. L’agonie des figures ecclésiastiques à la Fellini font clairement pencher vers cette hypothèse. « Tous tortionnaires, tous menteurs, tous torturés, tous grotesques, tous punis ». Rideau.
Les lumières précises et variéesde Guido Petzold jouent pleinement leur rôle dramatique en isolant ici les personnages, en creusant là l’espace, en participant avec finesse aux climats. Les costumes que signe aussi le décorateur Alessandro Ciammarughi tantôt s’amusent (livrées militaires, habits sacerdotaux, fanfreluches du ballet), tantôt dessinent des groupes humains de misérables manipulés, mais animés d’une ardeur qu’on nommera révolutionnaire. C’est d’ailleurs dans le déplacement des chœurs et leur gestuelle que la direction d’acteurs s’avère la plus convaincante.

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Patrice Nin

Les chœurs précisément méritent une nouvelle fois tous les éloges régulièrement tressés ici. On n’admire pas seulement les qualités de cohérence, d’engagement, de force, de brillant habituelles. Mais il faut constater combien individuellement pour des rôles non négligeables et en groupe, ils participent pleinement de l’action avec une stimulante et communicative intensité. Que le chef ait voulu aux saluts associer Alfonso Caïani à la réussite d’ensemble n’est que justice. Ajoutons que la Maitrise des Enfants s’avère parfaite dans la scène du couronnement, alors même que la mise en place de son intervention est, de l’avis de Claus Peter Flor, très délicate à bien conduire.
Les trois anabaptistes bénéficient des voix bien différenciées de l’excellente basse de Dimitry Ivashchenko, qui lance avec aisance son air « Aussi nombreux que les étoiles », du ténor de Mikeldi Atxalandabaso en Jonas, qui ose des notes percutantes, et de Thomas Dear beau baryton qu’on avait déjà apprécié en début de saison dans Béatrice et Bénédict. Dans le rôle ambigu du Comte d'Oberthal, Leonardo Estévez déçoit surtout dans le premier acte, même si peu à peu il ait preuve de l’autorité distanciée et de l’humour qu’on lui avait connu dans la zarzuela Doña Francisquita sur cette même scène il y a trois ans.
Qui est Sofia Fomina ? Soprano russe, elle chante beaucoup au Royal Opera House (Les Contes d’Hoffmann, Robert le Diable, Guillaume Tell, Rigoletto.) C’est une belle découverte pour les mélomanes toulousains. Même si dans ce rôle si difficile de Berthe, quelques aigus se révèlent tirés et trop de syllabes un peu mangées, l’ensemble de la prestation est superbe. Le timbre est charnu, coloré et tendre à la fois, la dynamique et la ligne de chant apparaissent très maitrisées. L’air d’entrée, à froid, « Mon cœur s’élance et palpite » fait entendre une voix très fraiche, de ravissantes vocalises et un feu d’artifice final qui « s’élance et palpite » en effet. Ses duos avec Fidès se révèlent émouvants et engagés. Et le beau trio du V (« Loin de la ville ») magnifie sa puissance d’émotion.
Kate Aldrich est époustouflante en Fidès. Sa Favorite digne, altière, souffrait d’une certaine retenue. Mère que le metteur en scène s’est refusé à vieillir, belle, élégante dans sa douleur, la mezzo américaine se révèle ici magnifique de bout en bout. Ses duos charmants ou graves avec Berthe, la scène du (double) reniement avec son fils, le redoutable « Comme un éclair précipité » que précèdent imprécations hagardes, prières exaltées et pardon grandiose la voient assumer crânement les difficultés du rôle, les graves profonds, les vocalises meurtrières. Loin de céder aux outrances du mélo, elle campe avec dignité et osons le terme avec grandeur une Fidès généreuse et déchirée. Lorsqu’à la pénultième scène, elle arrache Jean des griffes de l’imposture, l’opéra de Meyerbeer. atteint une dimension qui justifie à elle seule la postérité de l’œuvre jusqu’au début du XX° siècle.
Cette force et cette gravité, John Osborn les atteint d’emblée. On sait quel admirable bel cantiste il peut être et le récit du songe comme le fameux « Pour Berthe moi je soupire » chanté comme une confidence intime bénéficient pleinement de cette riche expérience. La prière Éternel, Dieu sauveur atteint les cimes du beau chant et de l’expression dramatique. La grande marche du III « Roi du ciel et des anges » qui pourrait éprouver moins grand styliste que lui sonne clair et ferme et l’apothéose finale (ou l’apocalypse) fait, ainsi chanté, de ce faux prophète un héros gagné par la grâce. Un grand ténor, un musicien raffiné qui, comme ses partenaires féminines, fait bénéficier l’auditeur d’une splendide articulation de la langue française.

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Patrice Nin

Que dire de l’orchestre et du chef allemand familier des lieux (huitième participation), où il a dirigé Faust, Tristan et s’apprête à diriger l’année prochaine l’ouverture de saison avec Tiefland puis La Walkyrie ? Qu’ils parviennent à un magnifique équilibre entre tension et délicatesse, entre puissance et transparence. La musique de Meyerbeer devient chant haut et clair, sans épaisseur, sans lourdeur, comme allégée et bondissante, virile mais non dépourvue de tendresse souvent, même si le grandiose n’en est évidemment pas absent, sans jamais sombrer dans la démonstration de force ou a fortiori dans l’emphase pompeuse. Tenue, tension, clarté, élégance.

Aux saluts, acclamation générale et singulièrement pour les trois chanteurs, les chœurs et leur chef, l’orchestre et Claus Peter Flor, et pour le maitre d’œuvre de cette production courageuse, digne de tous les éloges. On ne peut douter après ce succès que l’opéra de Meyerbeer ne revienne désormais plus régulièrement à l’affiche en France. Il le mérite.

Jean Jordy

D'autres photos à suivre.

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PlacidoCarrerotti
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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Toulouse- 06/ 2017

Message par PlacidoCarrerotti » 24 juin 2017, 12:55

Magnifique critique, bravo !
"Venez armé, l'endroit est désert" (GB Shaw envoyant une invitation pour l'une de ses pièces).

jeantoulouse
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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Toulouse- 06/ 2017

Message par jeantoulouse » 25 juin 2017, 09:08

Pour remercier le recordman du forum de son appréciation élogieuse, deux nouvelles photos qui illustrent bien les partis pris du metteur en scène fort déconcertants pour bien des spectateurs. La dernière scène notamment a gêné ou irrité : pourquoi Jean participe-t-il à la maigre orgie finale, alors même qu'il jette le masque, abjure son imposture et rejoint la vraie foi ? Par respect du livret, tout simplement. Il est exact que le télescopage entre les deux images est abrupt, mais c'est la force même de ce revirement que le dramaturge a tenté (un peu confusément) de suggérer : le faux Prophète punissant tous les coupables a pu par les prières de sa mère, intercesseur généreux, obtenir la clémence. Le feu allégorique frappe alors comme la grâce.
D'autres comptes rendus plus contrastés que le mien sont cependant unanimes pour souligner la performance de John Osborn... en état de grâce, précisément.

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Photos Patrice Nin.

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Re: Meyerbeer - Le Prophète - Flor/Vizioli - Toulouse- 06/ 2017

Message par truffaldino » 25 juin 2017, 10:19

jeantoulouse a écrit :
24 juin 2017, 10:41
L’acte I s’ouvre sur une scène de genre, danses et travaux des chants :
Magnifique lapsus scriptae... très poétique :D

Merci pour ton article, qui rejoint mon enthousiasme.
Pris dès l'ouverture du choeur (mise en place incroyable) et le premier air de Berthe, jusqu'aux dernières notes.

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