Nouvelle intégrale très "people" de Don Giovanni

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Lucas
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Message par Lucas » 20 juil. 2012, 09:19

Bon, c'est fait : j'ai reçu et écouté cette nouvelle intégrale de Don Giovanni qui se situe un peu dans la même perspective que la dernière version Solti en tenant compte des interprétations baroqueuses mais sans leurs excés. L'orchestre est donc allégé et chambriste, les dialogues entre pupitres, bien mis en valeur, le vibrato, assez peu présent et les tempi plutôt rapide. Mais différence de taille : alors que chez Solti, la tension venait avant tout de l'orchestre, Yannick Nezet-Seguin se contente souvent d'offrir à ses chanteurs un magnifique écrin à l'intérieur duquel ils doivent trouver leur propre dramaturgie.

Naturellement, cette approche ne fonctionne que si on dispose de chanteurs-acteurs de haute volée. Et heureusement, c'est largement le cas ici. La distribution est, en effet dominée par l'Elvira de Joyce di Donato et l'Ottavio de Rolando Villazon. Elle, d'une chaleur de timbre digne d'une mezzo et d'une longueur de voix d'une soprano, brule les planches et livre une Elvira incandescente et lui, allégeant à merveille sa magnifique voix corsée, délivre des moment de pure magie tant son chant est parfois en apesanteur (la reprise pianissimo du "Dalla sua pace"). Peut être la plus belle Elvira depuis Kiri Te Kanawa et le plus somptueux Ottavio depuis Simoneau, Villazon se permettant au passage de donner une sacrée claque à ceux qui l'avaient trop vite enterré.

Face à eux le duo Don Giovanni-Leporello est excellent mais n'atteint pas les mêmes sommets. Ildebrando d'Arcangelo présente un beau timbre assez onctueux, campant, à l'inverse d'un Terfel par exemple, un Giovanni plus séducteur que carnassier. Mais même s'il utilise habilement sa voix mixte pour se faire parfois plus enjoleur, sa couleur vocale reste souvent un peu uniforme et il se livre dans la scène finale uniquement à quelques excés véristes un peu malvenus. C'est un peu tout l'inverse chez Lucas Pisaroni, toujours très stylé mais manquant un peu de sens du théâtre au point que son air du catalogue parait un peu corseté. De surcroit les deux timbres ne me semblent pas assez différenciés; ce qui fera la joie de metteurs en scène qui voient en Leporello un simple double de son maître mais reste un peu préjudiciable dans les ensembles.

Cette faible différenciation des timbre, on ne pourra pas en faire le reproche au duo Donna Elvira-Donna Anna tant la voix aérienne de Diana Damrau s'oppose en tout à celle de Joyce di Donato. Mais c'est un peu la limite de l'exercice car on peut s'interroger sur la pertinence de confier Anna à une ancienne Sophie du Chevalier à la rose. Certes la lumière de ce timbre fait merveille dans les ensembles mais la voix manque un peu de la richesse des harmoniques dans le grave qui sont la marque des plus grands interprètes du rôle. Fort heureusement, Damrau a quand même pour elle un médium assez nourri, une très belle ligne de chant, un vrai sens du théâtre (superbe récitatif du "Or sai qui l'onore") et un goût très sur (aucun manièrisme). Mais lui manque quand même, à mon avis, la puissance de feu des plus grandes titulaires du rôle (Grümmer, Welitsch, Fleming...).

Le reste du cast me parait plus anodin. Le duo Masetto-Zerline manque un peu de chair : franchement, Mojca Erdmann, la nouvelle recrue de Deutsche Grammophon, déçoit surtout quand on a en mémoire la Zerline autrement plus corsée de Teresa Berganza. Mais c'est surtout le commandeur de Vitalij Kowaljow qui ne fait pas le poids au sens propre comme au figuré : la voix trop engorgée manque de tout (de grave comme de projection) et gâche un peu la scène finale tant ce commandeur, bien peu présent, semble terassé par Don Giovanni alors que cela devrait être l'inverse...C'est pourquoi, pour une scène finale vraiment dantesque, on se tournera plutôt vers Gardiner (qui tire, à cette occasion, Mozart vers le Berlioz des Troyens en adoptant des attaques très sèches et des tempi délirants) ou Böhm (avec Talvela et Fisher Dieskau : merci à Jérôme d'en avoir parlé avec enthousiasme). Mais dans les deux cas, le reste de la distribution est si problématique (Nilsson et Schreier chez l'un, Pregardien et Margiono chez l'autre) que ces deux versions ne sont, de mon point de vue, pas prioritaires.

Finalement, cette intégrale "très people" fait quand même la nique à tout ceux qui ne voyaient en elle qu'un pure produit de marketing. Probablement parce que ce coffret présente un quintette (Don Giovanni, Leporello, Anna, Elvira, Ottavio) parfaitement homogène car sans réélle faiblesse; ce qui n'est malheureusement pas si courant dans une oeuvre difficile à distribuer. C'est pourquoi cette version m'a globalement enthousiasmé, prenant à mon avis, la tête de la discographie avec Mitropoulos (insurpassable mais dans un son qui a son âge) et peut être Solti 2 (en dépit de L'Elvira bien défaite d'Anne Murray mais comme j'aime beaucoup Terfel et Fleming...)

Enfin la présentation en est assez soignée : coffret plat en carton rigide (sur le modèle de Capulets de Netrebko-Garanca ou de la Butterfly de Gheorghiu-Kaufmann), CD insérés dans des petites pochettes en carton et livret quadrilingue, donc en français.

PS : cette intégrale est déjà disponible en Allemagne mais ne sortira en France qu'à la mi-septembre.

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Leporello84
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Message par Leporello84 » 25 juil. 2012, 12:38

Lucas a écrit :Bon, c'est fait : j'ai reçu et écouté cette nouvelle intégrale de Don Giovanni qui se situe un peu dans la même perspective que la dernière version Solti en tenant compte des interprétations baroqueuses mais sans leurs excés. L'orchestre est donc allégé et chambriste, les dialogues entre pupitres, bien mis en valeur, le vibrato, assez peu présent et les tempi plutôt rapide. Mais différence de taille : alors que chez Solti, la tension venait avant tout de l'orchestre, Yannick Nezet-Seguin se contente souvent d'offrir à ses chanteurs un magnifique écrin à l'intérieur duquel ils doivent trouver leur propre dramaturgie.

Naturellement, cette approche ne fonctionne que si on dispose de chanteurs-acteurs de haute volée. Et heureusement, c'est largement le cas ici. La distribution est, en effet dominée par l'Elvira de Joyce di Donato et l'Ottavio de Rolando Villazon. Elle, d'une chaleur de timbre digne d'une mezzo et d'une longueur de voix d'une soprano, brule les planches et livre une Elvira incandescente et lui, allégeant à merveille sa magnifique voix corsée, délivre des moment de pure magie tant son chant est parfois en apesanteur (la reprise pianissimo du "Dalla sua pace"). Peut être la plus belle Elvira depuis Kiri Te Kanawa et le plus somptueux Ottavio depuis Simoneau, Villazon se permettant au passage de donner une sacrée claque à ceux qui l'avaient trop vite enterré.

Face à eux le duo Don Giovanni-Leporello est excellent mais n'atteint pas les mêmes sommets. Ildebrando d'Arcangelo présente un beau timbre assez onctueux, campant, à l'inverse d'un Terfel par exemple, un Giovanni plus séducteur que carnassier. Mais même s'il utilise habilement sa voix mixte pour se faire parfois plus enjoleur, sa couleur vocale reste souvent un peu uniforme et il se livre dans la scène finale uniquement à quelques excés véristes un peu malvenus. C'est un peu tout l'inverse chez Lucas Pisaroni, toujours très stylé mais manquant un peu de sens du théâtre au point que son air du catalogue parait un peu corseté. De surcroit les deux timbres ne me semblent pas assez différenciés; ce qui fera la joie de metteurs en scène qui voient en Leporello un simple double de son maître mais reste un peu préjudiciable dans les ensembles.

Cette faible différenciation des timbre, on ne pourra pas en faire le reproche au duo Donna Elvira-Donna Anna tant la voix aérienne de Diana Damrau s'oppose en tout à celle de Joyce di Donato. Mais c'est un peu la limite de l'exercice car on peut s'interroger sur la pertinence de confier Anna à une ancienne Sophie du Chevalier à la rose. Certes la lumière de ce timbre fait merveille dans les ensembles mais la voix manque un peu de la richesse des harmoniques dans le grave qui sont la marque des plus grands interprètes du rôle. Fort heureusement, Damrau a quand même pour elle un médium assez nourri, une très belle ligne de chant, un vrai sens du théâtre (superbe récitatif du "Or sai qui l'onore") et un goût très sur (aucun manièrisme). Mais lui manque quand même, à mon avis, la puissance de feu des plus grandes titulaires du rôle (Grümmer, Welitsch, Fleming...).

Le reste du cast me parait plus anodin. Le duo Masetto-Zerline manque un peu de chair : franchement, Mojca Erdmann, la nouvelle recrue de Deutsche Grammophon, déçoit surtout quand on a en mémoire la Zerline autrement plus corsée de Teresa Berganza. Mais c'est surtout le commandeur de Vitalij Kowaljow qui ne fait pas le poids au sens propre comme au figuré : la voix trop engorgée manque de tout (de grave comme de projection) et gâche un peu la scène finale tant ce commandeur, bien peu présent, semble terassé par Don Giovanni alors que cela devrait être l'inverse...C'est pourquoi, pour une scène finale vraiment dantesque, on se tournera plutôt vers Gardiner (qui tire, à cette occasion, Mozart vers le Berlioz des Troyens en adoptant des attaques très sèches et des tempi délirants) ou Böhm (avec Talvela et Fisher Dieskau : merci à Jérôme d'en avoir parlé avec enthousiasme). Mais dans les deux cas, le reste de la distribution est si problématique (Nilsson et Schreier chez l'un, Pregardien et Margiono chez l'autre) que ces deux versions ne sont, de mon point de vue, pas prioritaires.

Finalement, cette intégrale "très people" fait quand même la nique à tout ceux qui ne voyaient en elle qu'un pure produit de marketing. Probablement parce que ce coffret présente un quintette (Don Giovanni, Leporello, Anna, Elvira, Ottavio) parfaitement homogène car sans réélle faiblesse; ce qui n'est malheureusement pas si courant dans une oeuvre difficile à distribuer. C'est pourquoi cette version m'a globalement enthousiasmé, prenant à mon avis, la tête de la discographie avec Mitropoulos (insurpassable mais dans un son qui a son âge) et peut être Solti 2 (en dépit de L'Elvira bien défaite d'Anne Murray mais comme j'aime beaucoup Terfel et Fleming...)

Enfin la présentation en est assez soignée : coffret plat en carton rigide (sur le modèle de Capulets de Netrebko-Garanca ou de la Butterfly de Gheorghiu-Kaufmann), CD insérés dans des petites pochettes en carton et livret quadrilingue, donc en français.

PS : cette intégrale est déjà disponible en Allemagne mais ne sortira en France qu'à la mi-septembre.
Merci Lucas pour ton avis. Il renforce mon envie d'entendre ce Don Giovanni... Et je suis d'accord sur les forces et les faiblesses de la version Solti II: Terfel, Fleming et Pertusi sont des atouts de poids; Murray (chevrotante), et dans une certaine mesure Luperi gâtent l'ensemble.

emji
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Message par emji » 29 juil. 2012, 17:06

Don Giovanni de Mozart / Yannick Nézet-Seguin : une nouvelle approche musicale ?

Curieusement, commandé chez Amazon pour une sortie annoncée partout officiellement pour le 07 septembre 2012, j'ai eu l'agréable surprise de voir débarquer le colis hier, vendredi 27 juillet 2012 !! Décidément, déjà plus qu'efficace, Amazon semblerait devenir maintenant magicien ?!
Trève de plaisanterie; c'est donc avec curiosité et gourmandise que j'ai commencé l'écoute de ce nouvel enregistrement du chef d'oeuvre mozartien.

Passé le premier étonnement d'une ouverture dont la sublime introduction en Ré m. synonyme et prémonitoire de la mort est à mon goût beaucoup trop rapide - mais c'est hélas devenu une... habitude depuis environ une quinzaine d'année - la direction de Yannick Nézet-Seguin n'appelle que des éloges.
Eloge sur les tempi généraux, sur le travail des pupitres, des jeux de réponses si délicats chez Mozart entre la petite harmonie et les cordes; sur les couleurs que Nézet-Seguin donne à la partition, faisant ressortir mille détails magnifiques, dont il peut jouer à merveille grâce au talent du Mahler Chamber Orchestra.
Bref on l'aura compris : le jeune chef canadien nous donne beaucoup de bonheur musical.
Menée de manière remarquable par ce dernier, la troupe des chanteurs engagée autour du chef, après lecture des noms prestigieux affichés n'appelle que des éloges globalement.

Le bel Ildebrando D' Arcangelo entre donc dans la cour des grands avec le rôle-titre.
Curieusement, il m'est apparut comme détaché de la formidable fusion que l'on ressent entre les autres personnages.
Mais loin de desservir la partition, cela donne à mon sens un nouvel aspect au personnage de Don Juan.
Celui-ci apparaît dans la voix d'Ildebrando d'Arcangelo, comme un séducteur "testostéronné" ... en diable si je puis dire !
Son timbre devenu plus sombre ces dernières années, donne un aperçu presque "méphitophélique" (déjà damné ?), au personnage. Son jeu - très perceptible dans l'enregistrement - semble égoïste; voué à son seul plaisir le plus immédiat, de manière autoritaire, glacé. C'est un Don Giovanni qui ne rit jamais, il se force.
Ici ce n'est plus l'aristocrate élégant que l'on a souvent l'habitude d'entendre et/ou de voir; c'est un homme sûr de son sex-appeal, de son pouvoir d'envoûtement, un peu "brut de décoffrage", qui ne semble avoir besoin de déployer aucun effort pour séduire. Un homme qui semble ne jamais rien ressentir... Jusqu'à l'ultime instant; lorsqu'il crie sa dernière négation face à la statue. Son hurlement glace le sang alors, renforcé par le silence inhabituel que Nézet-Seguin place là, avant une descente aux abîmes apocalyptique. Enfin ce Don Juan hurle sa douleur, son désespoir.
C'est intéressant, voire dérangeant... et ma foi, assez inoubliable du coup !

Luca Pisaroni est un Leporello à la voix plus claire que son maître (donc ici non "interchangeables"), mais dans la grande tradition des meilleurs Leporello, tout comme les bien chantants et bien incarnés Commendatore de Vitalij Kowaljow, et Masetto de Konstantin Wolff.

L'autre homme, probablement le plus attendu, car figurant là où on ne l'attendait guère,
c'est bien évidemment Don Ottavio incarné par Rollando Villazon !
Et là c'est l'émerveillement ! Villazon donne du pâle personnage habituel une approche totalement renouvelée: Ici nous avons à faire non seulement à l'aristocrate élégant habituel, mais aussi à un homme véritable, qui souffre profondément. Les accents d'Hoffmann, comme ceux de Werther ne sont parfois pas loin, et donnent un éclairage passionnant d'un nouvel Don Ottavio.
Ses deux airs sont des miracles d'interprétation, de musicalité et de technique vocale, où Villazon favorise une tenue de souffle sur la longueur des phrases absolument miraculeuse, s'offrant même le luxe de varier les nuances comme les couleurs sur certaines vocalises. Du grand art ! De plus sa participation aux duos, trios, etc...) apporte une appui remarquable musicalement aux ensembles.

Les dames de cette distribution... devrais-je dire les reines ?!
Diana Damrau donne de Donna Anna une figure là encore à mon sens vivement et bien renouvelée.
Honnêtement ce personnage m'agace d'habitude; avec Diana Damrau, chaque phrase chantée devient un miracle de beauté, de volonté et d'autorité musicale.

Les mêmes commentaires pourraient d'ailleurs être mis au service de l'autre "reine " de cet enregistrement : Joyce Di Donato ; que dire sinon qu'elle est sublime ? (comma souvent d'ailleurs !). Ce rôle de Donna Elvira, empli de noblesse de ton, où Mozart à mon sens à mis le meilleur de sa partition, est défendu royalement par Di Donato; impériale, impérieuse, incontournable, au même titre que Elisabeth Schwarzkopf bien des décennies auparavant, dont elle est la seule égale à mon avis.

Le rôle de Zerlina est toujours plus ingrat : situé entre deux pôles (le drame et la comédie), il est très difficile pour la chanteuse " d'en faire quelque chose ": Mojca Erdmann s'y emploie avec humilité et beaucoup de musicalité.

Deutsche Grammophon a prévu dans les toutes prochaines années à venir un cycle des sept "grands" opéras de Mozart dirigés par de nouvelles stars de la baguette comme Yannick Nézet-Seguin ( d' Idomeneo à La Clémence de Titus ); on ne peut que s'en réjouir : ce Don Giovanni- là augure (très) bien des opus à venir !!

Voilà; cela vous fait semble t'il deux avis maintenant :D

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Leporello84
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Message par Leporello84 » 09 août 2012, 15:27

Merci emji pour ce CR détaillé!

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apoline
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Message par apoline » 09 août 2012, 17:17

Merci pour ces 2 CR superbement détaillés.
J'apprécie particulièrement la convergence de vue sur le rôle de Villazon. Après avoir entendu sa prestation de Verbier où il interprétait les 2 airs de Don Giovanni, j'ai hâte de me procurer ce CD.

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aurele
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Message par aurele » 09 août 2012, 18:15

Merci pour ce deuxième compte-rendu.

meteosat
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Message par meteosat » 10 août 2012, 13:12

J'ai écouté une première fois le CD et je suis beaucoup beaucoup plus mitigé.

On sent que l'influence des "baroqueux", que vous décriez un peu, a été justement digérée, les tempi sont plutôt rapides, les articulations nettes. Il y a même à l'occasion des ornementations (malheureusement sans aucune homogénéité). Le pianoforte est assez présent, y compris hors récitatifs. Ceci étant, après un bon démarrage, les tempi se ralentissent et on commence à s'ennuyer ferme. Les récitatifs sont débités de façon assez métronomique, et peu vivants.

L'orchestre est il faut dire assez fantastique (Chamber Orchestra of Europe), virtuosissime. Nezet-Séguin peut le remercier, je ne sais pas trop ce qu'aurait donné le disque sans cet ensemble.

Côté distribution, cela va je trouve de l'admirable (Damrau, Di Donato bien qu'un peu trop uniformément véhémente) au quelconque (Pisaroni) et à l'insupportable : Don Giovanni qui en fait des tonnes et Zerlina ultra médiocre de Mojca Erdmann (comment peut-elle se retrouver avec un contrat chez DG est un mystère).

Quant à Villazon, je ne sais qu'en penser, il semble perpetuellement lutter contre une musique qui n'est manifestement pas pour sa voix. Il y a de beaux moments isolés mais on sent tellement les efforts que cela devient fatiguant, il est de plus assez gênant dans les ensembles où il ne s'intègre pas dans la "masse".

Des choses intéressantes donc, mais personnellement je reste fidèle à Harnoncourt et Jacobs.

utania27
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Message par utania27 » 19 août 2012, 15:49

Ayant appris sur le forum que le disque sortait courant juillet en Allemagne, je me le suis procuré sur Amazon.de. C'est une intégrale tout à fait passionnante qui risque de donner lieu à pas mal d'avis contrastés, comme en témoignent déjà certains échanges!
Voici mes impressions après plusieurs écoutes:

A mi chemin entre une réalisation en studio et la captation “live” d’une représentation d’opéra, ce nouveau Don Giovanni est en fait l’enregistrement d’un concert donné dans le cadre du Festival de Baden-Baden en juillet 2011, à l’affiche particulièrement séduisante.
L’absence de mise en scène ne se fait pas regretter un seul instant, tant le plateau réuni déborde de vie, de conviction, d’engagement, vivant l’action comme si nous étions sur une scène d’opéra, sous la baguette du jeune chef d’orchestre canadien Yannick Nézet-Séguin.

Tout au long de l’oeuvre, Yannick Nézet-Séguin imprime une dynamique théâtrale et musicale de chaque instant, dans un écrin harmonique qui force l’écoute et l’admiration : à la précision et au moelleux des cordes du Malher Chamber Orchestra répond la douceur et la virtuosité des différents pupitres d’instruments à vent, nous mettant ainsi constamment aux aguets des richesses de la partition. La mise en place des ensembles ainsi que les contrastes d’atmosphère sont également remarquables : le jeune chef canadien réussit un parfait équilibre entre la tension dramatique que requiert l’oeuvre et la vie qui s’en dégage.



Dans le rôle titre, Ildebrando d’Arcangelo apporte sa somptueuse voix de basse, qui à elle seule lui confère un charme et une séduction absolues. Ce Don Giovanni reste avant tout un séducteur, peut-être un peu monolithique : on n’y trouvera pas l’espèce de “fureur de vivre” et l’agressivité d’un Wächter chez Giulini, qui collaient si bien à l’image d’un Don Giovanni par qui le désordre et le tumulte arrivent, personnage pas vraiment sympathique, qui agit au mépris des codes moraux et sociaux établis.
Nous sommes également, autre exemple, loin du personnage plutôt sombre et inquiétant, proposé par Ruggero Raimondi, un Don Giovanni mû par quelque chose qui le conduisait, au delà de ses provocations à l’égard de la société, à rechercher la confrontation suprême, qui s’accomplit dans la scène finale.
On pourrait ainsi multiplier les exemples témoignant de la diversité, et de la plus ou moins grande complexité, de l’approche qui peut être faite du personnage. Tout de séduction vocale, dans la tradition d’un Siepi, Ildebrando d’Arcangelo nous livre une interprétation plus”naturelle” du rôle, sans doute tout aussi valable, même si elle laisse un peu au final une légère impression d’uniformité.


Face à la voix de basse d’Ildebrando d’Arcangelo, le Leporello de Luca Pisaroni offre un contraste idéal sur le plan vocal, avec un timbre que l’on différencie bien de celui de son partenaire. De plus, c’est un Leporello plein de nuances auquel nous avons affaire. Effrayé par les périls qui s’annoncent, mais se glissant en certaines occasions dans la peau de son maître (il faut entendre comme il fait siennes les conquêtes de Don Giovanni dans l’air du Catalogue), il n’a aucun mal à exprimer les multiples facettes du personnage, sans jamais surcharger le trait, avec une autorité, une élégance vocale et une présence scénique de chaque instant.


Rolando Villazon pose dans le rôle de Don Ottavio un problème particulier : la voix est telle qu’ on la connait , belle et d’une séduisante virilité, l’interprète apporte toute sa sincérité et son engagement, ôtant toute fadeur à son personnage. Le legato, la tenue du souffle, la façon dont il parvient à alléger la ligne de chant sont remarquables. Mais est-elle l’idéal dans ce répertoire? Certaines attaques un peu poitrinées, certains sons presque trop riches en harmoniques, paraissent ici hors contexte d’un point de vue stylistique et n’ajoutent pas grand chose sur le plan expressif. Il manque cette sorte d’élégance et de noblesse, qui ne sont pas du tout incompatibles avec les accents virils, que certains ont su mettre dans ce rôle: comment oublier l’ardeur mêlée de retenue d’un Dermota, la vaillance d’un Wunderlich au charme inégalé (dans des extraits au disque en allemand) , tous deux sachant exprimer leur ferveur en conservant une qualité de phrasé et d’émission incomparables, interprètes mozartiens par excellence, à la fois sobres et expressifs. Il s’agit d’une réserve toute personnelle qui n’enlève rien au plaisir que procure néanmoins la prestation de Rolando Villazon, qui participe largement à l’impression d’homogénéité du plateau réuni ici, laquelle se révèle souvent une gageure.


Joyce DiDonato, en Donna Elvira, est enthousiasmante de la première à la dernière note. La richesse de sa palette expressive et l’étendue de ses moyens vocaux conviennent idéalement au personnage de Donna Elvira. Généralement interprétée par une soprano, le grain plus corsé de sa voix, son aisance bien sûr dans le registre grave du rôle, donnent ici plus de poids et de contraste au personnage qu’à l’accoutumée, tandis que se confirme l’aisance de son registre aigu en toutes circonstances. Son entrée avec l’air “Ah qui mi dice mai” est saisissante : à côté de toute la véhémence, grandiose, qu’elle est capable d’exprimer, elle sait aussi monter que son coeur appartient toujours et malgré tout à Don Giovanni, et que sa colère retombera à la première occasion : écoutez de quelle manière elle prononce, chaque fois avec une nuance différente, le mot “cor”! La véhémence de cet air d’entrée n’a d’égale que la flamme et la passion douloureuse qui s’expriment dans “mi tradi quell’alma ingrata”. Son Elvira est vocalement une merveille de legato, de souplesse, d’homogénéité dans les différents registres, avec un art de la caractérisation, une richesse dans l’expression, qui placent décidément Joyce DiDonato parmi les artistes les plus passionnantes qui soient. Depuis Schwarzkopf, on n’a pas fait mieux dans ce rôle.
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Donna Anna, dans l’expression de sa douleur comme dans celle de sa juste soif de vengeance, trouve en Diana Damrau une interprète très impliquée qui vit son personnage avec beaucoup d’ intensité. Sa souffrance comme sa détermination sonnent toujours justes, sans jamais donner dans une forme d’excès. Certains aigus filés sonnent un peu “colorature”, manquant peut-être d’un certain “ poids” vocal (dans son premier air “Or sai chi l’onore”) mais tout le reste est idéal. La noblesse, la dignité altière de Donna Anna sont parfaitement exprimées musicalement, grâce à une discipline et une rigueur belcantistes absolument remarquables, alliance idéale de la virtuosité et de l’expression la plus juste.


Portés par l’enthousiasme général et la qualité du plateau, Mojca Erdmann (Zerlina) et Konstantin Wolff (Masetto) sont parfaits dans leurs rôles respectifs, tandis que le Commandeur de Vitalij Kowaldjow est remarquable de puissance et d’autorité dans le tableau final, formant un impressionnant duo de basses avec Ildebrando d’Arcangelo.



En conclusion, ce nouvel enregistrement, qui pose il est vrai quelques questions, est globalement une magnifique réussite, grâce à la présence de personnalités vocales de premier plan parvenant à former un plateau particulièrement homogène, grâce aussi à l’équilibre et à la qualité de la direction d’orchestre.
Il trouve sa place parmi l’abondante et prestigieuse discographie de cet opéra, qui a souvent été marquée par la présence de tels ou tels interprètes, et d’un chef qui, au delà de sa propre vision de l’oeuvre, est capable de faire ressortir l’incroyable richesse et la vie foisonnante de la partition.

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