Wagner - Tannhäuser - Ozawa / Carsen - ONP, 11/2007

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Message par dongio » 16 déc. 2007, 12:45

Immense, exceptionnelle soirée hier à Bastille pour ce "Tannhaüser" tant attendu. J'aurai tout aimé, absolument tout et remercie l'ONP de nous avoir permis de voir ce travail remarquable et intelligent. La mes de Carsen est sensationnelle, même si iconoclaste. Elle ne respecte pas la didascalie du livret, et transpose toute l'action dans le monde de la peinture comme il a été déjà expliqué sur ce forum par d'autres ODBiens. L'ouverture est habitée, et petit à petit apparaîtront sur scène Tannhaüser et Vénus, le peintre et son modèle, à la fois inspiratrice et muse (le mannequin féminin qui joue Vénus à ce moment est d'ailleurs d'une beauté!!).Elle posera lascive sur un matelas posé à terre devant le chevalet du peintre, qui, en proie à une frénésie créatrice et submergé par le désir (de peindre, du modèle) débutera son nouveau tableau quasi en transes et en spasmes créateurs. La bacchanale verra le plateau envahi par des ombres dansantes, double du peintre , en proie à la même extase créatrice et représentant autant d'idées créatrices se bousculant dans l'esprit de Tannhaüser pendant l'acte de peindre qui est quasi un acte d'amour. Ce tableau, qui ne sera jamais dévoilé au public, représente donc la quintessence de l'art inspiré de Tannhaüser, sorte de peintre maudit qui ne se verra reconnu qu'au final, lorsque son oeuvre entrera au panthéon d'un musée imaginaire. Et cette reconnaissance en soi, avec signature de contrat ou chèque à l'appui, n'est elle pas autre chose qu'une "mort" artistique? D'inspiré et libre l'artiste devient alors prisonnier de la convention, il devra se plier à des règles de la société: la flétrissure du génie, de l'inspiration sera survenue et l'assèchera. Mort artistique plutôt que physique. La boucle est bouclée, l'arc est tendu, l'opéra se termine en accord avec la vision du compositeur et le sujet de l'oeuvre, même si celle ci est transposée dans un autre monde. Chapeau l'artiste pour cette intelligence du propos. (si cette interprétation est correcte, peut être aurai-je aimé qu'au lieu des chefs d'oeuvre absolus de la peinture qui sont montrés (Demoiselles d'Avignon, Origine du Monde, et autres Naissance de Vénus), le tableau de Tannhaüser prenne place au milieu de tableaux de peintre pompiers (Voir à Orsay au RdCh) inintéressants, conventionnels et datés. Mais bon...)
Eh bien non, contrairement à ce qui est émis par d'autres, pour moi Carsen se renouvelle, et nous force à réfléchir de façon différente sur une oeuvre dont il permet une lecture à facette différente. Tout cela fonctionne, et bien que je sois rétif à des relectures pseudo intellectuelles d'une pièce du répertoire (Warlikowski, Marthaler, Simmons et autres suivez mon regard ennuyé), ici je suis resté épaté par la hauteur du discours. Les éclairages sont superbes (les projections d'ombres de protagonistes, de situations sur les murs mitoyens du décor!), les costumes passe partout mais efficaces, l'utilisation de la scène et de la salle pour les entrées des personnages et des choeurs remarquables et prenants. Oui d'accord on a déjà vu cela chez Carsen et chez d'autres. Oui là il se répète mais si cela est son langage esthétique, laissons le lui car encore une fois il est à respecter car il nous respecte en tant que spectateurs, et nous prend par la main pour nous amener dans son monde, et nous expliquer celui-ci. J'adhère. Sa "Rusalka" était de la même eau, dérangeante car analytique, et renversante car ouvrant de nouvelles portes à l'interprétation. Je n'ai pas vu sa Traviata effectivement apparemment ratée, donc je ne jugerai pas, mais ses mes à l'ONP ont toutes apporté une vision d'une oeuvre , allant de très hauts sommets (Hoffmann, Capriccio, Nabucco) à des choses moins intéressantes peut être (Capulets, Alcina)mais possédant chair et esprit. Carsen reste un des metteurs en scène les plus intéressants du moment quand même à mes yeux. Merci pour hier soir.
Comment aussi ne pas remercier Ozawa pour cet exceptionnel travail d'orfèvre de hier soir? Je n'ai pas entendu d'incertitudes de l'orchestre ou de décalages d'icelui. Je n'ai entendu qu'une fluidité de son, une pâte sonore légère, ductile, envahissante et soutenante, ne couvrant jamais les voix mais les portant vers la salle pour les faire ressentir encore mieux. Direction chambriste et claire, dans le style de celle que Karajan mettait à son Ring, et loin de tout tarazimboum teuton qui fait sonore pour montrer que Wagner c'est quand même quelque chose (Pappano, au fond de la classe! ). Le chef est épatant (au sens propre du terme): on a beau savoir qu'il dirige par coeur, il pétrit cette musique de ses mains sans baguette, le visage est mobile et il vit l'oeuvre avec les chanteurs de façon formidable (les regards de soutien avec Westbroek pendant la prière à Marie, la respiration profonde pendant l'ode à l'étoile de Goerne sont d'immenses moments de fusion musicale). Et l'humilité de l'homme, effacé derrière la musique et son orchestre, non pas félicitant mais remerciant chacun pour le travail accompli...Immense bonhomme. Profond respect et gratitude pour ces moments là aussi.
La distribution, on l'a déjà lu ici, a été hier soir exceptionnelle et remarquable d'homogéneité. Influence de cette "première"scénique? Que louer le plus? BUM que je n'apprécie pas d'habitude, a été hier soir une Vénus fascinante, au timbre de lourd velours pourpre comme les éclairages qui l'entouraient, habitant la scène de façon parfaite, et prenant dans la voix des teintes séductrices quand il le fallait, et montrant la fêlure quand il le fallait aussi. L'allemand est prosaïque d'accord et la prononciation du mot faible d'accord, mais le reste...
Selig est un excellent Hermann au chant soigné et sonore, la voix est belle (même si son Roi Marke était un niveau au dessus dans mon souvenir) et son incarnation scénique du directeur ou de l'artiste "officiel" efficace. Très bons Walther et Biteroff de Michael König et de Ralf Lukas au chant solide.
Gould est formidable et assure tout le rôle avec un engagement vocal à tomber. Tout est assuré et assumé dans toute la tessiture, et le personnage est habité et inspiré. Bravo. L'allemand est à améliorer aussi, mais qui aujourd'hui comme dit par d'autres peut chanter Tannhaüser ainsi?
On monte encore dans l'admiration avec la sublime Elisabeth de Westbroeck. Déjà renversante en live dans Chrisothémis, et fascinante à Aix en Sieglinde, elle nous délivre une incarnation féminine et frémissante du personnage. La voix, faite de lait et de miel, est un bonheur renouvelé à chaque instant, assurant toute la tessiture,de la jubilation extatique du "Dich, teure Halle..." à la prière murmurée et implorante à la Vierge. Sensationnel. Son arrivée au III dans l'atelier du peintre, prenant conscience de l'Art dégagé des conventions et possédant sa charge érotique, enlevant sa robe et se lovant sur le matelas, sur les draps de Vénus, était un moment fascinant de théâtre.
Et exceptionnel le Wolfram de Matthias Goerne, dont on ne sait que louer et admirer. Tout était magique, chaque note, chaque intonation, chaque couleur de voix donnait la chair de poule. Je louerai par dessus tout le fait que le lied, et toute sa science, fait irruption à l'opéra avec cet artiste. Quel phrasé, quelle poésie à chacune de ses interventions. L'ode à l'étoile, qui plus est mise en scène de cette façon douloureuse et attendrie, était hier soir pour moi un des plus hauts sommets jamais entendus à l'ONP en 30 ans de fréquentation, et un des plus hauts sommets jamais entendus tout court. Bouleversant, tirant les larmes.
Que dire encore? Je suis trop long, je sais, mais je n'ai pas trouvé d'autres moyens de partager mon enthousiasme de hier soir. J'arrête donc ici. Et d'ailleurs je suis aphone à force d'avoir hurlé "bravo" à tous hier soir. Si quelqu'un a une pastille ou un sirop, merci de me l'envoyer par mp.

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Message par dongio » 16 déc. 2007, 12:57

Et j'ai oublié de dire un mot sur les choeurs, remarquables.
Promis: je me tais maintenant.

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Message par abaris » 16 déc. 2007, 12:59

dongio a écrit :Et j'ai oublié de dire un mot sur les choeurs, remarquables.
.
Non, vraiment, non. Ils chantent sans guère de nuances, ne sont pas en place. C'est le gros point faible de ce spectacle.

Yasunari
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Message par Yasunari » 16 déc. 2007, 18:44

Ouf, je ne suis pas seul à avoir beaucoup aimé la mise en scène.

Quel réalisme par ailleurs (il suffisait de voir le parallèle entre la scène du vernissage et ce qui se passait à l'entracte au bar de l'AROP avec madame le ministre de l'économie, présente et importunée par quelques raseurs patentés).

Une question que je pose au ODBiens (sans vouloir trop faire dévier ce fil) : si l'on aditionne tout (oeuvre, chanteurs, direction, et mise en scène) est ce pour vous le meilleur spectacle de l'ère Mortier?
Pour moi, il sera incontestablement dans le top 5.

Allez, je file voir Cécilia, je pense que les ODBiens seront nombreux dans la salle.

dongio
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Message par dongio » 17 déc. 2007, 08:15

Un des meilleurs sans aucun doute...dans les tops certainement avec Tristan, Cosi, Titus

lamammamorta
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Message par lamammamorta » 17 déc. 2007, 10:34

Dongio, tu me donnes vraiment envie d'aller voir ce spectale. Hélas il n'y a plus de places, je crois que le 24 je ferai la queue tout l'après midi.
Je suis Carsenophile, et l'an dernier déjà, j'avais vraiment été emballé par "Candide" au Châtelet.

Abaris, je m'amuse beaucoup a te lire. Ta constance haineuse a vomir sur le choeur pose question sur la sincérité de la chose.
Je me souviens de mon agréable surprise de l'amour des trois oranges où le choeur avait été parfait (le soir où j'y étais), et où tu l'avais trouvé mauvais. Peut être se donnent-ils le mot, et ne chantent-ils mal que lorsque tu y vas !!! :wink:
Si c'est ça, moi je porterais plainte, à ta place...

Une amie musicienne qui a vu ce Tannhauser , a été emballée par l'orchestre et le choeur, notamment pour les nuances.

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Message par David-Opera » 17 déc. 2007, 10:51

dongio a écrit : Immense, exceptionnelle soirée hier à Bastille pour ce "Tannhaüser" tant attendu. J'aurai tout aimé, absolument tout et remercie l'ONP de nous avoir permis de voir ce travail remarquable et intelligent........
Très sympa de lire des telles impressions.
Le plaisir à faire partager ce que l'on aime est nettement préférable au plaisir de démolir n'est ce pas? :wink:

Par contre je suis moins d'accord sur le petit coup de patte à Warlikowski et Marthaler.
http://fomalhaut.over-blog.org/
"Le problème à l'opéra, c'est son public." Patrice Chéreau.

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Message par esther » 17 déc. 2007, 12:45

David-Opera a écrit :
dongio a écrit : Immense, exceptionnelle soirée hier à Bastille pour ce "Tannhaüser" tant attendu. J'aurai tout aimé, absolument tout et remercie l'ONP de nous avoir permis de voir ce travail remarquable et intelligent........
Très sympa de lire des telles impressions.
Le plaisir à faire partager ce que l'on aime est nettement préférable au plaisir de démolir n'est ce pas? :wink:

Par contre je suis moins d'accord sur le petit coup de patte à Warlikowski et Marthaler.
Mais pourquoi met-on ces deux-là dans le même panier ? On peut aimer le premier et pas le second! (Dave-Op, pardon pour mon manque de discrétion :wink: )

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Message par esther » 17 déc. 2007, 12:53

abaris a écrit :
dongio a écrit :Et j'ai oublié de dire un mot sur les choeurs, remarquables.
Non, vraiment, non. Ils chantent sans guère de nuances, ne sont pas en place. C'est le gros point faible de ce spectacle.
Je n'irais pas jusque-là. Ce n'est pas le point le plus fort, disons, mais il y a de beaux moments (pélerins à la fin de l'acte I) :?

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Message par David-Opera » 17 déc. 2007, 12:54

esther a écrit : Mais pourquoi met-on ces deux-là dans le même panier ? On peut aimer le premier et pas le second! (Dave-Op, pardon pour mon manque de discrétion :wink: )
On peut même n'aimer ni l'un ni l'autre. :wink:
Mais ce n'est pas mon cas, c'est tout ce que je voulais dire.
http://fomalhaut.over-blog.org/
"Le problème à l'opéra, c'est son public." Patrice Chéreau.

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