Grieg - Solveig/L'attente - Guilberg Jensen/Bieto - ONR - 09/2020

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Piero1809
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Grieg - Solveig/L'attente - Guilberg Jensen/Bieto - ONR - 09/2020

Message par Piero1809 » 25 sept. 2020, 13:08

Solveig (L'attente) d'après Peer Gynt de Henrik Ibsen sur une musique de Edvard Grieg
Karl Ove Knausgard, Texte

Elvind Guilberg Jensen, Direction musicale
Calixto Bieto, Mise en scène, idée, concept
Sarah Derendinger, Conception vidéo
Lucia Astigarraga, Assistante à la mise en scène

Anders Beyer/Bergen International Festival, Producteur exécutif

Mari Eriksmoen, Soprano
Laurent Koehler, Baryton

Choeur de l'Opéra du Rhin
Alessandro Zuppardo, Chef de choeur
Orchestre Philharmonique de Strasbourg

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Photo Thor Brødreskift/FiB

Une passion symphonique
Pour Solveig (L'attente), d'après Peer Gynt de Henryk Ibsen sur de la musique d'Edvard Grieg, Karl Ove Knausgard écrivit un livret intitulé Les oiseaux du ciel. En fait le texte de Knausgard est une réécriture de la pièce Peer Gynt d'Ibsen avec un renversement des perspectives puisque Solveig devient le personnage principal, Peer Gynt disparait et l'action est transposée à notre époque et dans un autre contexte.

L'histoire de Peer Gynt est celle d'un antihéros, un aventurier irresponsable qui enlève une mariée le jour de son mariage. Au cours de ses pérégrinations il rencontre Solveig et la séduit, une simple passade de sa part car il s'enfuit pour de nouvelles aventures. Pour Solveig, Peer Gynt est l'amour de sa vie c'est pourquoi elle a promis de l'attendre jusqu'à la mort. Comme le dit Knausgard, Solveig est celle qui reste et qui donne tandis que Peer Gynt est celui qui part et qui prend.

Solveig, L'attente, après reécriture de Knausgard, est devenue une saga familiale, Solveig est une soignante qui vit avec sa fille et sa mère. Sa mère, en fin de vie, attend la mort, sa fille attend un enfant, Solveig attend aussi; une attente au sens large qui est en même temps un don de soi car Solveig offre son temps à sa mère et à sa fille. L'attente de Solveig est ponctuée de moments d'exaltation mystique et de trivialité. De ce fait, le texte de Knausgard résonne avec celui d'Ibsen. Dans cette démarche commune aux deux dramaturges, on ne peut passer sous silence l'existentialisme chrétien d'Ibsen très inspiré par l'oeuvre de Soren Kierkegaard (1813-1855).
Le texte de Knausgard, les oiseaux du ciel est, d'après le titre, une référence directe à Les lys des champs et les oiseaux du ciel, un écrit de Kierkegard qui l'avait enthousiasmé. On y trouve des histoires d'oiseaux, ceux de Kierkegard, de la bible, du photographe Stephen Gill et ceux de la réalité.

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Photo Thor Brødreskift/FiB

La mise en scène, la scénographie de Calixto Bieto et la conception vidéo de Sarah Derendinger interprètent très librement le texte de Knausgard selon le vœu explicite de ce dernier. L'attitude de Solveig, assise et parfois prostrée est celle de l'attente. Elle se trouve enfermée dans un grand cube mais ses états d'âme résonnent avec des vidéos apparaissant sur des écrans placées derrière et de part et d'autre de la scène. Les vidéos très riches représentent bien sûr Solveig incarnée par Mari Eriksmoen dans diverses postures mais aussi la fille de Solveig ainsi que les tourments du grand âge chez la mère de Solveig. Ces portraits ne manquent pas de rappeler l'art symboliste scandinave notamment celui de Edvard Munch, auteur d'un portrait de femme troublant (La broche).
Les oiseaux du ciel durent aussi plaire à Calixto Bieto et Sarah Derendinger car les oiseaux tiennent un place considérable dans la mise en scène et la conception video. S'agit-il des oiseaux de l'Evangile selon Saint Mathieu ou ceux de la prédication de Saint François? Ici, une analyse photographique d'un envol de pigeons, les ébats dans le ciel d'un rapace, des couvées d'oisillons reflètent une attente spirituelle de la part de Solveig. Là le regard d'un enfant est confronté de manière insistante avec celui aussi pénétrant d'un rapace nocturne. On retiendra à la fin l'impressionnante vidéo d'un accouchement.

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Photo Thor Brødreskift/FiB

Au plan musical l'oeuvre est construite comme une Passion, terme incluant les passions humaines et la Passion du Christ. Comme une Passion, l'oeuvre comporte des airs séparés par de courts textes ou des interludes symphoniques. Les moments les plus graves sont ponctués par des choeurs chantés a capella qui à l'instar des chorals des Passions du baroque allemand, consistent en un commentaire religieux. L'oeuvre se termine avec tous les intervenants, la soprano soliste, le baryton, le choeur et l'orchestre. Les airs sont principalement ceux de l'opus 23 de Grieg c'est-à-dire ceux de l'intégrale de la musique de scène de Peer Gynt. Parmi les chorals, on retiendra les très beaux quatre Psaumes pour choeur mixte a capella opus 74. Ces derniers que je ne connaissais pas, relèvent d'un beau style post-romantique.

C'est Mari Eriksmoen qui incarnait le rôle titre. Elle faisait ses débuts à l'ONR mais avait déjà une carrière bien remplie dans les pays scandinaves et germaniques. Me réjouissant de l'entendre en juillet 2020 au festival d'opéra baroque de Beaune, je fus très déçu d'apprendre que le festival était annulé. Tout le monde connait la musique de Peer Gynt mais ici le contexte dramatique, la personnalité de l'héroïne dans la dramaturgie et la scénographie donnait à la musique un supplément d'âme et de profondeur. Mari Eriksmoen, tout de blanc vêtue comme il se doit pour une soignante, m'a enchanté par sa voix pure et la charge émotionnelle intense qu'elle diffusait par son chant et son visage, notamment dans la chanson de Solveig. Ce chant célébrissime exécuté par l'orchestre fut repris une fois par la voix sans accompagnement (Solveig chante dans sa cabane) avec une intonation parfaite. Pendant près d'une heure et demi elle est restée sur scène, son regard n'a pas faibli et a maintenu intacte l'attention soutenue du public. La soprano norvégienne était secondée dans certains passages par le baryton Laurent Koehler dont la voix chaleureuse apportait un heureux contrepoint. Le choeur de l'opéra National du Rhin en petite formation a donné aux passages choraux leur message religieux avec ferveur. Enfin l'orchestre symphonique de Strasbourg sous la direction de Elvind Gullberg Jensen a fait montre de son talent en mettant en valeur la superbe orchestration de Grieg. Dans la scène Soir d'orage sur la mer, la virtuosité orchestrale atteint des sommets. Le fameux tableau Dans le palais du roi de la montagne fut enlevé avec brio notamment dans le vertigineux crescendo accelerando final. Dans l'ouverture (Dans la cour de la mariée) située curieusement à la fin, on pouvait apprécier un séduisant solo instrumental d'alto de caractère folklorique.

L'émotion était palpable dans l'auditoire forcément clairsemé du fait d'une jauge à 50% à l'issue de cette œuvre tout à fait inclassable qui pour moi est une réussite totale.

Sources : Prologue de Camille Lienhard, Entretien de Karl Ove Knausgard avec Anders Beyer.

Pierre Benveniste

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