Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

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Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par HELENE ADAM » 21 mars 2019, 23:37

La Forza del destino

Giuseppe Verdi
Livret : Francesco Maria Piave
Mise en scène : Christof Loy

Direction musicale : Antonio Pappano

Leonora : Anna Netrebko (21,24,29 mars, 2 et 5 avril), Liudmyla Monastyrska (27 mars, 9, 12, 17 et 22 avril)
Alvaro : Jonas Kaufmann ((21,24,27 mars, 2, 5, 9 et 12 avril), Yusif Eyvazov (29 mars, 17 et 22 avril).
Don Carlo di Vargas : Ludovic Tézier (21,24,27 mars, 2, 5, 9 et 12 avril), Christopher Maltmann (29 mars, 17 et 22 avril).
Padre Guardiano : Ferruccio Furlanetto
Fra Melitone: Alessandro Corbelli
Preziosilla : Veronica Simeoni
Marquis of Calatrava : Robert Lloyd

Royal Opera Chorus
Orchestra of the Royal Opera House

Cette Forza del destino est très attendue pour toute une série de raisons : prise de rôle d'Anna Netrebko en Leonora, retour d'un ticket gagnant qui avait marqué les esprits à Munich avec la confrontation Jonas Kaufmann-Ludovic Tézier, direction musicale d'Antonio Pappano avec son génie pour créer des ambiances inoubliables avec quelques monstres sacrés.
Rappelons que Kaufmann et Netrebko n'ont chanté qu'une fois ensemble sur scène : lors d'une Traviata à Londres en 2008 pour quelques séances (Netrebko souffrante n'avait pas pu assurer la série). Le projet de les réunir dans Manon Lescaut à Munich avait échoué du fait du retrait d'Anna Netrebko à quelques jours de la Première, à cause du metteur en scène. Ils ont par contre chanté plusieurs fois ensemble en concert notamment à la Waldbühne de Berlin en 2012 et à Munich, également en plein air, au sommet des stars en 2015.
C'est donc à plus d'un titre un événement exceptionnel, très attendu, et qui a déjà donné lieu à de nombreuses spéculations, portant cette fois sur la présence ou non de Jonas Kaufmann, certains sites exprimant leurs angoisses et craintes publiquement. Le ténor était souffrant lors de la Générale et a préféré de pas y paraitre. Mais le ROH a très vite publié un communiqué assurant de sa présence pour les représentations à proprement parler.

retransmission cinéma le 2 avril
https://www.roh.org.uk/showings/la-forz ... -live-2019

Première du 21 mars, saluts - Pappano les a réunis.. :wink: .

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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par HELENE ADAM » 22 mars 2019, 00:13

Un peu plus animé :wink:

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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par paco » 22 mars 2019, 01:58

Un grand merci, Hélène, d'avoir préparé le fil.

Triomphe absolu ce soir, tous les interprètes ayant été ovationnés (avec tapement de pieds pour Tézier et Kaufmann), Anna Netrebko déclenchant carrément une véritable hystérie. Au sein d'une distribution homogène, d'une équipe en osmose totale, entre chanteurs et avec le chef, la Leonora de Netrebko fera date (mes références vécues "live" étant Caballé, Kabaivanska, Chiara et Molnar-Talajic).

Dans le même esprit que l’Aida de l’Accademia Santa-Cecilia, Antonio Pappano a réussi à créer cette homogénéité, cette empathie entre les différents interprètes, et cette osmose au service d’une interprétation captivante, souvent émouvante, qui tient en haleine du début à la fin. La direction, aux tempi relativement lents (notamment l’ouverture), privilégie l’aspect morbide, nostalgique, mordoré de la partition, davantage que son côté épique. Les cordes sont mises à l’honneur, très détachées du reste de l’orchestre, sonnant souvent claires. Le clarinettiste réussit merveilleusement le mini concertato du début du IIIe acte et, dans l’ensemble, l’orchestre et le plateau ne forment qu’un instrument, au son moelleux, envoûtant.

La Leonora d’Anna Netrebko est absolument ex-cep-tion-nelle !!!!!! Il faudrait des heures pour lister les détails de son interprétation, tant elle a travaillé les couleurs de chaque phrase, qu’elle module, varie, avec des milliers d’intentions en fonction du texte. Rien que son « Padre, signor » lorsqu’elle s’adresse à son père au Ier acte, cette façon d’alterner en deux mesures un « Padre » puissant, limite ado rebelle, et un « signor » mezza voce plein de peur, nous scotche tout de suite au fauteuil. Toute la soirée elle nous surprendra ainsi par quantité d’intentions interprétatives absolument passionnantes, culminant dans un « Pace pace » magnifique de couleurs, de puissance, de plénitude. Et que dire de sa « vergine degli angeli », jamais entendue aussi limpide et immatérielle depuis Caballé. Une Leonora en tout point extraordinaire, exceptionnelle, saluée par un immense triomphe tout à fait mérité.

A ses côtés, le tandem Kaufmann-Tézier, probablement le plus évident aujourd’hui dans cette œuvre, tant ces deux artistes font preuve d’une réelle entente musicale et d’une « amitié » indispensable pour réussir le IIIe acte, émeut toujours autant.

Ludovic Tézier était absolument déchaîné ce soir : voix arrogante, incisive, injonctions électriques au IV dans ses menaces à Alvaro, phrasé parfaitement maîtrisé, beauté du son, on l’a senti totalement maître du rôle, en grand baryton verdien qu’il est. Son air du IIIe acte, véritable leçon de chant, a déclenché à juste titre une ovation et les « Who is this singer ? Lyou-dooo-vic Tiiiziyééé » circulaient pas mal dans les rangées lorsque les lumières se sont rallumées… 😉

Jonas Kaufmann, avouons-le, n’a plus tout à fait les moyens qu’il avait il y a trois ans, avant la pause santé qui a précédé ses Lohengrin parisien puis Otello londonien. Même dans l’acoustique flatteuse du ROH, la voix sonne désormais confidentielle y compris lorsqu’il chante forte, et assez souvent engorgée avec quelques graillons notamment dans les diminuendi (ceci dit il a toujours eu des hauts et des bas de ce point de vue, parfois c’est engorgé, parfois c’est très clair, selon les soirs, même en début de carrière c’était le cas). Ceci étant il utilise ses moyens avec une intelligence qui force l’admiration et finit par convaincre. A défaut de squillo et du panache qu’un Domingo ou un Carreras mettaient dans ce rôle, son Alvaro est d’une grande tendresse, sombre, touchant. Au lieu de forcer ses moyens, il use et abuse de somptueux diminuendi, de piano-forte (notamment pour les aigus, festival de « cooot » comme Placido les aime…), de phrases d’une beauté sublime, pleines de nuances et de subtilités. Il aborde Verdi comme un merveilleux mélodiste : c’est surprenant, hors norme, mais cela émeut, c’est parfaitement conduit, et lorsqu’il y a des obstacles, notamment les contre-ut, il les affronte crânement, à pleine voix, et c’est réussi. Mais ce que l’on retient évidemment c’est surtout cette complicité unique qu’il a avec Ludovic Tézier, et de ce point de vue le IIIe acte est puissant d’émotion.

Furlanetto en grande forme : voix de bronze, puissante, phrasés majestueux, ce fut magnifique. Boris Godounov au pays de Padre Guardiano...

Corbelli impeccable de professionnalisme et de présence scénique, comme d’habitude. Seule la Preziosilla de Veronica Simeoni est une erreur de casting (voix trop frêle, à peine audible, aigus limités, timbre de soprano là où l’on est habitué à des Cossotto…), mais elle danse bien et elle est assez jolie, alors on pardonne 😉

J’ai bien aimé la production : classique visuellement, avec de très beaux tableaux, notamment lors de la « vergine deglo angeli » avec ces prêtres vêtus de noir alignés, une image qui rappelle le film « des hommes et des dieux ». Christof Loy fait de Leonora une illuminée, fascinée dès son enfance par les postures christiques (ce que l’on voit pendant l’ouverture, qui se joue rideau levé). Leonora ne va pas au couvent par hasard, mais s’y prédestine en quelque sorte. Avec une personnalité décapante comme Netrebko le concept fonctionne très bien, et cela nous change de versions plus nunuche de ce livret impossible. Comme toujours avec Loy la direction d’acteurs est vivante, et les chœurs sont soumis à rude épreuve, jusqu’à danser une chorégraphie « de type Broadway » très virtuose, tout en chantant, pendant la scène de Preziosilla au IIIe acte. Une scène assez scotchante à vrai dire.

Chœur extraordinaire du début à la fin. Une merveille tant musicalement que théâtralement.

Au global, une représentation qui fera date au ROH, et probablement la meilleure Forza que l’on puisse imaginer de nos jours. A ne rater sous aucun prétexte… !!

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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par Hiero von Stierkopf » 22 mars 2019, 06:19

Merci paco, c’est réjouissant !
Comment ça, merde alors ?! But alors you are French !

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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par franz » 22 mars 2019, 08:04

Entendu du parterre rang M centre aucune réserve concernant le volume sonore de Kaufmann. Parfait.
D'accord pour le reste des appréciations de Paco (mais pas entendu les graillons de Kaufmann, pourtant j'y suis sensible: cf son récital Strauss au TCE.). Tezier superlatif. Netrebko a eu un petit accident de souffle dans le Pace pace qui a coupé la ligne pendant une fraction de seconde mais, bien qu'inattendu, cela restera anodin. J'ai aussi retrouvé l'ambiance Aida que nous avions eu à Rome. Mise en scène sans problème.

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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par HELENE ADAM » 22 mars 2019, 09:45

Merci pour vos CR, vivement dimanche ! :wink:

Une première critique qui rejoint vos échos et qu'on peut résumer par : cela en valait le déplacement (et le prix !) :wink:

https://www.culturewhisper.com/r/opera/ ... RJS6OphF8c


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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par Bernard C » 22 mars 2019, 10:00

Merci Paco pour cet excellent CR qui nous éclaire.
++++

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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par micaela » 22 mars 2019, 10:21

Merci pour ces premiers avis. Très encourageant avant d'aller voir la retransmission du 2/4.
Le sommeil de la raison engendre des monstres (Goya)

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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par HELENE ADAM » 22 mars 2019, 12:01

The Telegraph ( Rupert Christiansen) n'aime ni cet opéra ni trop cette mise en scène (que le public a apprécié, note l'auteur, ce qui change), mais considère que l'ensemble est superlatif sur le plan musical
"What lifts the evening heavenwards, however, is fabulous singing of Golden Age quality. The superstars Netrebko and Kaufmann are both in magnificent voice, bringing delicate and thoughtful musicianship as well as full-throttled power to their big arias – Netrebko in particular impresses with her inexhaustible generosity and commitment. Fully their equal is the astounding French baritone Ludovic Tézier as the heroine’s vengeful brother – we must hear more of him. Two seasoned masters, Ferruccio Furlanetto and Alessandro Corbelli, do a fine double; Veronica Simeoni makes a feisty if squally vivandière.
With the chorus in sparkling form, and Pappano conducting with turbocharged intensity, this must be about as good as this flawed but rewarding opera can get.


https://www.telegraph.co.uk/opera/what- ... umIWo9-5J4

Et Bachtrack (Mark Pullinger) en extase devant la Leonora de Netrebko : [i]This was Netrebko’s role debut as Leonora and it fits her like a glove. The laser-like top to her spinto pins you to your seat and she spins phrases like there’s no tomorrow. There’s a vampish quality to her inky lower register which suggests she could even tackle mezzo roles like Eboli if she fancied it.[/i]et qui parle ainsi du duo Kaufmann-Tézier " Kaufmann has sung Alvaro opposite Ludovic Tézier’s Carlo before in Munich. It really is a special partnership, recalling the likes of Franco Corelli and Ettore Bastianini back in the golden era of the 1950s. Their voices blend like coffee and cream and each somehow sparks dramatic life into the other as the two characters goad each other on in pursuit of vengeance."
https://bachtrack.com/fr_FR/review-forz ... hBki9ATG0g

NY Times écrit :
"The public, it turns out, often hasn’t felt the same. Even today, “Forza” struggles for affection more than practically any of Verdi’s mature works. It’s unwieldy and weird, with creaky plot twists and jarring shifts of mood.
Yet when it is taken seriously, staged intelligently, cast carefully, and conducted with energy and polish, it can indeed be something quite out of the ordinary. And at the Royal Opera here, in a production that opened on Thursday, it is fully extraordinary.
The central draw is the starry, comet-rare pairing of the soprano Anna Netrebko, 47, and the tenor Jonas Kaufmann, 49, the major singers of their generation. They have come together in a staged opera only once before: “La Traviata” here in London, 11 years ago.
Since then, both have dived into darker, heavier roles, occasionally overlapping in repertoire but never on the same stage. Until now. And it feels like the meeting of two veterans at the top of their game, their chemistry comfortable and their combined effect galvanizing.
"

https://www.nytimes.com/2019/03/22/arts ... g33_L9f4Rs

https://www.thejc.com/culture/music/rev ... 6g-6SqKDk0
It’s often said that a successful production of Il Trovatore needs only the four best singers in the world. That will now have to apply to La Forza del Destino: on this evidence, on this night, the Royal Opera had just that. Anna Netrebko and Jonas Kaufmann are a rare but electric combination on stage; Jonas Kaufmann and Ludovic Tézier play off each other with an intensity that can barely be imagined; and Ferruccio Furlanetto adds a lustre of nobility. This is singing and music making of the highest calibre.

https://www.independent.co.uk/arts-ente ... HUgPauqwEc
Ludovic Tezier’s Carlo makes the perfect foil for Kaufmann’s Alvaro, and it’s nice to report that the central pair are at the very top of their form. Netrebko’s Leonora is a mature woman in her splendid prime, rather than a vulnerable girl, but her singing is simply sublime, power and pathos under the smoothest control. Kaufmann’s top notes have the usual heroic gleam and his pianissimi are gorgeously focused.
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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Re: Verdi - La Forza del destino - Pappano/Loy - ROH - 03/04/2019

Message par paco » 22 mars 2019, 14:12

franz a écrit :
22 mars 2019, 08:04
Tezier superlatif.
Ce qui est impressionnant chez lui, c'est qu'il a totalement assimilé les couleurs typiques du baryton verdien : outre une diction italienne absolument impeccable, totalement idiomatique, il épouse toute la rythmique au niveau des accents, de l'arrogance des consonnes, du "balzo" (difficile à traduire, on pourrait dire "rebond"). Dans ses interviews il dit s'inspirer de Cappuccilli, eh bien cela s'entend. Hier soir, les yeux fermés on aurait presque pu confondre les deux... ! :D

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