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par srourours » 07 mai 2018, 20:49
Récital du ténor Michael Spyres
avec
L'orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine (OCNA)
sous la direction de Jean-François Heisser
Opéra Comique le 4 mai 2018
Programme
Étienne Méhul "Oh, Dieux, écoutez ma prière!" Ariodante
Jacques Offenbach "Il était une fois", Les Contes d'Hoffmann
Gioachino Rossini Ouverture, L’Italienne à Alger
Léo Delibes "Ah! Viens dans la forêt profonde", Lakmé
Ambroise Thomas "Adieu, Mignon, courage", Mignon
Léo Delibes Airs de danse, Lakmé
Hector Berlioz "Nature immense", La Damnation de Faust
Jules Massenet Air de Saint Sulpice, Manon
Georges Bizet Habanera, La Garde montante, Danse bohême, Carmen
Georges Bizet " La fleur que tu m'avais jetée ", Carmen
Gustave Charpentier "Elle va paraître" (extrait), Louise
Bis
Adolphe Adam "Mes amis, écoutez l'histoire", Le Postillon de Longjumeau
Jacques Offenbach, "Il était une fois", Les Contes d'Hoffmann
La première réaction à la lecture du programme est l'étonnement. En effet, Michael Spyres aime à faire entendre de nouveaux répertoires, des inédits, à sortir des sentiers battus. Hors, ici, force est d'admettre qu'à l'exception des airs d'ouverture et de conclusion, c'est à une sorte de "best-of" des airs pour ténor d'opéra-comique auquel nous assistons. Ce même reproche s'applique aux intermèdes orchestraux, dont on ne comprend pas très bien ce que vient faire ici l'ouverture de L'Italiana in Algeri, crée en 1813 au Teatro San Benedetto de Venise (les opéras de Rossini créés à Paris l'ayant été pour leur grande majorité salle Le Peletier), surtout donné ici dans une version honnête et bien en place, sous la direction tout de même peu imaginative de Jean-François Heisser. Les airs de danse de Lakmé se révéleront bien plus convaincants que les adaptations de Carmen, franchement datées. Pourquoi pas de Méhul, de Philidor, de Piccini ? Le répertoire ne manque pourtant et l'on est un peu désolé que davantage d'attention n'ait été porté à l'élaboration du programme. Cependant, l'accompagnement des airs se révèlent attentif et concerné en dépit de menus décalages.
Deux constats préalables à une approche plus détaillée des airs abordés: Michael Spyres ne semble pas tout à fait remis de la bronchite l'ayant conduit à annuler sa participation au requiem de Berlioz donné quelques jours plus tôt sous la direction de Mikko Franck à la philharmonie de Paris.Le souffle se fait plus court que d'habitude (cela est particulièrement notable pour nous dans le Berlioz où on l'a entendu si souverain dans cette même oeuvre sous les baguettes de Roth et Gardiner), et certains phonèmes sont plus difficiles que d'autres (en particulier les i et les é). Enfin il est à noter l'excellent restitution du texte de Spyres, qui accorde un soin remarquable à la prononciation de la langue française, en même temps qu'un véritable travail de sens et de couleur des mots. En cela déjà, ce récital se démarque de bien d'autres où seule l'exhibition vocale tient lieu de proposition musicale.
Cependant, force est de constater que ce récital alterne le grandiose et le passable, sans doute parce que les typologies vocales abordées sont par trop éloignées, et par moment excèdent les moyens naturels de Spyres.
L'air de Méhul le voit pourtant très à son aise, dans un air et un répertoire que Spyres connait bien. Il a déjà abordé la production de Méhul et ce rôle en particulier (donnant même le deuxième air d'Ariodant dans l'opéra éponyme "Amour, si je succombe") lors de concerts en 2017 avec Jonathan Cohen à la baguette et l'orchestre de l'âge des Lumières. Le français est excellent, et la tessiture très centrale de cet air (du do grave au la aigu) une excellente mise en voix. Spyres ne se révèle pas aussi souverain dans les Contes d'Hoffmann mais il a ce don de la caractérisation, de la couleur, de la proposition d'un chant qui n'est jamais monochrome. En cela, l'air de Lakmé est riche de demi-teintes, d'une forme de fragilité cependant rattrapés par de premiers graillons dans un air de Mignon quelque peu gêné aux entournures. La damnation de Faust le voit revenir dans un élément naturel, où le chanteur donne ses tripes, fini presque à genoux, d'un engagement effarant. Sublime, quand on connaît l'amour que Spyres porte au compositeur. S'en suivent les deux airs les moins convaincants du programme: l'air de Saint-Sulpice tiré de la Manon de Massenet où les "yez" de fuyez partent systématiquement en arrière, noyant en partie la portée dramatique du passage, quand l'air de la fleur voit le chanteur contraint à l'accident dans la transition voix de poitrine/voix de tête de la montée finale exécutée très tôt (le "une" de "j'étais une chose à toi" ne sort tout simplement pas). L'air de Louise de Gustave Charpentier voit le chanteur libéré, de nouveau très convaincant.
Deux bis couronnent ce récital: l'air du Postillon de Longjumeau que Spyres restitue avec une grâce délectable, et cet art du trille que décidément peu de chanteurs maîtrisent autant que lui. Les extrapolations dans l'aigu ajoutées dans une deuxième exécution de l'air d'Hoffmann, toujours aussi incarné et vivant, font entendre des suraigus néanmoins plus serrés que de coutume (il en va de même pour le contre-ré du Postillon).
Quels enseignements tirés alors de ce récital ? Que sans doute Spyres devrait aborder avec la plus grande prudence les opéra-comique de la deuxième moitié du XIXème, qui sollicite plus que de raison son haut-medium quand le chanteur sans doute a besoin d'une assise plus grave (Mehul, et Berlioz qui admirait tant Mehul...). Ses réussites dans les rôles de baritenore nous le rappelle, et il ne faut pas oublier que le chanteur a commencé ses études baryton. Mais Spyres est comme tout les touche-à-tout, tantôt exaltant, parfois irritant, toujours passionnant.
Paul-Louis Chevallier