Mascagni/Leoncavallo - Cav/Pag - Callegari/Frédric - ONR -06 /2017

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Piero1809
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Mascagni/Leoncavallo - Cav/Pag - Callegari/Frédric - ONR -06 /2017

Message par Piero1809 » 06 juin 2017, 07:25

Cavalleria rusticana, Pietro Mascagni
Pagliacci, Ruggiero Leoncavallo

Daniele Callegari, Direction Musicale
Kristian Frédric, Mise en scène
Bruno de Lavenère, Décors
Gabriele Heimann, Costumes
Nicolas Descoteaux, Lumières
Laura Pellerin Assistante à la mise en scène

Partie I Cavalleria rusticana

Géraldine Chauvet, Santuzza, jeune paysanne
Stefano La Colla, Turizzu, jeune paysan
Elia Fabbian, Alfio, charretier prospère
Stefania Toczyska, Mamma Lucia, mère de Turizzu
Lamia Beuque, Lola, femme d'Alfio

Partie II Pagliacci

Stefano La Colla, Canio (Pagliaccio), chef de la troupe
Brigitta Kele, Nedda (Colombina), comédienne
Elia Fabbian, Tonio (Taddeo), l'idiot, comédien
Vito Priante, Silvio, paysan
Enrico Casari, Beppe (Arlecchino), comédien.

Choeurs de l'ONR, Direction Sandrine Abello
Petits chanteurs de Strasbourg
Maitrise de l'ONR, direction Luciano Bibiloni

Orchestre Philharmonique de Strasbourg

ONR, Nouvelle Production

Cavalleria rusticana (1890) et Pagliacci (1892) sont deux opéras emblématiques du Vérisme. Le prologue de Pagliacci est en effet un remarquable manifeste de ce courant musical. C'est le monde réel qui est reflété par la musique, monde non enjolivé, montré tel qui est et sans complaisance. Les gens heureux n'ont pas d'histoire, ce sont donc des gens malheureux, des gens qui souffrent, des gens en butte aux pires difficultés sociales qui vivent sur la scène et qui clament leur désespoir. Dans les deux opéras le spectateur assiste à deux faits divers banals, du type de ceux que l'on lit couramment dans le journal. Dans les deux cas, un mari bafoué assassine à coups de couteau son rival. Si dans Cavalleria rusticana, la scène se déroule dans une campagne misérable de Sicile, dans Pagliacci, c'est un cirque ambulant qui est la toile de fond du drame . Dans ce lieu, le meurtre sera perpétré devant les spectateurs lors d'une arlequinade. Le théâtre dans le théâtre, mise en abîme où théâtre et monde réel se confondent, voilà le superbe scénario imaginé par Leoncavallo.. La commedia est finita, hurle Pagliaccio après son forfait et cette phrase sert de conclusion au spectacle entier.

Image
Photo Alain Kaiser

La musique est au service des émotions et des passions, les compositeurs n'hésitent pas à employer les grands moyens, grandes effusions lyriques des chanteurs, des ténors en particulier avec des sanglots dans la voix, orchestre massif donnant aux cordes la primauté et doublant le plus souvent les chanteurs. Cette critique vaut surtout pour Cavalleria rusticana, l'orchestre de Pagliacci est plus subtil et certaines pages comme le monologue de Colombina, Hui ! Stridono lassu liberamente... sont finement ciselées.. On peut ne pas apprécier ce style mais force est de constater qu'il est efficace et que le spectateur est rapidement captivé! L'attrait de la musique réside en outre dans l'emploi de la couleur locale et des langues régionales notamment le sicilien dans Cavalleria rusticana. Le succès triomphal de ces opéras au moment de leur création ne s'est pas démenti par la suite. Gabriel Fauré qu'on pourrait croire aux antipodes de ce style, a utilisé le thème du célébrissime Ridi Pagliaccio dans le finale du trio en ré mineur opus 120, un de ses immortels chefs-d'oeuvre

Etant donné le poids de la tradition dans des opéras aussi connus, la mise en scène et la scénographie posaient quelques problèmes. Kristian Frédric et Bruno de Lavenère ont choisi de situer l'action en 1950 dans un bidonville pour Cavalleria rusticana. Le bidonville est figuré comme un amoncellement de baraques surpeuplées et crasseuses. Le spectateur est témoin des ébats amoureux des uns, montrés avec une complaisance que j'ai trouvée complètement hors sujet, des disputes conjugales des autres. Au début de l'action, les villageois installent la statue d'une immense Vierge des Sept Douleurs, illustration du Stabat mater, représentation doloriste assez impressionnante..Les évènements se conjuguent et s'enchainent vers une fin inéluctable, l'exécution de Turiddu, scène d'une violence inouie. Les références cinématographiques ou littéraires sont nombreuses, Affreux, sales et méchants, Les Affranchis ou encore le roman noir mettant en scène le crime organisé. Un personnage mystérieux rode dans les ruelles, jeune femme enceinte, vêtue de haillons, éponge absorbant les émotions des êtres qu'elle rencontre. En entendant le hurlement de Turiddu, le déchirement qu'elle ressent et sa chute brutale laissent augurer un autre drame imminent, tandis que s'effondre et se disloque la statue de la Vierge. Cette conclusion violente et concise est vraiment remarquable.
Dans Pagliacci, l'action se passe en 1978 en Calabre, nous sommes dans un cirque ambulant et Pagliaccio, Canio dans le civil, s'apprête à monter une arlequinade avec Arlecchino, Colombina et Taddeo. Les bidonvilles sont devenus des barres d'immeubles HLM, le confort s'est amélioré mais une nouvelle crise sociétale est apparue, elle atteint son paroxysme au temps des brigades Rouges et de l'assassinat d'Aldo Moro, président de la Démocratie Chrétienne, évènements rappelés en vidéo durant le prologue. Ici aussi les références cinématographiques (Una giornata particolare par exemple) sont nombreuses. Des spectacles clownesques et une bande de circassiens donnent un rythme endiablé à l'action et au drame inéluctable qui se noue.
Les éclairages de Nicolas Descoteaux jouent habilement sur le contraste entre l'ambiance misérabiliste du premier opéra et les feux de la rampe du spectacle clownesque qui suit. Une habile direction d'acteurs,de beaux costumes, l'absence de temps mort dans les deux opéras et des protagonistes totalement investis font de ces deux mises en scène une réussite indéniable.

Image
Photo Alain Kaiser

Stefano La Colla indiscutablement s'impose dans le rôle de Turiddu et celui de Pagliaccio. C'est lui qui ouvre le bal avec O Lola, c'hai di latte tua cammisa, air inspiré d'un chant populaire sicilien. On est immédiatement conquis par sa voix hardiment projetée aux aigus percutants. Son duo avec Santuzza, Ah ! lo vedi, che hai tu detto ? était impressionnant. Son air fameux Ridi, Pagliaccio...déclencha l'enthousiasme du public. Geraldine Chauvet réussit une composition vivante et émouvante du personnage de Santuzza. Sa confession à la mamma Lucia était un grand moment d'opéra. Une autre révélation de la soirée fut Brigitta Kele dans le rôle de Nedda, alias Colombina, l'intonation est absolument parfaite, la voix n'est pas volumineuse mais possède un timbre agréable. La soprano roumaine fit preuve de beaucoup de talent dans son air Hui ! Stridono lassu liberamente... où elle exprime avec chaleur et sensualité ses aspirations. . Son duo d'amour avec Silvio fut très réussi avec de superbes aigus. Elia Fabbian, baryton, fut souverain dans le rôle de Tonio, notamment dans sa longue intervention du prologue avec une voix remarquablement projetée et une superbe diction. Lamia Beuque (Lola) bien connue des spectateurs de l'Opéra Studio, a parfaitement tiré son épingle du jeu, la mezzo a une voix au timbre très agréable et une belle ligne de chant. Elle mériterait qu'on lui confie un premier rôle. Stefania Toczyska fut une émouvante mamma Lucia. Vito Priante (baryton) chanta avec aisance le rôle de Silvio, paysan amoureux de Nedda. Enrico Casari (ténor) fut un excellent Arlecchino.
La réussite de Pagliacci doit beaucoup aux évolutions des clowns et des acrobates qui imprimèrent à ce spectacle un rythme endiablé.

Dès les premières mesures on sent bien que Daniele Callegari connait son sujet à fond et impulse à l'orchestre philharmonique une grande ferveur. On l'a dit, l'orchestration massive m'a paru laisser peu de place aux soli instrumentaux, la harpe mise à part, mais on a pu admirer la cohésion de l'ensemble et la splendeur des cordes. Les choeurs et la Maîtrise de l'ONR furent remarquables, notamment dans les choeurs religieux de Cavalleria rusticana.

Le dernier spectacle de la saison de l'ONR et la dernière production de son directeur Marc Clémeur furent chaleureusement salués par le public.

Pierre Benveniste

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Re: Cav/Pag - Mascagni/Leoncavallo - Callegari/Frédric - ONR -3/06/2017

Message par HELENE ADAM » 06 juin 2017, 07:44

Merci pour ton CR et ravie que tu aies apprécié Stefano La Colla que j'ai personnellement (et au hasard d'une annulation) découvert à Rome en Cavaradossi,il y a quelques années. Un soir où le remplaçant était, de loin, le meilleur du plateau !
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Re: Cav/Pag - Mascagni/Leoncavallo - Callegari/Frédric - ONR -3/06/2017

Message par Hiero von Stierkopf » 06 juin 2017, 08:02

Merci pour le compte rendu Pierre.

J'y étais aussi samedi et j'ai plutôt passé une bonne soirée.

Stefano La Colla confirme les bonnes impressions que j'avais ressenties à Munich pour son Calaf.
Un timbre solaire, de beaux aigus et une projection insolente.
Scéniquement c'était pas mal aussi.

Je suis un peu plus réservé sur la Santuzza de Géraldine Chauvet avec des aigus parfois difficiles et des graves de mon point de vue pas suffisamment convaincants.

J'ai apprécié la Nedda de Brigitta Kele vocalement et scéniquement très convaincante.

J'ai bien aimé le baryton Elia Fabbian que je découvrais. A noter que c'est lui qui conclue Pagliacci (La commedia è finita).
Super Mamma Lucia.
Bons chœurs.

La direction de Callegari m'a beaucoup plu.
La confrontation Turiddu/Santuzza est chantée avec plus de retenue qu'usuellement (''va ti ripeto'' notamment).

J'ai trouvé la mise en scène réussie sur le plan esthétique mais elle n'apporte finalement pas grand chose.
Pas subjugué par l'idée de Silvio fils de Santuzza censée relier les deux œuvres (je passe sur le bruit de chantier pendant l'entracte pour signifier l'évolution du décor).
La transposition de Pagliacci dans les années de plomb m'a semblé très intéressante au départ mais le fil conducteur s'estompe au fil de l'œuvre.
C'était assez bien dirigé et efficace.
Comment ça, merde alors ?! But alors you are French !

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Re: Cav/Pag - Mascagni/Leoncavallo - Callegari/Frédric - ONR -3/06/2017

Message par Piero1809 » 06 juin 2017, 14:26

Hiero von Stierkopf a écrit :
06 juin 2017, 08:02

J'ai bien aimé le baryton Elia Fabbian que je découvrais. A noter que c'est lui qui conclue Pagliacci (La commedia è finita).
Dans l'hystérie qui sévit dans cette dernière scène, je n'avais pas remarqué ce détail. Merci de l'avoir noté. C'est pourtant Pagliaccio qui prononce ces mots dans le livret.

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Re: Mascagni/Leoncavallo - Cav/Pag - Callegari/Frédric - ONR -3/06/2017

Message par Markossipovitch » 06 juin 2017, 21:59

En fait ces paroles étaient dévolues au baryton. C'est Caruso qui les a annexées au rôle du ténor.

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Re: Mascagni/Leoncavallo - Cav/Pag - Callegari/Frédric - ONR -06 /2017

Message par Piem67 » 09 juin 2017, 12:20

Vu cette prod également, jolie et efficace.

Musicalement, j'ai surtout aimé la direction de Callegari, très énergique et emportant le spectateur.
Vocalement, on a tellement de références dans les oreilles... Disons que c'était honnête et agréable. J'ai particulièrement apprécié Vito Priante.
Sinon, parfois, ça gueulait un peu beaucoup tout de même...

J'ai trouvé le son du bruit de chantier diffusé dans des haut-parleurs dans TOUTE la salle pendant l'entracte extrêmement fort, et ça augmentait pour le début de Pagliacci avec cette évocation de l'assassinat d'Aldo Moro (qui, comme l'a bien remarqué Hiero, s'étiole rapidement : ça n'apporte rien à la suite du spectacle) et c'était vraiment assourdissant au point que quand la musique commence enfin (car en plus, ce "Prologue" est très long), on ne peut que ressentir un soulagement...

Je partage aussi tout à fait l'avis de Pierre Benveniste sur la crudité des scènes de sexe qui parsèment la mise en scène et qui sont totalement gratuites, j'ai vraiment trouvé ça consternant. Idem pour la scène de violence conjugale au début de Cavalleria. Le public a d'ailleurs un peu réagi contre ces images parfaitement inutiles à ce niveau.

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Re: Mascagni/Leoncavallo - Cav/Pag - Callegari/Frédric - ONR -06 /2017

Message par Hiero von Stierkopf » 09 juin 2017, 12:55

Cavalleria Rusticana est une œuvre qui me fascine par sa radicalité et y intégrer dans la mise en scène une certaine violence me plaît assez.
Mais je suis assez d'accord pour dire que les scènes de nudité crue avaient l'air de gadgets sans grande portée.

L'exécution de Turiddu avec un excès d'hémoglobine brouillon faisait plus penser à un film gore. D'ailleurs une partie du public s'est marrée. Dommage car j'étais presque entré en phase d'apnée !
Comment ça, merde alors ?! But alors you are French !

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Re: Mascagni/Leoncavallo - Cav/Pag - Callegari/Frédric - ONR -06 /2017

Message par Piero1809 » 14 juin 2017, 20:43

J'ai intégré deux photos au compte rendu ci-dessus.

Dernière représentation strasbourgeoise jeudi 15 juin à 20H
Mulhouse Filature 23 juin 20h et 25 juin à 17h

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Re: Mascagni/Leoncavallo - Cav/Pag - Callegari/Frédric - ONR -06 /2017

Message par Dapertutto » 20 juin 2017, 08:33

Piem67 a écrit :
09 juin 2017, 12:20
Je partage aussi tout à fait l'avis de Pierre Benveniste sur la crudité des scènes de sexe qui parsèment la mise en scène et qui sont totalement gratuites, j'ai vraiment trouvé ça consternant.
Mon cousin qui y est allé avec sa fille de 10 ans n'a pas franchement apprécié.
Le site de l'ONR conseille le spectacle à partir de 10 ans (ce qui est logique compte tenu des deux histoires) mais vu la tonalité de ces scènes il trouve qu'elles avaient plutôt leur place un premier samedi du mois à minuit sur Canal+. Bref pas du tout pour les enfants. L'interdire au moins de 12 ans voire au moins de 16 ans ne serait-il pas plus judicieux. On réglemente fortement la télé, mais pas les scènes nationales ?
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Re: Mascagni/Leoncavallo - Cav/Pag - Callegari/Frédric - ONR -3/06/2017

Message par Loïs » 20 juin 2017, 08:53

Markossipovitch a écrit :
06 juin 2017, 21:59
En fait ces paroles étaient dévolues au baryton. C'est Caruso qui les a annexées au rôle du ténor.
C'est ce que je pensais aussi mais un universitaire US a l'air de dire que c'est un peu plus compliqué (malheureusement on ne peut atteindre que le début de l'ouvrage , 1 page sur 12)
https://www.jstor.org/stable/478969?seq ... b_contents

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