Un Tristan Bouddhique ou new age?

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Un Tristan Bouddhique ou new age?

Message par faustin » 22 avr. 2005, 21:14

Un Tristan bouddhique ou new age ?
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Je prends l?initiative d?ouvrir un autre fil sur Tristan qui permettrait de discuter les ambitions philosophico-religieuses de Peter Sellars et de Bill Viola dans leur représentation de l?opéra de Wagner.

On peut lire sous la signature de Peter Sellars, dans l?argument :
« Alors que leur extase atteint son sommet, le cri d?alarme de Brangäne jaillit dans le ciel nocturne comme des nuages roulant depuis la mer. La vérité que toute joie de ce monde s?éteindra, toute beauté mourra ou sera tuée, sublime et rehausse la musique d?amour ? nous entendons la voix céleste de la compassion exposant les quatre nobles vérités du Bouddha aux humains. »

Bill Viola lui signe un article également surprenant intitulé Un monde d?images en mouvement; ce sont des extraits de « notes d?intention » publiées dans le programme de Tristan Project au Walt Disney Concert Hall, en décembre 2004.

« Pour réaliser leur amour dans sa plénitude Tristan et Isolde doivent finir par transcender la vie elle-même. Ce thème de la nature spirituelle de l?amour humain est des plus anciens et, remontant au-delà des origines médiévales des légendes celtes, plonge ses racines au c?ur de la tradition hindouiste et bouddhiste du tantra, immergée dans l?inconscient culturel occidental. C?est Peter Sellars qui m?a, le premier fait découvrir cette connexion avec les sources orientales qui me préoccupent depuis longtemps.

Dans les trois actes, les images contiennent des fils entrelacés et récurrents mais sont distinctes dans leur réflexion des différentes étapes qui jalonnent le chemin de l?amant vers la libération :

Acte I Thème de la purification, acte de la préparation de l?individu au sacrifice et à la mort symboliques nécessaires à la transformation et à la renaissance du moi. La décision de boire la mort plonge les amants sous la surface et leur révèle l?océan infini d?un monde immatériel invisible.

Acte II Réveil du Corps de Lumière, la libération, grâce à l?illumination purificatrice de l?amour, de la forme spirituelle lumineuse prisonnière de l?obscure inertie du corps matériel.

L?acte III décrit la Dissolution du Moi dans les différentes étapes de l?agonie?
Enfin, les amants s?élèvent chacun leur tour et disparaissent en paix dans un royaume qui dépasse les polarités mâle et femelle, naissance et mort, lumière et obscurité, début et fin.


Je sais bien sur quels arguments Peter Sellars et Bill Viola s?appuient pour rattacher Tristan au bouddhisme. Richard Wagner était un connaisseur sinon un disciple de Schopenhauer ; Schopenhauer a été le premier philosophe de l?occident à prendre connaissance et à accorder un place au Bouddhisme. Wagner, Schopenhauer Bouddhisme, telle est le schéma. Notons cependant que dans son livre Le culte du néant, Roger Paul Droit a montré que cette découverte du Bouddhisme par les philosophes du XIXe siècle a en fait accumulé les contre-sens sur cette doctrine ce qui veut dire que le Bouddhisme que Richard Wagner a pu connaître par Schopenhauer est un Bouddhisme totalement dénaturé. On sait également que Wagner était préoccupé par le Bouddhisme car s?il avait vécu plus longtemps, il aurait écrit un opéra sur ce sujet.

Mais ces considération ne suffisent pas à rattacher de manière sûre Tristan et Isolde au Bouddhisme. Je doute pour ma part que la manière qu?ont Peter Sellars et Bill Viola d?interpréter cette ?uvre satisfasse ceux qui la connaissent en profondeur et qu?elle soit jugée pertinente par les familiers de la doctrine bouddhique.

Peut-on dire que Tristan et Isolde soit de près ou de loin un opéra bouddhique ? Je répondrais catégoriquement par la négative, cette ?uvre qui exalte l?amour fou est à l?opposé de cette doctrine qui préconise l?extinction du désir et des passions. L?idée que l?amour de deux êtres conduit à la libération est irrecevable pour les disciples de Sakyamuni.

Plus qu?au Bouddhisme, les notes d?intention de Bill Viola me font penser à une sorte de gnosticisme, par exemple quand il écrit « l?illumination purificatrice de l?amour, de la forme spirituelle lumineuse prisonnière de l?obscure inertie du corps matériel ». Je vois dans cette invocation du Bouddhisme la récupération d?une doctrine et cette démarche n?est pas sans rappeler le New Age, mouvance qui fait des différentes doctrine un douteux salmigondis.

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Message par Friedmund » 22 avr. 2005, 21:30

Dans les extraits que tu cites, Viola et Sellars semblent plus raccrocher Tristan à des thématiques bouddhistes, "immergée(s) dans l'inconscient collectif occidental" qu'au bouddhisme lui-même. Ils prennent d'ailleurs le soin d'exposer la constance humaine de ces valeurs dans les phrases que tu cites.

Par ailleurs, on retrouve beaucoup des enseignements bouddhistes chez les philosophes grecs, à commencer par Epictète. Les éléments de sagesse en question sont peut-être simplement universels.

La thématique de la transcendance, qui n'est pas uniquement bouddhiste (on la retrouve dans nombre de religions... voire dans toute organisation laïque qui se réclame d'une dimension spirituelle), est par contre effectivement au coeur de Tristan: transcendance de la vie dans l'amour, transcendance de soi dans l'autre, transcendance de l'amour dans la mort.

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le bouddhisme récupéré par des artistes new age

Message par faustin » 23 avr. 2005, 08:59

Tristan mis à la sauce d'un Bouddhisme récupéré par des artistes new age
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"une thématique bouddhique immergée dans l'inconscient collectif occidental".
inconscient collectif... et voila récupérée la psychanalyse jungienne, autre ingredient du new age.
Je voudrais bien savoir quel chercheur un peu sérieux, même jungien confirmerait qu'il y a une thématique bouddhique dans notre inconscient collectif.
C'est très facile, quand on parle d'inconscient, on n'a pas à prouver quoi que ce soit, puisque par définition l'inconscient n'est pas connu.

Je voudrais qu'on m'explique certaines choses:
(i) la description que fait Bill Viola du texte de Tristan dans son article "un monde d'images en mouvement" a-t-elle un quelconque rapport avec ce qu'a écrit Wagner, j'en doute fort.

Est-il question chez Wagner de "Réveil du Corps de Lumière, de Dissolution du Moi, de dépassement des polarités même et femelle, naissance et mort" etc.?

(ii) Cette description a-t-elle un quelconque rapport avec le Bouddhisme?
Quand je lis "Réveil du Corps de Lumière, la libération grâce à l'illumination purificatrice de l'amour, de la forme spirituelle lumineuse prisonnière de l'obscure inertie du corps matériel" on est à mille lieues du Bouddhisme, on est en plein gnosticisme. Prière de ne pas tout mélanger.

Peter Sellars est sans doute un grand metteur en scène, Bill Viola un grand vidéaste, cela ne les autorise pas à faire leurs courses dans le grand supermarché des spiritualités qu'ils ne connaissent pas, à se prendre pour des philosophes et des exégètes et à nous asséner des idées fumeuses qui révèlent une profonde méconnaissance des doctrines religieuses qu'ils invoquent. C'est du n'importe quoi, c'est du new age et il faut mettre le hola à de telles dérives.

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Re: le bouddhisme récupéré par des artistes new age

Message par Remigio » 23 avr. 2005, 09:11

faustin a écrit : C'est du n'importe quoi, c'est du new age et il faut mettre le hola à de telles dérives.
C'est le Grand Inquisiteur qui t'a soufflé ça ? Ou t'as fumé de l'encens ce matin Faustin !? :lol:

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Message par yves » 23 avr. 2005, 10:04

Friedmund a écrit :.. Les éléments de sagesse en question sont peut-être simplement universels.
.t.
Et bien voilà! Certaines philosophies religieuses les ont récupérées (et c'est bien: vaut mieux ça que l'apologie de la haine, non?), et les enseignent. Effectivement le bouddhisme les analysent et les mettent en application depuis plus de mille ans et je crois avec bonheur. Certes certaines de leurs croyances sont "fausses".
"Dieux et dieux font cloître"
Traité d'arithmétique céleste, 1651, p. 78.

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Message par phenix » 23 avr. 2005, 10:28

yves a écrit : Certes certaines de leurs croyances sont "fausses".
C'est la fin de la semaine et je n'ai pas les idées claires - en début non plus! :wink: - mais je ne te comprends pas , c'est du second degré ?

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Re: le bouddhisme récupéré par des artistes new age

Message par bajazet » 23 avr. 2005, 11:51

faustin a écrit : Peter Sellars est sans doute un grand metteur en scène, Bill Viola un grand vidéaste, cela ne les autorise pas à faire leurs courses dans le grand supermarché des spiritualités qu'ils ne connaissent pas, à se prendre pour des philosophes et des exégètes et à nous asséner des idées fumeuses qui révèlent une profonde méconnaissance des doctrines religieuses qu'ils invoquent. C'est du n'importe quoi, c'est du new age
Merci à Faustin pour ces remarques que je trouve très pertinentes, et dont j'approuve les conclusions. Quant à mettre le holà ... bon courage !

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Message par yves » 23 avr. 2005, 14:45

phenix a écrit :
yves a écrit : Certes certaines de leurs croyances sont "fausses".
C'est la fin de la semaine et je n'ai pas les idées claires - en début non plus! :wink: - mais je ne te comprends pas , c'est du second degré ?
ben que "tout le monde, il est beau , tout le monde il est gentil" , la compassion, etc...Je n'aurais pas du dire que leurs croyances sont fausses, mais que leurs enseignements sont utopiques.
"Dieux et dieux font cloître"
Traité d'arithmétique céleste, 1651, p. 78.

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Refus d?interpréter Tristan comme un opéra bouddhique...

Message par Kalinowski » 24 avr. 2005, 22:18

Je suis d?accord sur le refus d?interpréter Tristan comme un opéra bouddhique, la théorie centrale du renoncement bouddhique n?est en effet pas le moteur de cet opéra.
C?est plutôt le plus « nietzschéen » des opéras de Wagner, en référence à la Naissance de la tragédie : plongée dans le néant libérateur, dissolvant toute individualité (Ich Tristan, du Isolde [?] das Wörtlein : und), et finalement vision du fondement de la tragédie : le chaos dionysiaque qui ne connaît pas les contraintes sociales et s?affirme comme origine de l?homme en tant que l?unité primaire, où nous aspirons tous : notre tragédie est justement l?individuation insurmontable, cf. le banquet de Platon, que Tristan et Isolde parviennent certes à franchir, mais dans l?au-delà.
Pour ce qui est de la connaissance dénaturée du bouddhisme, je suis encore d?accord (l?opéra bouddhique qu?il voulait écrire, ce sont Die Sieger, Les Vainqueurs), et il semble difficile de croire que Wagner ait lu directement les textes du Bouddha, et ils les connaît plutôt par Schopenhauer. Les influences schopenhaueriennes sont elles par contre incontestables (la théorie de la renonciation se trouve dans Tannhäuser, Lohengrin, Parsifal, et la tétralogie.

Mais cette connaissance « dénaturée » est en soi intéressante à étudier, dans son processus même de modification par Wagner : il y a une mythologie de Wagner, issue des sources germaniques et scandinaves, qu?il a volontairement modifiées pour dramatiser l?action. Le « bouddhisme » de Wagner a subi la même transformation pour répondre à ses propres exigences philosophiques sur le retour à la tragédie antique dans le contexte d?une musique du futur (ie : celle de l?homme futur).

C?est d?ailleurs ce qui cause en partie le divorce entre Wagner et Nietzsche : si Schopenhauer et Nietzsche sont d?accord sur le principe de la volonté de vivre, fondement de la connaissance humaine, Nietzsche refuse catégoriquement la renonciation schopenhauerienne, qu?il qualifie de lâche et lui oppose la volonté de puissance. Si Wagner s?en est + ou - tenu à la position nietzschéenne (avec des prises de distance, notamment sur le rôle de la musique), Parsifal a été ressenti comme une trahison par Nietzsche, qui reproche à Wagner de s?être effondré devant la croix? et s?est pour moi un des opéras les plus schopenhaueriens (où le véritable héros schopenhauerien est Amfortas : volonté de vivre d?où expérience du monde dans la douleur, symbolisée par sa plaie, et drame de la renonciation, opérée par Parsifal).
Mais je ne me risquerai pas à faire une interprétation bouddhiste de Parsifal !
Le héros vraiment problématique dans tous les opéras de Wagner, où les origines orientales sont à examiner sérieusement, c?est sans doute Wotan.

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Message par David-Opera » 07 juin 2005, 08:58

Depuis quelques temps l'on voit des films avec des personnages faiblement caractérisés et reprennant et étalant des principes simples de philosophie bouddhique (Kingdom of Heaven ou les derniers StarWars pour ne citer qu'eux) accompagnés de musique New age. Une certaine lenteur caractérise également ces réalisations.
Heureusement que certains propos sont hilarants quand ils semblent dit au premier degré sinon l'ennui finirai par m'envahir.

Je prend cela comme une réaction à cette haine dans le monde rapportée de manière un peu trop complaisante par les médias.

Alors je comprend que l'on souhaite rapprocher sur la forme Tristan de ce type de productions pseudo-bouddhiques mais le seul personnage apparenté à cette philosophie dans l'opéra est le roi Marke qui laisse Tristan à Isolde à la fin et leur pardonne. Le fait même de chercher à mourir pour ne plus supporter cette souffrance (le philtre de mort à l'acte I et la mort d'Isolde à l'acte III) n'a rien de bouddhique bien au contraire.

Par contre à ce que je sais Wagner avait composé cette opéra à la suite de son amour fou pour Mathilde, et après son exil à Venise il décida de manière très philosophique de renoncer à elle, laissant Tristan comme la matérialisation de ces sentiments qu'il avait vécu.

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