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Isabel Bayrakdarian chante Cléopâtre

Posté : 23 déc. 2004, 13:32
par bajazet
Ce disque CBC sorti récemment (66 minutes, sans aucun interlude instrumental) regroupe 4 incarnations de Cléopâtre dans l'opéra du XVIIIe siècle. Je vous passe la beautiful photo de la dame déguisée comme dans un film de Jean Yanne, pour saluer le très grand intérêt du récital, accompagné par la Tafelmusik Baroque Orchestra (Toronto) sous la direction de Jeanne Lamon.

J'avais entendu Bayrakdarian, lauréate du concours Domingo en 2000, dans Marc'Antonio e Cleopatra de Hasse, qu'avait dirigé Jacobs au TCE avec V. Genaux. On retrouve ici 3 airs de Cleopâtre (rôle créé par Farinelli !), dont le magnifique "Quel candido armellino", mais cette musique de Hasse est vraiment splendide continûment.
On trouve également 3 airs du Cléopatra e Cesare de Graun, que chantait déjà de façon éblouissante Janet Williams dans l'intégrale dirigée par Jacobs chez Harmonia Mundi (un must de l'opéra baroque), plus 2 passages obligés du Jules César de Haendel : "V'adoro pupille" et "Piangero la sorte mia".
Enfin, une rareté ; la Cleopatra, opéra créé à Hambourg en 1704 par Johann Mattheson (en allemand). Le disque se termine sur la grande scène de la mort de Cléopâtre, vraiment étonnante.

L'intelligence et l'intérêt du programme sont dignes d'éloge. Quant à l'interprète, elle témoigne de grandes qualités, même si la voix me paraît un peu durcie parfois par rapport au souvenir que j'en avais. Le timbre n'a pas une personnalité très marquée, l'aigu est parfois un peu metallique, mais (et ceci compense cela) l'interprète a un sens théâtral appréciable, du mordant et de l'imagination, et la voix, d'une grande aisance sur la tessiture, a sufisamment de corps et d'éloquence pour rendre justice au caractère dominateur de Cléopâtre. En d'autres termes, si Bayrakdarian n'a pas la suavité épanouie et le charme de Piau dans ce répertoire, elle a en revanche l'esprit et le poids nécessaires. Les reprises ornées sont très stylées (celles du Hasse ont été établies avec René Jacobs).
Seul regret peut-être : l'orchestre manque un peu de souplesse parfois (Jacobs offrait plus de soutien dans Hasse) mais reste plus convaincant globalement que celui de Rousset.

Conclusion : chaudement recommandé aux amateurs d'opéra du XVIIIe siècle.

Posté : 17 janv. 2005, 11:32
par Clement
j'ai trouvé par le plus grand des hasards ce CD au milieu des intégrales de Haendel dans une Fnac. Malgré une pochette évoquant plus la drag queen qu'un des soprano les mieux côtés actuellement en Amérique du nord, je n'ai guère hésité à l'acheter, d'abord pour son passionnant programme, puis pour découvrir au disque la fameuse Bayrakdarian.
je ne suis pas du tout déçu, et je partage globalement les impressions du fort éclairé M. Bajazet. la voix est effectivement assez charnue, habituée à des repertoires divers (elle a chanté Zerlina, Cléopatre, Teresa dans Cellini, etc...). elle m'a paru assez inégale d'un air à l'autre, ou même au sein d'un même air, en ce qui concerne la qualité de l'aigu (parfois pas très beau) ou l'aisance dans les traits (nombreux). mais c'est après tout bien naturel, et globalement, la prestation est personnelle, colorée et enthousiasmante. la virtuosité est satisfaisante et les variations très bien venues - je m'étais d'ailleurs demandé si les intelligentes variations dans les airs de Hasse étaient de Jacobs, merci d'avoir répondu à ma question !
en outre, les amateurs du splendide coffret "Cleopatra et Cesare" de Graun seront contents d'en entendre des versions différentes et tout à fait probantes (je préfère néanmoins le "tra la procelle" de Williams, plus percutant et piquant).

Enfin, oui HASSE est superbe, et comme la mention "premier enregistrement" ne figure pas à côté de ces extraits, je me demande si une intégrale est parue !
Mattheson est une découverte passionnante, et j'ai bien envie d'ouvrir un fil sur ce fameux "théâtre du marché aux oies" de Hambourg, qui a vu se déployer les talents de Keiser, Mattheson, Haendel, Telemann... on a envie d'en entendre plus sur cette Cleopatra de Mattheson, que Haendel a sans doute entendue (1704), et où j'oserais hardiment reconnaître des traits d'accompagnement qui évoquent vaguement le stille amare de Tolomeo dans la scène finale, d'une sobriété étonnante par ailleurs.
ACHETEZ ce CD !

Posté : 17 janv. 2005, 12:50
par EdeB
J'avais hésité à acheter ce CD et malheureusement, je ne suis pas tellement convaincue par vos arguments, et j'hésite toujours...

J'avais assisté au Marc Antonio e Cleopatra au TCE (6 avril 2001) dirigé par Jacobs, très grande soirée -dans une salle assez clairsemée !! idiots de parisiens !- diffusée par la suite par Radio Classique. Un disque aurait été prévu, mais il aurait été finalement remplacé par le récital autour de Farinelli de Vivica Genaux. Cette dernière était étonnante dans cette cantate (dont j'avais parlé en détail à l'époque dans l'ancien forum ODB parti dans les limbes informatiques...), et je ne l'ai jamais réentendue aussi convaincante... De toute façon l'oeuvre est envoûtante...
En ce qui concerne Isabel Bayrakdarian, j'avais été un peu réservée sur sa prestation, en ce qui concerne le style, qui m'a semblé parfois un peu "romantisant". La voix était à l'époque charnue à souhait, colorée et ample, mais il lui manquait le je-ne-sais-quoi qui fait tomber toute réserve. A noter que ce n'est pas dû à la direction de R Jacobs, puisque sa Romilda en mai 2000 sous la direction de C Rousset à Montpellier avait appellé les mêmes réserves de ma part.
Ce concert reste néanmoins un moment absolument enchanteur et j'ai maintes fois réécouté la bande radio.
Dans cette optique, vous comprendrez aisément que je n'ai pas tellement envie d'entendre quelques airs tirés de leur contexte, et dans un accompagnement qui risque d'être inférieur à ce que j'avais découvert...

Même problème pour le Graun, dont il existe (fort heureusement) une intégrale extraordinaire de verve d'allant et de profondeur, de théâtre, enfin ! René Jacobs, dans un de ses grands moments... On ne peut que remercier le ciel d'avoir pu bénéficier à une époque (déjà lointaine) d'une politique discographique pareille...
Janet Williams a parfois des aigreurs et des pointes de soubrette dans la voix, mais son personnage est construit intelligemment et dans la ligne logique de ses possibilités vocales. Certes sa Cléopatre est un peu mutine par moments, malgré une action qui reste sommes toutes assez sombre, mais on peut expliquer cela par la jeunesse du personnage...
I Bayrakdarian correspond sans doute plus à l'idée que l'on peut se faire de la dernière souveraine d'Egypte. Mais, alors qu'on dispose de l'intégrale HM, faut-il quand même se diriger vers des extraits coupés de leur contexte ? personnellement, le principe des récitals d'airs séparés m'indispose assez, même si les airs sont inédits et /ou correspondent à mon répertoire de prédilection : j'en ressors généralement plus frustrée qu'autre chose...

Ma question serait donc : la scène de Mattheson est-elle donc si exceptionnelle (comme musique) que cela vaille la peine d'acheter ce CD (qui est assez cher) ?

Posté : 17 janv. 2005, 13:03
par tuano
Le Marc Antonio e Cleopatra au TCE remplaçait lui-même un concert Farinelli/Genaux initialement annoncé.
Le concert avait été un triomphe mais personnellement, je m'y était un peu ennuyé.

Posté : 17 janv. 2005, 15:19
par Clement
EdeB a écrit : Ma question serait donc : la scène de Mattheson est-elle donc si exceptionnelle (comme musique) que cela vaille la peine d'acheter ce CD (qui est assez cher) ?
il y a très exactement 13'03 du Cleopatra de Mattheson sur le CD. un premier air piquant, de moins de 2 minutes, charmant. Suit une berceuse, elle aussi assez courte, sensuelle et mélancolique. Le reste est constitué par l'enchaînement assez libre d'airs et récitatifs où Cléopatre évoque son destin, prépare sa mort et finalement meurt sur un frémissement de cordes...très dramatique, la soprano y est très convaincante, et effectivement on préfèrerait en entendre une version intégrale. Comme c'est le cas de la cantate de Hasse. les airs de Haendel sont fort honnêtement interprétés, et ne sont que deux...
personnellement, malgré le prix, je ne regrette pas (je n'ai aucune trace sonore du célèbre Marc'Antonio e cleopatra), même pour les airs déjà connus de Graun, qui proposent un portrait différent du personnage, et de nouvelles ornementations.
je m'en voudrais de te pousser à l'achat pour que tu en ressortes déçue, cependant. pour ma part, je suis content d'écouter des raretés, même dans des versiosn qui ne laissent que deviner les beautés de la musique (certains enregistrements Orfeo ou Bongiovanni...). ici tout est quand même d'une très bon niveau !

Posté : 17 janv. 2005, 19:46
par bajazet
EdeB a écrit :Ma question serait donc : la scène de Mattheson est-elle donc si exceptionnelle (comme musique) que cela vaille la peine d'acheter ce CD (qui est assez cher) ?
Ma réponse est oui. Cette scène est étonnante : la conclusion fait irrésistiblement penser, toutes choses égales d'ailleurs, à celle de La Mort de Cléopâtre de Berlioz.
Le disque n'est pas cher si on l'achète via Internet en Amérique, je l'ai eu pour 14 euros à sa sortie.

Je l'ai justement réécouté hier. C'est vrai que Bayrakdarian y est inégale à l'intérieur d'un même air, mais elle a le sens de l'expression, du mot, et du caractère : vertus éminentes pour ce répertoire.

La Cléopâtre de Graun me semble d'ailleurs un caractère assez ambigu, sarcastique en tout cas, jeune ou pas. La comparaison est fort instructive avec celle de Haendel. Il est vrai que Janet Williams ye st extraordinaire, je ne la trouve pas soubrette pour deux sous, mais un sens de la pulsation et une imagination vocale magnifiques. Cette intégrale de l'opéra de Graun est décidément à recommander.

P.S. Pour pinailler enfin, Marc-Antonio e Cleopatra de Hasse n'est pas une cantate mais une "sérénade" en deux actes, chacun s'achevant par un duo, le dernier évidemment encomiastique : la mort des amants illustres est sublimée en figuration allégorique de l'empereur Charles VI et de son Elisabeth d'épouse. D'où l'ivresse paradoxale de ce duo final prophétique.

Posté : 17 janv. 2005, 21:53
par JdeB
bajazet a écrit :
P.S. Pour pinailler enfin, Marc-Antonio e Cleopatra de Hasse n'est pas une cantate mais une "sérénade" en deux actes, chacun s'achevant par un duo, le dernier évidemment encomiastique : la mort des amants illustres est sublimée en figuration allégorique de l'empereur Charles VI et de son Elisabeth d'épouse. D'où l'ivresse paradoxale de ce duo final prophétique.

Je m'étonne que tu commettes la même erreur qu'Olivier Rouvière dans le livret-programme du TCE qui traduit serenata par sérénade. alors que chacun sait que ce mot a un sens bien différent en français.
A la Monnaie, pour la reprise dont Lachlan nous a parlée, ils ont été plus malins et ont très judicieusement gardé le terme italien , si spécifique, dans leur texte en français
Quant à l'épouse de Charles VI, tu veux parler d'Elisabeth Christine (sur ce point là Rouvière ne s'est pas trompé)
Une serenata est bien une cantate destinée à une festivité précise pour un public choisi.
Rappelons que Scarlatti composa aussi une cantate Marcantonio e Cleopatra, dix ou quinze ans auparavant.

Posté : 17 janv. 2005, 22:03
par bajazet
JdeB a écrit : Je m'étonne que tu commettes la même erreur qu'Olivier Rouvière dans le livret-programme du TCE qui traduit serenata par sérénade. alors que chacun sait que ce mot à un sens bien différent en français.
A la Monnaie, pour la reprise dont Lachlan nous a parlée, ils ont été plus malins et ont très judicieusement gardé le terme italien , si spécifique, dans leur texte en français
Euh ? n'est-ce pas pousser le purisme un peu loin ? J'aime autant franciser : on se doute qu'une sérénade en 2 actes, ce n'est pas Don Juan sous un balcon. Mettre des guillemets à sérénade ne suffit-il pas comme précaution ? Ou alors existerait-il dans le domaine français un genre musical dramatique nommé "sérénade" ?
En tout cas, nous sommes d'accord que serenata est plus adéquat que cantate, en l'occurrence.

Question subsidiaire : qu'est-ce qui empêche de traduire "Singspiel" par "opéra-comique" ? À part le faux sens induit par le français moderne sur "comique" ?

Posté : 17 janv. 2005, 22:15
par JdeB
Metttre des guillemets ne dit rien de la nature exacte du concept mais indique juste que l'on emploie le terme dans un sens peu usuel.


Et puis je trouve cocasse que quelqu'un comme toi, si habitué à truffer ses messages de citations non traduites, se pique subitement d'une volonté farouche de franciser les termes techniques

Posté : 17 janv. 2005, 23:33
par bajazet
Mais oui, je suis d'humeur cocasse, c'est très bien remarqué !
Mais mon goût de la truffe est très diminué. Je suis marri de voir qu'on ne me fait pas crédit des efforts que j'ai faits pour joindre des traductions, de ci, de là, cahin-caha. :bye: