Stefano P a écrit : ↑11 avr. 2017, 16:28
Efemere a écrit : ↑11 avr. 2017, 15:45
Intéressant aussi d'avoir entendu Adrian Eröd (lui aussi doté d'une impeccable diction) dont la voix claire contrastait avec celle plus sombre et plus profonde de Tézier, offrant du coup, à mes oreilles, un
Albert plus humain (ou moins brutal).
Ah oui, tu as raison, il m'a fait aussi une très bonne impression ! Je vois qu'il est autrichien ; en tout cas, il chante impeccablement le français !
Oui, Adrian Eröd est un artiste remarquable et très attachant, aussi à l’aise dans les répertoires français et allemand que dans le lied et la musique contemporaine, il chante d’ailleurs en ce moment Jason dans la Medea d’Aribert Reimann, une œuvre magnifique mais extrêmement exigeante. Quand j’ai entendu son Valentin (Faust) pour la première fois, j’ai été tellement impressionné que je suis allée lui demander comment il avait appris à prononcer notre langue aussi parfaitement, il m’a répondu en riant qu’il n’avait aucun mérite, sa mère étant française. Il vient d’être nommé Kammersänger, juste récompense de son immense talent et de son attachement au Staatsoper.
Comme Efemere j’ai trouvé cette version pour baryton absolument superbe (représentation du 26 mars) – magnifiée sans doute aussi par un interprète exceptionnel. J’ai eu pourtant besoin d’au moins un acte pour que mon oreille s’y accoutume, Il faut reconnaitre que quand on a en tête la version habituelle il est bien difficile de ne pas ressentir un léger déplaisir à chaque que la voix de Werther, au lieu de s’élever vers les cimes, descend d’une tierce ou d’un octave en donnant d’impression de rester désespérément « collée » à la ligne orchestrale. En revanche, on pourrait dire aussi que cette version contraint le public à ne pas céder à l’écoute facile – péché mignon assez répandu chez les fans de ténors
qui consiste à guetter l’aigu, les fulgurances - pour le ramener à l’essentiel, le texte et la musique. Le problème parfois, c’est que les aigus sont directement motivés par le texte, du coup certaines phrases tombent un peu à plat – je pense à des passages comme
« …la bénédiction du ciel sur toi repose » , le sublime crescendo
« rêve, extase….je donnerais ma vie » « …
mon existence entière n’aurait jamais été qu’une ardente prière », et bien sûr les éclats de « Pourquoi me réveiller », qui effectivement n’est plus ici le moment fort de l’œuvre.
A l’inverse, j’ai été moi aussi surprise de constater à quel point les couleurs spécifiques de la voix de baryton, sa densité, sa chaleur et ici surtout ce grain si particulier de celle de Ludovic Tézier donnait à certains passages, un impact, une forces inattendue, de sorte qu’on a l’impression de les entendre pour la première fois : c’est vrai en particulier pour le monologue du II ("P
ourquoi trembler devant la mort"), presque effrayant dans sa nudité, sa profondeur, et son pendant du III,
« Charlotte a signé mon arrêt, prends le deuil, O Nature… », d’une puissance, d’une noirceur dévastatrice. Thomas Hampson avait dit je crois que la version baryton était celle qui permettait le plus d’approfondir la psychologie du personnage, je commence tout juste à comprendre ce qu’il a voulu dire (même si je ne suis pas tout à fait encore convaincue). Plus surprenants encore, l’air du II
« Lorsque l’enfant » suivi de la prière
« Père, Père, appelle-moi » - des passages où l’on a entendu plus d’un ténor s’essouffler et terminer noyé dans l’orchestre, sont sublimés ici par une maîtrise du souffle, une diction, un phrasé absolument divins.…Scéniquement, par contre, il faut reconnaitre qu’on reste un peu sur sa faim, même si je ne suis pas objective : je déteste cordialement cette production d’Andrei Șerban qui laisse si peu de place au romantisme et à la poésie. J’ai trouvé tout de même Ludovic plus investi et plus à l’aise sur scène que dans le Trouvère, c’est un rôle que visiblement qui lui tient à cœur et sa scène finale était d'une intensité exceptionnelle, peut-être plus émouvante encore que la mort de Posa qui fut l'un de ses grands triomphes ici.
Avec Sophie Koch, on retrouve avec plaisir et émotion la charlotte de Paris (et de Vienne en 2011) que l’on a tant aimée – rayonnante de naturel et de simplicité, bouleversante de douceur, d’obstination douloureuse. Vocalement pourtant, elle apparaît en petite forme (Fatigue passagère après une longue série de Tristan (Brangäne), difficulté de passer d’un répertoire à l’autre ?), aigus hésitants, registre grave peu audible (son « tu frémiras » qui avait mis le public à ses pieds en 2011 passe difficilement), elle se ressaisit dans la scène finale (cette bouleversante et douloureuse luminosité dans
« …te pardonner, quand c’est moi qui te frappe…"). J’espère en tous les cas qu’elle chantera encore longtemps ce rôle qui lui va si bien car bien rares sont les chanteuses capables d’exprimer à la fois ce naturel, ce charme encore juvénile et cette puissance dévastatrice de la passion.
On aurait pu craindre un accueil un peu mitigé du public pour cette version privée d’« éclat ténoral » - il n’en était rien heureusement et les chanteurs ont été très chaleureusement applaudis.
On pourra réentendre avec plaisir ce beau Werther le 22 avril à 19h30 sur oe1 :
http://oe1.orf.at/programm/463641