N. Courtin - Chroniques du pinceur de cordes - Ed. Paulo-Ramand, 2019

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EdeB
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N. Courtin - Chroniques du pinceur de cordes - Ed. Paulo-Ramand, 2019

Message par EdeB » 02 sept. 2019, 17:53

Nicolas Courtin, Chroniques du pinceur de cordes (Éditions Paulo-Ramand, 2019)

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Le nom de Gatayes ne vous dit plus rien ? C’est (presque) normal. Perdue dans les milliers d’autres entrées de la Biographie universelle des musiciens de François-Joseph Fétis (1866), celle de Guillaume-Pierre Antoine Gatayes (1774-1846) aurait sans doute peu d’attrait, hormis pour quelques curieux et certains harpistes ou guitaristes, si ce n’était l’ouvrage enlevé que vient de lui consacrer Nicolas Courtin. Ce musicien classique, lui aussi guitariste, s’est mis en quête d’une figure élusive à la filiation mystérieuse, dont la vie se résume, sous la plume de Fétis à quelques anecdotes et à une liste de ses œuvres. Peu de traces, vraiment, en regard de la vogue entourant les romances de Gatayes à la fin du XVIIIe siècle, ou sa réputation de théoricien de la harpe et de la guitare.

Grâce aux ressources numériques — indispensables aux chercheurs — et à une pincée d’imagination, Nicolas Courtin brosse avec vivacité le destin bigarré du fils naturel du Prince de Conti supposément défroqué par amour de la musique, au gré des soubresauts d’une période troublée. Rien de compassé ni d’universitaire dans cette approche. C’est en baguenaudant par sauts et par bonds dans les recoins d’une destinée désormais bien oubliée, sans oublier de feuilleter des partitions parfois bien négligées (on en trouve cependant quelques exemples sur YouTube !), que l’auteur nous entraîne dans les méandres parfois rocambolesques d’une vie qui s’inscrit entre les galanteries du crépuscule de l’Ancien Régime et les alarmes de la Révolution (le voisin du compositeur se nommait… Marat !), sans oublier de lorgner vers le long dix-neuvième siècle, puisque les fils de Gatayes sont tout aussi intéressants que leur père. (Au détour des pages, on retrouve aussi Jean-Baptiste Krumpholtz, Spontini, Gossec, Jan Ladislav Dussek et son épouse Sophia Corri (celle qui partagea la scène avec Nancy Storace), et le clinquant des coulisses de l’opéra.)

Essai ? Roman ? L’approche barguigne volontairement entre ces deux pôles, dans un fouillis en forme de pot-pourri soigneusement organisé : interrogations sur la démarche du chercheur, soit-il amateur ; confrontation drolatique et méticuleuse des sources ; incises de mémoires factices dont les éclats anachroniques sont murement pensés (bien que comportant une bévue à la page 65 : le « certain monsieur Jelyotte » qui « avait, disait-il, côtoyé les Mozart, père et fils, lors d’une réception chez le prince » n’était autre que l’immense chanteur Pierre Jelyotte, créateur d’opéra de Rameau et star absolue de l’Académie royale de musique, ce que Gattayes n’aurait pu ignorer !!) ; longues incises sur le destin des sœurs Véronèse, actrices chantantes de la Comédie-Italienne et accessoirement mère et tante de notre héros, ce dont l’amateur de destins galants se réjouira, comme le fit Casanova qui s’y intéressa de près… ce qui nous vaut à son tour un autre détour du côté des spectacles de la Comédie-Italienne et des débauches du clergé ! Tout ce simili fatras – méditations sur l’emploi du « [sic] », conversations au débotté sur l’inévitable mais-tu-en-es-où-de-ton-bouquin, interrogations sur la transmission et la mémoire, etc… – est autant un portrait en creux du biographe que de son sujet. Rigueur et fantaisie, pirouettes et vieux papiers, notes fanées et critique littéraire, pastiches et citations s’allient pour restituer les éclats d’un monde disparu, dans une évocation qui renvoie souvent à l’esprit du nonsense d’un Sterne (celui de Tristram Shandy) qui s’allierait avec un Diderot.

Emmanuelle Pesqué
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
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