La mise en scène doit-elle respecter le livret ?

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Message par tuano » 08 nov. 2004, 11:54

Je trouve que la Katia vue par Marthaler est tout à fait lisible... sauf quand Toby Spence manque d'expressivité ou lors de la scène du suicide, effectivement ratée. Je déteste en revanche la Dame de Pique par Dodin, qui évacue l'essentiel à l'opéra : l'émotion, alors que je la trouve plus présente dans la Katia de Marthaler que celle de Friedrich.

Les scènes de suicide (ou généralement de mort) sont quand même l'occasion pour les chanteurs de paraître peu crédibles voire ridicules : que de fois le public s'est esclaffé à la fin de Tosca !
Dans l'excellente production traditionnelle de la Dame de Pique de Graham Vick, Lisa se suicide en se jetant dans le fleuve mais je ne m'en suis pas rendu compte ! Il est impossible de montrer ce genre de scène de manière réaliste et tous effets spéciaux de théâtre paraîtrait ridicules.

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Message par Michel » 08 nov. 2004, 15:04

La mise en scène quasi-idéale, selon mes critères évidemment, existe et je l'ai rencontrée ce week-end à Colmar avec la Theodora de Peter Sellars (importée de Glyndebourne), déjà abondamment commentée ici. Ni image d'Epinal pour se conforter à une hypothétique tradition, ni actualisation à tout prix pour faire "tendance", mais un vrai regard sensible et intelligent d'homme du XXème siècle sur l'intégrisme religieux, la foi, le sens du martyre, la fraternité humaine, la compassion... Et surtout une formidable direction d'acteurs (et du choeur) traduisant visuellement les sentiments exprimés par le livret et formidablement porteuse d'émotions (cf. la remarque de Tuano sur l'émotion à l'opéra).
Tout le contraire d'une trahison! Une extraordinaire mise en lumière des thèmes et des qualités, y compris musicales, de cette pénultième oeuvre du grand Georg Friedrich.

Amicalement
Michel

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Re: Katia Kabanova; objections, cher maître

Message par David-Opera » 08 nov. 2004, 15:19

faustin a écrit : Ça ne marche pas parce qu’il est bien indiqué que les deux méchants de l’histoire, l’abominable Kabanicha et l’épouvantable Dikoy sont tous les deux fortunés et que c’est de l’argent qu’ils détiennent leur pouvoir, ce qui rend l’histoire compréhensible car vu que ce sont tous deux de parfaits imbéciles ils auraient bien du mal à imposer leur autorité s’ils ne détenaient pas les cordons de la bourse. Il y a bien une dimension lutte des classes dans cette œuvre, doublée d’une lutte de générations. Si vous en faites tous des prolos, vous passez à côté de cette dimension essentielle. Il est bien précisé « salle de séjour confortable dans la maison des Kabanov ». Les placer dans un HLM minable aux peintures écaillées et où on ne voit même pas le jour ne fonctionne pas.
Je n'avais pas percuté sur l'enjeu social.
Mais il est aussi question de nature humaine. C'est bien la faiblesse, la lâcheté, la peur de perdre un possible héritage qui bride le mari de Katia.
D'autres n'auraient pas laissé ces considérations matérielles entraver leur liberté.

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la dimension sociale de Katia Kabanova

Message par faustin » 08 nov. 2004, 17:47

David-Opera a écrit :
Je n'avais pas percuté sur l'enjeu social.
Mais il est aussi question de nature humaine. C'est bien la faiblesse, la lâcheté, la peur de perdre un possible héritage qui bride le mari de Katia.
D'autres n'auraient pas laissé ces considérations matérielles entraver leur liberté.
Il est bien précisé que le pauvre Boris n'est pas un affreux matérialiste qui accepte d'être le souffre-douleur de son oncle alcoolique Dikoy pour ne pas perdre son héritage. C'est pour sa soeur, dit-il, qu'il accepte cette condition.

"Si j'étais tout seul,
je serais loin depuis longtemps.
C'est pour la soeur que je reste,

La dimension sociale, voici comment la décrit Guy Erismann dans son ouvrage Janacek ou la passion de la vérité: (c'est dans le programme édité par L'Opéra de Paris).

La classe commerçante russe, les "Samodur", constituée par le marchand Saviol Dikoy et la veuve Marfa Kabanova (Kabanicha) qui représente l'ordre moral avec son mélange de rigueur sévère et d'hypocrisie. Ce pouvoir est celui de la religion et de l'argent, le pouvoir "absolu" sur les autres, jusqu'à la cruauté...
En face de cet absolutisme, la pure, la pieuse et aimante Katia mariée à Tichon Kabanov


Cette vision qui était encore d'actualité en mai 1968 et présente une société dans laquelle les riches et les puissants, qui sont aussi les adultes imposent leur tyrannie aux jeunes et plus particulièrement une morale qui leur interdit l'amour est bien dans l'esprit du temps où a été composée l'oeuvre, le tout début des années vingt. Dans tous les pays d'Europe, c'est l'époque des grandes ardeurs révolutionnaire, avant qu'elles ne soient encadrées par les bureaucraties communistes. Leos Janacek qui a longtemps été instituteur était un artiste engagé surtout très patriote et aussi progressiste et libre-penseur et pas insensible aux injustices sociales.

Cette mise en scène de Christoph Marthaler multiplie les contre-sens. Le moindre n'est pas de présenter la Kabanicha comme une habitante du rez-de-chaussée d'un minable HLM, dans un logement particulièrement triste à la décoration médiocre, donc comme une femme pauvre, ce qu'accentue son aspect physique qui n'est pas celui d'une grande dame. C'est un des ressorts principaux de cette histoire qui est dans cette manière de présenter les choses complètement distordu.

Faustin

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vous avez dit lisible

Message par faustin » 08 nov. 2004, 18:18

tuano a écrit :
Je trouve que la Katia vue par Marthaler est tout à fait lisible... sauf ...lors de la scène du suicide, effectivement ratée.
Lisible, la mise en scène de Christoph Marthaler? Qui, n'ayant pas lu auparavant le livret peut y comprendre quelque chose?

Les deux adultes, la Kanicha et Dikoy sont présentés comme des pauvres. La Kanicha habite le rez-de-chaussée d'un HLM minable où la lumière du jour ne pénètre même pas. Son intérieur est atroce de laideur. Comment dans ces conditions comprendre qu'elle détient son pouvoir par l'argent? Illisible!

Qui peut comprendre quelque chose à cette armoire qui se trouve dans la cour et qui à laquelle aboutirait un passage qui ménerait au jardin des amours défendues?

Que le suicide ne soit pas une réussite, c'est quand même gênant car c'est ce suicide qui fait tout le drame. Si le suicide est raté, et il l'est, la mise en scène est ratée.

Cette mise en scène de Christophe Marthaler est tellement en décalage avec tout ce qui est écrit que le spectateur n'a plus la possibilité de s'y retrouver. Le résultat c'est un spectacle qui n'a aucune cohérence, qui est constitué d'éléments qui se contredisent et dans lequel l'oeuvre originale n'est pas gagnante.

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Message par tuano » 08 nov. 2004, 18:31

Je trouve que les personnages existent beaucoup plus en tant qu'individus que dans la production traditionnelle de Bastille, qui était ennuyeuse. J'adore Janacek mais pour Katia, je préfère une production vivante et originale parce que sinon, je trouve que le livret paraît terriblement banale. Les seconds rôles acquièrent un relief exceptionnel avec Christoph Marthaler. La Kabanicha n'est pas moins odieuse que si elle était fortunée. L'armoire est un artifice scénique qui montre comment des gens ordinaires peuvent s'échapper du quotidien en modifiant la perception qu'ils ont de leur environnement.

Les aménagements du livret ne vont pas plus loin que ce qu'on peut voir au théâtre.

Tout ce que tu dis est vrai et justifie que tu n'aies pas aimé la mise en scène. Cependant, cette production renferme des qualités que n'avait pas celle de Götz Friedrich. Je trouve que parler de l'oppression des femmes mariées de manière moderne est plus intéressant que montrer un livre d'images autour d'une héroïne de roman.

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Re: la dimension sociale de Katia Kabanova

Message par David-Opera » 08 nov. 2004, 18:35

faustin a écrit : Ce pouvoir est celui de la religion et de l'argent, le pouvoir "absolu" sur les autres, jusqu'à la cruauté...
En face de cet absolutisme, la pure, la pieuse et aimante Katia mariée à Tichon Kabanov
Je raisonne autrement. C'est Tichon qui donne se pouvoir à sa mère. Qu'elle veuille imposer ses volontés par la tenaille de l'argent, soit : elle a le droit. Mais Tichon pouvait refuser et n'accorder aucune importance à ces menaces.
C'est pourquoi le fils a sa part de responsabilité..

Pour le symbole de l'armoire, je l'ai pris comme une image un peu grossière de l'enfermement. Mais c'est peut être autre chose...

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Re: la dimension sociale de Katia Kabanova

Message par faustin » 08 nov. 2004, 18:56

David-Opera a écrit :
Je raisonne autrement. C'est Tichon qui donne se pouvoir à sa mère. Qu'elle veuille imposer ses volontés par la tenaille de l'argent, soit : elle a le droit. Mais Tichon pouvait refuser et n'accorder aucune importance à ces menaces.
C'est pourquoi le fils a sa part de responsabilité..
J'entends bien, j'entends bien, je sais que le pouvoir des adultes ne se résume pas à l'argent, ça serait trop simple, il y a bien des rapports de domination chez les plus pauvres. Il se trouve que dans l'opéra de Janacek Katia Kabanova, l'argent est expressément indiqué comme instrument de domination et même de chantage et de la manière la plus précise qui soit. Une mise en scène devrait normalement en tenir compte. C'est une dimension de l'oeuvre. Comment approuver une mise en scène qui passe à côté une dimension importante d'une oeuvre?

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Message par Nico » 08 nov. 2004, 18:57

Comment dans ces conditions comprendre qu'elle détient son pouvoir par l'argent?
Moi, ça ne m'a pas géné, j'y ai vu une façon d'universaliser le problème, une façon de dire que l'on est tous sous la coupe de plus riche que soit, même dans la pauvreté, les moins pauvres tentent d'avoir l'ascendant sur les plus pauvres, nul besoin de nobles ou de grands bourgeois pour voir la misérable nature humaine vouloir dominer l'autre.
Le suicide et les mouvements qu’il entraîne dans l’entourage sont bien décrits dans le livret mais si on fait abstraction du fleuve, c’est difficile à représenter. Dans la mise en scène présentée à Salzbourg et à l’opéra Garnier, Katia se couche sur cette curieuse fontaine située au milieu de la cour, où il n’y a même pas une goutte d’eau. Pas très sérieux, comme suicide. Il faudrait que quelqu’un, du fond de la salle ait le courage de crier : « allez, t’es pas morte, nous la fais pas, relève toi » .
Là encore, mais il est vrai que je suis très "théâtre" et que je considère l'Opéra comme la forme la plus abouti du théâtre et non pas comme seulement de la musique représentée, j'ai cru au suicide, même si le jeu d'acteur n'était pas, comme souvent à l'Opéra, très convainquant dans cette scène. J'ai le souvenir (encore du théâtre) de Madeleine Renaud dans Harold et Maud jouant la mort simplement en se levant de son siège et en sortant de scène, et je peux vous dire que tout le monde dans la salle y croyait et avait les larmes au yeux!
Mais je reconnais que là, ce n'était pas aussi évident, le chanteur ayant d'autres préoccupations que l'acteur.

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une trahison très bien assumée

Message par faustin » 18 juin 2005, 16:05

Je poursuis cet échange sur les infidélités aux livrets dans un fil tout à fait ad hoc car je vois que cette intéressante discussion sur la dame de pique mise en scène par Lev Dodin a largement débordé sur d'autres oeuvres, par exemple Katia Kabanova

Et bien dans ce cas, rien ne t'oblige à aller voir La Dame de Pique de Lev Dodin. Encore une fois, je ne trouve pas que la mise en scène trahit l'oeuvre, elle en donne un éclairage remarquablement intelligent et loin d'être simpliste. Evidemment, si on la réduit à un lit d'hôpital psychiatrique et à un fou, on ne va pas bien loin...

Ce qui est intéressant c'est de voir à quel point cette trahison est assumée par ceux qui en sont les auteurs.
Voici ce que Lev Dodin et Michael Stronin, responsable de la dramaturgie écrivent (programme page 27):

"Le spectacle se déroule comme un long flash back qui commence par l'épilogue (davantage proche en cela de la nouvelle de Pouchkine, dans laquelle Hermann devient fou, que dans l'oeuvre de Tchaikovski, où le protagoniste se suicide).

Difficile de dire plus clairement qu'ils se sont délibérément écartés de l'oeuvre des frères Tchaikovski.

Faustin

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