Gerard Mortier : tentative d'analyse d'un plantage.

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Gerard Mortier : tentative d'analyse d'un plantage.

Message par PlacidoCarrerotti » 18 juil. 2005, 11:06

Gerard Mortier : tentative d'analyse d'un plantage.

Sans être un inconditionnel de Rolf Liebermann, je crois qu'on peut affirmer qu'il est "le père" d'une forme moderne de l'opéra.
Avec lui, ce genre, qui passait pour désuet, est redevenu branché.
Liebermann avait deux fils : l'un cigale, l'autre fourmi.

Hugues Gall, la fourmi, s'en alla planter des choux en Helvétie : un pays où l'on aime les comptes justes et où l'on goûte peu les surprises.
Personnellement, son passage à Genève ne m'a laissé aucun souvenir : j'y suis allé une fois (pour un titre tout ce qu'il y a de moins original : "Elektra" avec Jones et Rysanek) et je ne me souviens pas avoir lu de critiques particulièrement dithyrambiques durant cette période.

La cigale Gégé répliqua, en réduction, les méthodes de son maître à penser.

Gerard avait compris qu'en donnant les spectacles qui lui plaisaient, il allait vider les salles ; que vider les salles des abonnés traditionnels n'était pas un problème, dès lors qu'on les remplissait avec d'autres spectateurs (c'est ce qu'on appelle pompeusement "avoir le courage de renouveler le public", j'y reviendrai).
L'astuce consiste a mettre en place un noyau de fidèles qui serviront de relais médiatiques, et qui entraîneront la masse des nouveaux abonnés.
Pour Bruxelles, les parisiens (entre autres) servirent de lièvres : il suffisait d'expliquer que des gens venaient dorénavant de France pour venir voir les spectacles de la Monnaie, d'organiser une pénurie ("désolé, tout est vendu : nous vous conseillons de vous abonner l'année prochaine" : ça ne vous rappelle rien ?), etc ... pour finalement assurer le remplissage par un phénomène de mode mâtiné de panurgisme.
Le procédé a bien marché : dans l'inconscient collectif lyrique, la mandature bruxelloise de Mortier fut un grand moment ; c'est sans doute exact par rapport aux programmations précédentes : dans l'absolu, comme pour Gall, combien de spectacles ont durablement marqué les esprits des lyricomanes les plus exigeants ?

La même recette a été utilisée à Salzbourg, avec quelques variantes. Car Salzbourg n'avait pas attendu Mortier pour être un festival de premier ordre, et même si la période Karajan pouvait passer comme relativement figée, le niveau musical restait exceptionnel.
Sur le plan lyrique (seul sujet sur lequel je m'estime à peu près compétent), les dommages collatéraux furent lourds ... Difficile de justifier qu'il faille payer des sommes astronomiques (billets, train, hôtel, restaurant) pour entendre un "Don Carlo" avec Larin, Alvarez, Mescheriakova, Furlanetto et Borodina, alors qu'à Paris on pouvait entendre 3 semaines avant ce même ouvrage avec Larin, Croft, Gauci, Furlanetto et Borodina !
De même pour des reprises de spectacles bruxellois (là encore, ça ne vous rappelle rien ?) avec des distributions très moyennes.

Sans surprise, le festival perdit une partie de ses abonnés: personnellement, je fus relancé plusieurs fois pour prendre des places (un comble lorsqu'on pense qu'auparavant il fallait payer pour obtenir le programme et les formulaires d'achat de billets !).
Mais le monde avait évolué : Salzbourg était devenu une destination "corporate", au même titre que Roland Garros ou le Tournoi des Cinq Nations, où des entreprises fortunées amenaient leurs plus fidèles clients.
Il faut reconnaître à GG une idée de génie, car cette nouvelle clientèle n'avait aucune compétence en matière de lyrique (en tout cas bien moindre que les spectateurs passés) et ne souhaitait qu'une chose : qu'on parle des spectacles auxquels elle assistait. GG ajouta donc une louche de provocation à ses spectacles, pour le plus grand plaisir des nouveaux spectateurs (qui ne craignaient qu'une chose : s'emmerder !) et qui pouvaient maintenant parler dans les salons des spectacles dont on avait causé dans le poste.
(par ailleurs, citez moi 10 spectacles (un par année de mandature) qui ont marqué cette époque ?)

Sans mollir, Mortier reprend à Paris les recettes qui ont fait son succès. Et là rien ne va plus.

Comme prévu, une partie du public boude la nouvelle programmation.
En revanche, Mortier n'arrive pas à constituer ce noyau "d'intellectuels" qui vont appuyer sa démarche et lui permettre de remplir néanmoins avec de nouveaux spectateurs : pour les lyricomanes acharnés comme pour la critique, le plat a un goût de déjà vu (d'où des fulminations contre la critique française dans la presse étrangère).
GG refait le coup de la pénurie avec "Tristan", puis aujourd'hui avec "Cosi" (mauvais choix si l'on en juge les critiques assassine d'Aix) . C'est oublier que l'Opéra de Paris représente quelque chose comme 700.000 billets par an : ça ne se vend pas avec une série de "Tristan" à guichets fermés , même aux abonnés "entreprises" ...
Aujourd'hui, Mortier se répand dans la presse internationale, cherchant ailleurs l'appui qui lui manque en France, montant des partenariats avec la SNCF pour convaincre britanniques ou belges de venir voir ses spectacles : c'est toujours l'application des mêmes recettes.

Une dernière donnée vient mettre en péril ce fragile édifice : l'actuelle paupérisation de la société française dont le pouvoir d'achat stagne, dont les dépenses augmentent (internet, téléphonie mobile, le prix du hot dog au bar ... ), dont les impôts augmentent (je n'ai jamais eu autant de PV qu'en 2005 alors que je conduis plutôt mieux et que je fais attention où je me gare) ... Les portefeuilles n'étant pas extensibles à l'infini, difficile d'absorber une augmentation de 30% du prix des billets. A l'heure des choix, d'autres priorités sont comblées : ce public là ne reviendra pas de si tôt. C'est ce qu'on appelle la théorie de l'élastique : à force de tirer dessus, il casse et on se le prend dans la gueule.

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Message par JdeB » 18 juil. 2005, 11:33

bravo !


Signalons néanmoins que la saison 2004-2005 de l'ONP a beaucoup plu à G. Mortier et à Faustin

Reste à savoir pourquoi "Mortier n'arrive pas à constituer ce noyau "d'intellectuels" qui vont appuyer sa démarche et lui permettre de remplir néanmoins avec de nouveaux spectateurs"
un goût de déjà vu, certes, de multiples entretiens qui prouvent son incompétence en matière d'art lyrique ("Aïda oui, car ça parle de colonialisme, Lakmé, non, je ne vois pas ce que JE peux faire de ce truc"), un conformisme intellectuel, une programmation sans surprise, sans audace, ni raretés, sans équilibre. Ce n'est plus la fête, on traîne les pieds pour accomplir son devoir culturel.


Des programmations de G. Mortier, sur 25 ans, resteront : L. Silla par Chéreau, Cosi et Salomé par Bondy, G. Cesare, Saint François, Amour de loin, Tristan par Sellars, Clemenza des Hermann (première mouture)

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Message par olaf » 18 juil. 2005, 11:51

La machine semble être de plus rouillée. Remettre en marche le TRM et décoincer le festival de Salzbourg c'était à sa portée et il a dans l'ensemble réussi. Il avait l'élan, l'énergie et apportait un sang neuf à l'opéra. Mais que peut-il faire à l'opéra de Paris. Il n'y a rien à remettre en marche, la Grande Boutique fonctionne bien et rien à décoincer car il n'y a pas de grands bourgeois ou de vieux artistos ultras conservateurs comme à Salzbourg....
Sans compter qu'avec l'âge, il déraille de plus en plus : culte de la personnalité et isolement. Il n'y a qu'à le regarder de plus en plus seul, sans amis et entouré d'une horde d'admirateurs plus ou moins sincères qui lui frotte la manche...
O.

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Message par olaf » 18 juil. 2005, 12:00

JdeB a écrit :bravo !


Des programmations de G. Mortier, sur 25 ans, resteront : L. Silla par Chéreau, Cosi et Salomé par Bondy, G. Cesare, Saint François, Amour de loin, Tristan par Sellars, Clemenza des Hermann (première mouture)
Et pour completer cette liste avec des productions de La Monnaie :
Le Don Carlo de Gilbert Deflo avec José en 1981 : sa première production au TRM
Les contes d'Hoffman du même Deflo
Pelleas dans la légendaire (mais jamais reprise) production d'André Delvaux
Capriccio de John Cox avec Lott
Le flûte des Hermann

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Message par olaf » 18 juil. 2005, 12:13

et puis bien sur le Wozzeck dans la mise en scène Neugebaeur avec super José dont on trouve des photos dans les manuels scolaires.
O.

yoshi
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Message par yoshi » 18 juil. 2005, 12:23

(par ailleurs, citez moi 10 spectacles (un par année de mandature) qui ont marqué cette époque ?)
De la maison des morts (Janacek)/Grüber/Abbado avec Ghiaurov, Langridge.....
. Salome (Strauss)/Bondy/Dohnanyi avec Malfitano et Terfel
. Saint François d'Assise (Messiaen)/Sellars/Salonen et Nagano avec Van Dam, Upshaw
. Boris Godunov (Moussorgski)/Wernicke/Abbado avec Ramey, Larin, Borodina...
. Lulu (Berg)/Mussbach/Gielen avec Schäfer, Lipovsek, Kübler....
. Fidelio (Beethoven)/Wernicke.Solti avec Studer, Heppner, Pape, Mattei
. Moses und Aron (Schönberg)/Stein/Boulez
. Pelléas et Mélisande (Debussy)/Wilson/Cambreling
. Die Entführung aus dem Serail (Mozart)/Abou Salem/Minkowski avec Schäfer, Groves, Hawlata, Hartelius
. Die Zauberflöte (Mozart)/Freyer/Dohnanyi avec Pape, Dessay, Groves...
. La Damnation de Faust (Berlioz)/La Fura dels Baus/Cambreling

Yo

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Message par JdeB » 18 juil. 2005, 12:25

Oui, outre le spectales que j'avais déjà cités, on peut ajouter la Flûte de Freyer: un régal!

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Message par PlacidoCarrerotti » 18 juil. 2005, 12:49

J'ai accidentellement créé ce nouveau fil : il s'agit bien entendu de la suite de Mortier (2) !!!

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Message par PlacidoCarrerotti » 18 juil. 2005, 13:02

yoshi a écrit :
(par ailleurs, citez moi 10 spectacles (un par année de mandature) qui ont marqué cette époque ?)
De la maison des morts (Janacek)/Grüber/Abbado avec Ghiaurov, Langridge.....
. Salome (Strauss)/Bondy/Dohnanyi avec Malfitano et Terfel
. Saint François d'Assise (Messiaen)/Sellars/Salonen et Nagano avec Van Dam, Upshaw
. Boris Godunov (Moussorgski)/Wernicke/Abbado avec Ramey, Larin, Borodina...
. Lulu (Berg)/Mussbach/Gielen avec Schäfer, Lipovsek, Kübler....
. Fidelio (Beethoven)/Wernicke.Solti avec Studer, Heppner, Pape, Mattei
. Moses und Aron (Schönberg)/Stein/Boulez
. Pelléas et Mélisande (Debussy)/Wilson/Cambreling
. Die Entführung aus dem Serail (Mozart)/Abou Salem/Minkowski avec Schäfer, Groves, Hawlata, Hartelius
. Die Zauberflöte (Mozart)/Freyer/Dohnanyi avec Pape, Dessay, Groves...
. La Damnation de Faust (Berlioz)/La Fura dels Baus/Cambreling

Yo
Tu parles des spectacles qui t'on marqué toi, n'est-ce-pas ? :-)

Ceci dit, la "Salomé" et le "Saint François" font effectivement partie des spectacles qui ont marqué leur époque.

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Message par doudou » 18 juil. 2005, 13:14

PlacidoCarrerotti a écrit :J'ai accidentellement créé ce nouveau fil : il s'agit bien entendu de la suite de Mortier (2) !!!
C'est un plantage de post ! :lol:
On veut la mort du ténor dont la grosse dame veut partager le sort.
Faites en mourir au moins un, et les deux si le coeur vous en dit.
Quant au baryton, il reste seul avec son deshonneur. (Monsieur Bluf à l\\\\\\\'Opéra)

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