Désolé, pour une fois je vais essayer de répondre un brin sérieusement
philou a écrit :Xavier, j'avais pourtant bien précisé que je rigolais en disant ça !
Je ne prétendrais jamais sérieusement que tel ou tel compositeur vaut mieux qu'un autre ! Et ce n'est pas parce que j'apprecie modérement le bel-canto romantique que je considère ses afficionados comme des débiles hédonistes. Moi aussi, le pur plaisir musical m'ennivre et me procure beaucoup de joies.
Par contre, ce n'est pas parceque tu es hérmetique à l'univers wagnerien que tu peux affirmer que la portée métaphysique de ses livrets n'est qu'une prétention. L'affrontement entre l'homme et le divin est un thème passionnant et Wagner a su y puiser une inspiration unique pour écrire une musique qui pour moi et tant d'autres est absolument fascinante.
Je sais bien que tes propos sur Donizetti étaient des boutades, loin de moi l'idée de t'en faire reproche sérieusement. Je me moquais un peu de moi-même mais aussi, de façon générale de toute une population de wagnériens (ce n?est pas le cas de tous : regarde Jef !) qui n?ont que mépris pour la musique italienne et les composteurs français n?ayant pas subi l?influence du Maître. Je ne dis pas et ne crois pas du tout que tu en fasses partie, même si ton amour pour Wagner est inversement proportionnel à ta curiosité pour Rossini
Soit dit en passant, je n?affirme pas "
que la portée métaphysique de ses livrets n'est qu'une prétention", mais qu?en ce qui me concerne, "
j?aurais plutôt écrit prétention etc." Nuance ! Et puis, surtout, sur ce point là, je galégeais.
philou a écrit :Le taxer d'anti-sémitisme me surprend de ta part, qui te veux toujours si éloigné des lieux communs et de la pensée uniformisante.
Wagner n'était pas particulièrement anti-juif, même s'il a dérapé à un moment de sa vie avec un regrettable pamphlet qui s'explique par des circonstances particulières et une certaine paranoïa de sa part.
Wagner était clairement antisémite, c?est lui qui le dit ! Je veux bien être tolérant, mais sont-ce des anti-wagnériens forcenés qui ont écrit son pamphlet contre "la musique juive" ? Je ne crois pas. Maintenant, pourquoi il l?était, c?est un autre débat et à la limite, l?antisémitisme intime de Wagner n?est pas à mes yeux le plus important, je vais y revenir.
philou a écrit :Maintenant, libre à toi de le tenir responsable du fait qu'Hitler ait fait de lui, 50 ans après sa mort, un musicien officiel du troisième Reich, mais c'est un raisonnement absurde.
Je devine un almagame trouble dans ta phrase, du style 'comment peut on aimer cette musique, alors que les SS en écoutaient à Auschwitz !
Mais ça n'a aucun rapport ! Staline aimait Shostakovitch, moi aussi, et alors ? Je ne suis pas stalinien pour autant !
C'est avec des arguments pareils que certains ayatollahs de la pensée unique ont voulu empêcher Barenboïm de diriger du Wagner en Israël. Heureusement, il a bravé leurs interdits et a fait connaitre Wagner à des milliers d'israéliens.
J'espère que je me méprends sur tes propos, car jusqu'ici j'ai admiré ta tolérance et ta perpsicacité !
Oui, je crois en effet que tu te méprends un peu sur la signification de mes propos. Tu as raison : le "
comment peut on aimer cette musique, alors que les SS en écoutaient à Auschwitz !" est une idiotie (c'est un euphémisme).
Ce n?est pas parce qu?on aime Wagner qu?on est raciste et antisémite et a fortiori pro nazi. Pas plus qu?on est forcément stalinien quand on écoute Chostakovitch ou franc-maçon parce qu?on aime le Flûte enchantée.
A mes yeux, la question n?est pas qu?Hitler ait fait de Wagner le compositeur officiel du IIIème Reich à une époque où ce dernier n?en pouvait mais, l?important c?est
pourquoi.
Bien avant d?y connaître quoi que ce soit à l?opéra, je m?intéressais beaucoup à l?histoire et singulièrement à celle de l?Europe du congrès de Vienne à nos jours. Parallèlement, mes études m?ont amené à étudier la philosophie politique. C?est au confluent de ces deux approches que, sans connaître rien de plus que la Chevauchée des Walkyries, j?ai pris connaissance de l?influence considérable de Wagner sur la culture allemande, ou en tout cas sa contribution à un courant philosophique et idéologique qui va bien au-delà de la musique.
Wagner, plus encore comme librettiste que comme musicien, s?inscrit en effet dans un très fort courant de renaissance nationaliste allemand. Ce n?est pas très original puisque le XIXième siècle est celui des nationalités. Le nationalisme allemand a cependant un caractère original : celui de ne pas s?être construit comme la plupart des autres (en Italie, en Pologne, dans les Balkans, dans l?ancien empire des Habsbourg ou en Irlande)
en opposition à un impérialisme dominateur mais au contraire
comme un impérialisme dominateur. Cela s?explique en grande partie parce que le fait national n?a pas lutté contre une domination étrangère mais contre ce qui était perçu comme une déliquescence du fait allemand.
D?où, pour faire court, la mythologie de l?être pur, cet homme d?un passé idéalisé vers lequel il faut revenir. Cette thématique de la purification et d?un retour à un moyen âge de chevaliers teutoniques complètement sublimé est à la source du courant artistique qu?illuste parfaitement les histoires mises en musiques par Wagner. Certaines sont emprunts de paganismes (le Ring ou Tannhaüser), d?autres au contraire très chrétiennes (Parsifal essentiellement), mais elle reprennent la thématique. Toutes creusent ce sillon.
L?ennui, et on en vient à ce qui me chiffonne chez ton grand homme, c?est que dans ce corpus on retrouve aussi les sources de l?impureté, celles qui pervertissent et qui, dans le contexte historique, sont la cause de la décadence de la représentation politique de la nation allemande. C?est ce mythe de l?ennemi de l?intérieur cause de tous les maux, qui est à l?origine, non pas de l?antisémitisme, mais de son regain en Allemagne dans la seconde moitié du XIXième siècle. Il va de pair avec un racisme institutionnel, ou à tout le moins dans les premiers temps, assumé. On retrouve même ce corpus idéologique dans une ?uvre comme les Maîtres chanteurs : le jeune Walter représente l?avenir de l?Allemagne, celle qui rompt avec les habitudes sclérosées du passé et qui fait renaître l?art allemand abâtardi par les influences italiennes.
Ce n?est donc pas un hasard si les nazis, rejetons délirants et ignobles de cette tradition nationaliste, ont tant aimé Wagner. C?est parce que ses histoires s?inscrivaient dans le droit fil de l?idéologie qui les avait fait naître. Même si, je m?empresse de l?écrire d?autres facteurs sont évidemment déterminant pour expliquer le phénomène nazi ! En vrac, car ça n?est pas le lieu : la légitimation impérialiste et antilibérale d?un Etat bienveillant par Bismarck, celle du militarisme et d?un ersatz de totalitarisme par Guillaume II, Versailles, l?esprit revanchard, la mort de Rathenau et celle de Stresemann, la crise de 29, l?impéritie des démocraties occidentales, etc.
Bref, même s?il n?y avait pas eu les nazis, à Dieu ne plaise !, les histoires que nous conte Wagner ont un arrière goût que je trouve amer. Comme en plus c?était un musicien de génie, sa musique a fourni un fantastique véhicule qui a fini par rendre séduisant ce que je continue d'appeler des livrets inspirés par des idées préfascistes.
J?espère que tu ne seras pas fâché de ce que j?écris ici, sans l?once d?une intention polémique.
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