Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par Piem67 » 11 juin 2018, 21:51

Lucas a écrit :
11 juin 2018, 21:45
Piem67 a écrit :
11 juin 2018, 21:42
Si ça vient de Rimsky, alors là, PRUDENCE la plus totale !!!!! Je comprends mieux.
Mais aussi de sa correspondance avec Moussorgski traduite par Lischke. Que je sache, ni Rimski, ni Lischke n'ont mis un pistolet sur la tempe de Moussorgski pour lui demander de critiquer sévèrement par écrit sa version initiale de Boris en 1869 ...
Mais cite-moi le passage (avec le contexte) où Moussorgsky dit qu'il rejette son Boris de 69 !!! Moi je n'en ai aucun souvenir !

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par srourours » 11 juin 2018, 23:12

Allez les gars, balancez vos sources et vos citations parce que là on patauge dans le bortsch

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par David-Opera » 11 juin 2018, 23:40

Je pense surtout qu'il faut se faire confiance à soi-même.

Le cœur guide l'intellect, et donc il est tentant pour quelqu'un qui préfère la version remaniée de 1872 de démontrer en interprétant toutes sortes de pièces à conviction que la première version a été rejetée par son auteur, de façon à ce qu'elle ne soit plus jouée. C'est une façon forcée, mais illusoire, d'imposer ses goûts.

Or, on peut trouver nombre de témoignages de spectateurs, y compris soi-même, qui à l'écoute des différentes versions ont été particulièrement saisis par la première - sans pour autant rejeter la seconde -, notamment parce qu'elle ne comporte aucune interruption, et d'autre part parce que le personnage de Boris occupe une place plus importante, relativement à la longueur de l'ouvrage.
Ceci justifie donc tout à fait de faire connaître cette première version brute, pour le point de vue qu'elle défend.
http://fomalhaut.over-blog.org/
"Le problème à l'opéra, c'est son public." Patrice Chéreau.

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par nikita » 12 juin 2018, 00:30

Piem67 a écrit :
11 juin 2018, 20:42
Pour Don Carlo/s, personnellement, quand j'écoute et quand j'ai (eu) l'occasion de voir la partition (autre gros mot, désolé), j'ai vu énormément de différences. Et même sans partition, entre la version de Lyon récente et la version d'un Giulini ou d'un Solti, désolé, mais personnellement, je n'entends pas que les 3 différences que tu cites. C'est bourré de modifications ici où là, parfois fort importantes, qu'elles soient orchestrales, harmoniques, mélodiques ou structurelles. Là encore, je ne peux rien pour vous deux !

Pour Boris, c'est amusant comme Autolycus et toi Lucas, vous ne cessez de répéter la même chose comme pour vous en persuader, sans tenir compte des éléments que j'apporte parce que votre thèse qui regarde la chose par un petit angle conforte votre rejet de Boris 1869. Donc je vous laisse à votre surdité.
Mais évidemment !
Même entre la/les version(s) de Paris et celle de Modena, il y a de très nombreuses modifications, ce ne sont pas les mêmes oeuvres, les personnages n'ont pas la même psychologie !
Par ailleurs je suis étonnée, pour avoir lu auparavant d'anciens échanges des membres en présence, qu'on puisse défendre l'adaptation par un tiers d'une oeuvre, sous prétexte que c'est "un grand compositeur", mais ne pas accorder à Currentzis ou Tcherniakov (entre autres) d'être de grands chef ou metteur en scène/dramaturge...

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par Lucas » 12 juin 2018, 09:13

David-Opera a écrit :
11 juin 2018, 23:40
Je pense surtout qu'il faut se faire confiance à soi-même.
Le cœur guide l'intellect, et donc il est tentant pour quelqu'un qui préfère la version remaniée de 1872 de démontrer en interprétant toutes sortes de pièces à conviction que la première version a été rejetée par son auteur, de façon à ce qu'elle ne soit plus jouée. C'est une façon forcée, mais illusoire, d'imposer ses goûts.
C'est surtout vrai de la part de Piem.

Mais certainement pas de la part d'André Lischke auquel j'ai souvent fait référence et dont la position, très équilibrée, est la suivante :

1- Il adore, comme Piem, les deux versions de 1869 et 1872 au point de reprocher sévèrement à Gergiev de ne pas respecter la partition de 1869 dans l'enregistrement qu'il en a fait. Il conseille aussi vivement au mélomane de privilégier les enregistrements reprenant l'orchestration de Moussorgski au détriment de celle de Rimski. C'est pourquoi, de mémoire, je crois qu'il place au sommet de la discographie la version de Claudio Abbado.

2- Il reconnait, à la lecture des multiples témoignages directs (Moussorgski) et indirects (les réunions du "groupe des cinq"), que Moussorgski n'était pas satisfait de la version de 1869 au point d'en réécrire les 3/4, de rajouter un acte, d'en transformer la dramaturgie et d'en modifier profondément l'esthétique musicale en redonnant ses lettres de noblesse à la mélodie. Pour se faire, il a traduit scrupuleusement les lettres de Moussorgski (cf aussi l'ouvrage portant sur la correspondance de Moussorgski de Francis Bayer chez Fayard), Borodine, Cui, Balakirev, Rimski-Korsakov mais aussi celles des aristocrates et mécènes qui participaient aux réunions du "groupe des cinq". A l'époque, on écrivait autant de lettres qu'on rédige aujourd'hui de textos et les sources sont multiples et concordantes.

3- Il estime que Rimski-Korsakov avait une profonde admiration pour Moussorgski sans laquelle il n'aurait pas passé plusieurs années à réécrire l'orchestration de Boris et la Khovantchina. Il s'est simplement comporté en professeur trop zélé en prenant les audaces harmoniques de son confrère pour des fautes de solfège. Il n'en reste pas moins que, sans lui, les opéras de Moussorgski n'auraient jamais été joués dans le centenaire qui a suivi la mort du compositeur et qu'ils seraient peut-être tombés dans l'oubli. En aucune façon, il ne considère Rimski comme un rival mal intentionné qui aurait tenté de récupérer à son profit l’œuvre de Moussorgski mais, au contraire, il en fait le portait d'un ami bienveillant. En résumé, la thèse du gentil Modest contre le méchant Rimski, défendue par Piem, est parfaitement grotesque. Pour s'en convaincre, il suffit de lire "La chronique de ma vie musicale" qui sont les mémoires de Rimski traduites par Lischke et parues chez Fayard.

Bref, Lischke fait un travail de musicologue sérieux qui ne se borne pas à l'analyse des partitions mais s'attache aussi à la personnalité des compositeurs et à la traduction scrupuleuse de leur correspondance. Et surtout il ne confond jamais ses goûts personnels et la réalité historique. En un mot tout l'inverse de Piem qui n'a manifestement jamais pris le temps de le lire ...

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par Autolycus » 12 juin 2018, 10:14

@Piem67
Cher Monsieur, si je vous ai blessé par mon "ton condescendant et désagréable", je vous présente mes plus plates excuses.

Ne croyez-vous pas, cependant, que la meilleure façon de témoigner du respect à son interlocuteur lors d'un débat - serait d'écouter ses arguments et d'y répondre loyalement ?

Depuis le début de l'échange, j'insiste sur le critère qui guide mes raisonnements, et qui est, pour moi, la finalité de tout projet théâtral tel que Boris, à savoir - ekh raz, ichtcho raz - la structure dramatique de l'oeuvre et l'histoire qu'elle raconte.

Vous évitez soigneusement d'aborder cet aspect des choses, en insistant, encore et toujours, sur l'analyse du discours musical de Moussorgski qui, vous en conviendrez j'espère, n'est qu'un MOYEN.

Vous reprenez la même méthode dans notre échange sur Don Carlos : je note que Verdi a fait de nombreuses modifications musicales, mais SANS changer la trame de l'ouvrage qui raconte toujours la même chose (alors que Moussorgski bouleverse tout et raconte une autre histoire) - vous me répondez, outragé, que je "n'entends pas de différences MUSICALES entre Don Carlos et Don Carlo" (alors que je viens d'écrire le contraire) et que je pense "que l'un est la simple traduction de l'autre". Où avez-vous vu une chose pareille ? N'avez-vous pas saisi que le mot "traduction" a été utilisé seulement dans son sens premier : qu'en 1883-64 Verdi a réécrit son Don Carlos en français, avant de le faire traduire en italien ? Et que l'opéra "Don Carlo" n'existe pas davantage que "Figaros Hochzeit" de Mozart?

Vous prétendez que 1869 est une oeuvre "achevée" et demandez des preuves écrites de son "rejet" par Moussorgski. Ne vous semble-t-il pas que le fait de l'avoir immédiatement remise sur son métier, n'avoir jamais cherché à la pérenniser d'aucune façon, et de l'avoir réécrite de fond en comble selon un autre principe dramatique, tout en la "cannibalisant", est une preuve suffisante de ce rejet ?

Et, pour finir : je vous parle de Taruskin, un des plus grands musicologues vivants, auteur d'un ouvrage fondamental sur Moussorgski - vous me répondez "un article d'André Lischké" et d'autres amabilités du même genre.

Cordialement.
A

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par Autolycus » 12 juin 2018, 10:22

nikita a écrit :
12 juin 2018, 00:30
Même entre la/les version(s) de Paris et celle de Modena, il y a de très nombreuses modifications, ce ne sont pas les mêmes oeuvres, les personnages n'ont pas la même psychologie !
Par ailleurs je suis étonnée, pour avoir lu auparavant d'anciens échanges des membres en présence, qu'on puisse défendre l'adaptation par un tiers d'une oeuvre, sous prétexte que c'est "un grand compositeur", mais ne pas accorder à Currentzis ou Tcherniakov (entre autres) d'être de grands chef ou metteur en scène/dramaturge...
Attention : Nikita est un prénom exclusivement masculin - où il l'était, jusqu'à un certain film...

La "version de Modène" a été fabriquée sans aucune collaboration de Verdi, qui l'a juste tolérée - pour des raisons commerciales. On a collé la petite tête de 1867 (moitié du premier acte parisien) sur le corps de 1884 (Don Carlos en 4 actes).

On peut : lorsque le grand compositeur signe son adaptation de l'oeuvre d'un autre grand compositeur. Comme Ravel l'a fait, toutes proportions gardées, avec Les Tableaux.

C'est tout de même autre chose que de réécrire l'oeuvre (Tcherniakov), en parfaite contradiction avec les données dramatiques de celle-ci, tout en prétendant que c'est toujours, mettons, Carmen de Georges Bizet. Courage et honnêteté, voilà toute la différence.

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par srourours » 12 juin 2018, 11:09

Pour moi qui ait été bercé par l'enregistrement de Solti de la version italienne en 5 actes, j'ai eu l'impression en entendant la version française à Lyon de découvrir une nouvelle oeuvre. J'entends l'argumentaire sur la trame narrative et théâtrale mais enfin il y a quand même une histoire de tonalité, d'éclairage qui donne une sensation tout autre. Comme un tableau où si l'on modifie la lumière, des détails nouveaux peuvent apparaître et modifier profondément le ressenti et l'approche que l'on avait précédemment. Pour Boris, on peut aussi imaginer que Modeste fut effrayé du modernisme de la version primitive et qu'il s'en est éloigné.

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par srourours » 12 juin 2018, 11:09

Sinon, tout en restant modeste, j'aime bien.me faire une petite mousse au ski (dans un registre plus léger !)

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Re: Moussorgski - Boris Godounov - Jurowski/Van Hove - ONP - 06/07 - 2018

Message par Piem67 » 12 juin 2018, 11:17

Lucas a écrit :
12 juin 2018, 09:13
David-Opera a écrit :
11 juin 2018, 23:40
Je pense surtout qu'il faut se faire confiance à soi-même.
Le cœur guide l'intellect, et donc il est tentant pour quelqu'un qui préfère la version remaniée de 1872 de démontrer en interprétant toutes sortes de pièces à conviction que la première version a été rejetée par son auteur, de façon à ce qu'elle ne soit plus jouée. C'est une façon forcée, mais illusoire, d'imposer ses goûts.
C'est surtout vrai de la part de Piem.
Alors, ça c'est fort et finalement très drôle ! Dire que je me fie à mon instinct, à ma préférence pour la version de 69 (ce qui est inexact puisque j'ai dit que je préférais celle de 72 !), c'est totalement inverser les choses ! Et sous-entendre que je manque de sérieux alors que je n'ai cessé de citer plusieurs musicologues, chercheurs, qui ont travaillé sur les sources - et pas uniquement Lischké ou la correspondance de Moussorgsky (que j'ai épluchée en long et en large en son temps et où rien ne justifie le théorie d'un Moussorgsky égratinant son premier Boris) - c'est fort de café.

Lucas a écrit :
12 juin 2018, 09:13
André Lischke auquel j'ai souvent fait référence et dont la position, très équilibrée, est la suivante :

1- Il adore, comme Piem, les deux versions de 1869 et 1872 au point de reprocher sévèrement à Gergiev de ne pas respecter la partition de 1869 dans l'enregistrement qu'il en a fait. Il conseille aussi vivement au mélomane de privilégier les enregistrements reprenant l'orchestration de Moussorgski au détriment de celle de Rimski. C'est pourquoi, de mémoire, je crois qu'il place au sommet de la discographie la version de Claudio Abbado.

2- Il reconnait, à la lecture des multiples témoignages directs (Moussorgski) et indirects (les réunions du "groupe des cinq"), que Moussorgski n'était pas satisfait de la version de 1869 au point d'en réécrire les 3/4, de rajouter un acte, d'en transformer la dramaturgie et d'en modifier profondément l'esthétique musicale en redonnant ses lettres de noblesse à la mélodie. Pour se faire, il a traduit scrupuleusement les lettres de Moussorgski (cf aussi l'ouvrage portant sur la correspondance de Moussorgski de Francis Bayer chez Fayard), Borodine, Cui, Balakirev, Rimski-Korsakov mais aussi celles des aristocrates et mécènes qui participaient aux réunions du "groupe des cinq". A l'époque, on écrivait autant de lettres qu'on rédige aujourd'hui de textos et les sources sont multiples et concordantes.

3- Il estime que Rimski-Korsakov avait une profonde admiration pour Moussorgski sans laquelle il n'aurait pas passé plusieurs années à réécrire l'orchestration de Boris et la Khovantchina. Il s'est simplement comporté en professeur trop zélé en prenant les audaces harmoniques de son confrère pour des fautes de solfège. Il n'en reste pas moins que, sans lui, les opéras de Moussorgski n'auraient jamais été joués dans le centenaire qui a suivi la mort du compositeur et qu'ils seraient peut-être tombés dans l'oubli. En aucune façon, il ne considère Rimski comme un rival mal intentionné qui aurait tenté de récupérer à son profit l’œuvre de Moussorgski mais, au contraire, il en fait le portait d'un ami bienveillant. En résumé, la thèse du gentil Modest contre le méchant Rimski, défendue par Piem, est parfaitement grotesque. Pour s'en convaincre, il suffit de lire "La chronique de ma vie musicale" qui sont les mémoires de Rimski traduites par Lischke et parues chez Fayard.

Bref, Lischke fait un travail de musicologue sérieux qui ne se borne pas à l'analyse des partitions mais s'attache aussi à la personnalité des compositeurs et à la traduction scrupuleuse de leur correspondance. Et surtout il ne confond jamais ses goûts personnels et la réalité historique. En un mot tout l'inverse de Piem qui n'a manifestement jamais pris le temps de le lire ...
Pour en finir avec cette histoire :

- Il n'y aucune lettre où Moussorgsky rejette sa version de 69. Ou alors, il faut me la trouver.

- RImsky a permis aux œuvres de Moussorgsky de survivre à son siècle, et il faut l'en gratifier, et je l'ai parfaitement exprimé ici. Je n'ai jamais dit qu'il y avait un "méchant" Rimsky contre un "gentil" Moussorgsky, tout n'est pas blanc ou noir, il y a des tas de nuances de gris entre les 2.

- Il reste néanmoins que toutes les révisions des œuvres de Moussorgsky par Rimsky émoussent toutes les innovations du premier. Le discours est lissé, radicalement transformé sur pratiquement tous les paramètres musicaux, la structure est parfois considèrablement modifiée (je rappelle que dans sa révision de Boris, Rimsky inverse les 2 derniers tableaux, contrairement aux intentions de Moussorgsky). Rimsky a d'ailleurs reconnu que ses révisions devraient être abandonnées le jour où l'on estimerait que ses travaux ne seraient plus utiles, l'heure est largement venue, on a entendu bien plus audacieux que Moussorgsky depuis plus d'un siècle et on est habitué à des rugosités bien plus importantes, Moussorgsky ne fait plus "peur" comme il le faisait dans la deuxième moitié du XIX° et au début du XX°. Le travail de Rimsky a été utile et (vraiment) bienvenu, il n'a plus d'utilité aujourd'hui, sauf pour ceux que la rugosité effraie et qui ne sont pas habitués à la musique du XX° s. que Moussorgsky annonce par mains aspects.

- Il demeure néanmoins que les propos de Rimsky sont à prendre avec un maximum de pincettes car s'il admirait effectivement le génie de Moussorgsky, il ne le comprenait pas (ce n'est pas une injure faite à Rimsky, juste un constat de 2 personnalités extrêmement différentes quant à leur parcours de vie et leur esthétique) ; Rimsky s'est effectivement considéré comme un "correcteur" (ce qu'il était, puisqu'enseignant au conservatoire de St-Pét) parce qu'il estimait que Moussorgsky écrivait mal mais il ne s'en est pas tenu là, il s'est aussi comporté en compositeur, même sur des œuvres achevées, il a alors outrepassé son rôle selon moi). Moussorgsky lui, refusait tout enseignement académique et revendiquait le fait d'être autodidacte (ce qu'étaient tous les compositeurs russes de cette génération puisqu'il n'y avait pas conservatoires en Russie : c'est Rimsky qui s'est le plus investi dans la voie "académique" en devenant professeur au conservatoire. Evidemment, son mode de fonctionnement et son esthétique en sont sortis extrêmement changés.
On est de toute façon largement revenu de cette vision très dixneuvièmiste d'un Moussorgsky "à corriger" et aujourd'hui pratiquement plus personne ne joue les version de RImsky sauf lorsqu'un chef veut faire "briller" son orchestre, ce qui revient pour les uns et les autres à ne pas avoir compris l'esthétique de Moussorgsky.

- Depuis le début je ne m'attache pas qu'à la partition, j'ai au contraire fait référence au contexte social et historique de l'époque où Moussorgsky travaille à Boris, à la lumière des travaux de Jean-Marie Jacono, Richard Taruskin, Caryl Emerson, Marta Papp, Alexandra Orlova ou Evgueny Levachev par exemple. Je ne me fonde pas sur un ou deux article(s) d'André Lischké pour soutenir mes propos (et ce, contrairement à ce qu'affirme Autolycus qui a bien mal lu les échanges, ou ne les a pas tous lus, ce que je peux comprendre vu le nombre de pages à présent).


Autolycus a écrit :
12 juin 2018, 10:22
nikita a écrit :
12 juin 2018, 00:30

Par ailleurs je suis étonnée, pour avoir lu auparavant d'anciens échanges des membres en présence, qu'on puisse défendre l'adaptation par un tiers d'une oeuvre, sous prétexte que c'est "un grand compositeur", mais ne pas accorder à Currentzis ou Tcherniakov (entre autres) d'être de grands chef ou metteur en scène/dramaturge...
On peut : lorsque le grand compositeur signe son adaptation de l'oeuvre d'un autre grand compositeur. Comme Ravel l'a fait, toutes proportions gardées, avec Les Tableaux.

C'est tout de même autre chose que de réécrire l'oeuvre (Tcherniakov), en parfaite contradiction avec les données dramatiques de celle-ci, tout en prétendant que c'est toujours, mettons, Carmen de Georges Bizet. Courage et honnêteté, voilà toute la différence.
Ce n'est pas parce qu'on est un "grand compositeur" que l'on respecte l'esthétique d'un compositeur. L'orchestration de Ravel des Tableaux de Moussorgsky est un contre-sens dans la plupart des pièces, utilisant des instruments que Moussorgsky ne connaissait pas ou n'a pas utilisé de cette manière (saxophone, harpe), mettant en œuvre un type de brillance totalement absent dans l'œuvre de Moussorgsky (cela équivaut pour moi à ce que peut parfois faire Tcherniakov dans ses mises en scène : beau (parfois) mais contresens, cf. ses Dialogues des carmélites). Ce qu'a fait Ravel est en soi un chef-d'œuvre d'orchestration ravélienne, un brillant exercice de style, mais ce n'est en rien russe et encore moins moussorgskien. Pour avoir une idée bien plus juste de ce qu'aurait pu être une orchestration des Tableaux par Moussorgsky, il faut aller écouter l'orchestration d'Ashkenazy qui est remarquable.


Autolycus a écrit :
12 juin 2018, 10:14
Depuis le début de l'échange, j'insiste sur le critère qui guide mes raisonnements, et qui est, pour moi, la finalité de tout projet théâtral tel que Boris, à savoir - ekh raz, ichtcho raz - la structure dramatique de l'oeuvre et l'histoire qu'elle raconte.

Vous évitez soigneusement d'aborder cet aspect des choses, en insistant, encore et toujours, sur l'analyse du discours musical de Moussorgski qui, vous en conviendrez j'espère, n'est qu'un MOYEN.

Vous reprenez la même méthode dans notre échange sur Don Carlos : je note que Verdi a fait de nombreuses modifications musicales, mais SANS changer la trame de l'ouvrage qui raconte toujours la même chose (alors que Moussorgski bouleverse tout et raconte une autre histoire) - vous me répondez, outragé, que je "n'entends pas de différences MUSICALES entre Don Carlos et Don Carlo" (alors que je viens d'écrire le contraire) et que je pense "que l'un est la simple traduction de l'autre". Où avez-vous vu une chose pareille ? N'avez-vous pas saisi que le mot "traduction" a été utilisé seulement dans son sens premier : qu'en 1883-64 Verdi a réécrit son Don Carlos en français, avant de le faire traduire en italien ? Et que l'opéra "Don Carlo" n'existe pas davantage que "Figaros Hochzeit" de Mozart?

Vous prétendez que 1869 est une oeuvre "achevée" et demandez des preuves écrites de son "rejet" par Moussorgski. Ne vous semble-t-il pas que le fait de l'avoir immédiatement remise sur son métier, n'avoir jamais cherché à la pérenniser d'aucune façon, et de l'avoir réécrite de fond en comble selon un autre principe dramatique, tout en la "cannibalisant", est une preuve suffisante de ce rejet ?

Et, pour finir : je vous parle de Taruskin, un des plus grands musicologues vivants, auteur d'un ouvrage fondamental sur Moussorgski - vous me répondez "un article d'André Lischké" et d'autres amabilités du même genre.

Cordialement.
A
Tu as écrit à un moment : " "Don Carlo" n'existe pas, c'est juste le titre italien d'un opéra français", d'où mon utilisation du mot "traduction" et sous entendant de ta part qu'il n'y a pas de différence entre les différentes versions de Don Carlos. Je pense que tu as très bien compris ce que je voulais dire et tant mieux si on est d'accord : Verdi a considérablement modifié sa partition entre la version parisienne en 5 actes et les versions travaillées pour les représentations en Italie, en 4 actes. Ne pas le reconnaître, c'est absurde. Quiconque a dans l'oreille la version de Solti ou Giulini et est allé au Châtelet pour la version de Pappano/Bondy ou à Lyon récemment ne peut qu'être surpris par ces différences, quand bien même l'histoire est la même, quand bien même le nombre et la psychologie des personnages sont les mêmes, quand bien même la structure est grosso modo la même (quoique). C'est tout ce que je voulais dire et dans tes propos, je comprends une négation de cela. Si je me suis trompé, et bien j'en suis désolé.

La forme prenant le dessus sur les moyens, non, je ne vois pas pourquoi ce devrait être le cas, et je ne comprends pas vraiment ce que ça veut dire, je ne suis pas sûr de comprendre ton argumentation sur ce point (ou bien si tu penses que la structure de Boris 1872 "annule" celle de Boris 1869, c'est faux, le 2° Boris n'annulant pas le 1er, c'est une AUTRE œuvre).

Quant au soi-disant rejet par Moussorgsky de sa version de 1869 de Boris, et donc, d'après ce que je comprends, au non-statut d'œuvre pour ce premier Boris, pourquoi dans ce cas, une fois la partition terminée, aurait-il cherché à la faire jouer, pourquoi aurait-il fait une partition au propre, l'aurait confié au Comité s'il n'en était pas content et si ce n'était pas une œuvre achevée et ce, alors même qu'il avait déjà le projet d'une deuxième version de son opéra ? Tu refuses d'entendre cet argument. Refuser le statut d'œuvre achevée au Boris de 69 est une aberration totale et un aveuglement obtus.

Par ailleurs, le simple fait de reprendre une œuvre et de la transformer ne veut pas dire que la première version est mauvaise et que cette version "n'existe pas" (ou plus) (c'est ta théorie, je te cite : "la version de 1869 que Moussorgski lui-même a jugée assez imparfaite pour la réécrire de fond en comble" - "de fond en comble", c'est déjà une erreur : l'orchestration, le discours harmonique et rythmique ne changent pas, la prosodie change - en partie - et la structure aussi, mais je vois pas parce que la structure change il faudrait ne pas regarder les "moyens" comme tu les appelles). C'est une vision parcellaire et faussée des choses.

D'ailleurs, on ne trouve aucune trace d'une critique de la première version de Boris dans la correspondance de Moussorgsky. Le Boris de 69 est une œuvre autonome dont on possède une partition complète du compositeur lui-même, sans aucun intermédiaire, partition que le compositeur a cherché à faire jouer, qu'il a confié au comité de censure, partition par ailleurs enregistrée et jouée. Que Moussorgsky se soit lancé avec passion et ait cherché à faire jouer sa version de 72, quoi d'étonnant à cela ? Est-ce que cela valide le statut de non-œuvre à la version de 69 ? Où trouve-t-on mention de cela dans la correspondance de Moussorgsky ?

La situation est comparable à celle du Boulez des Notations, à l'origine pièces pour piano de jeunesse et que Boulez reprend et transforme (amplifie) en œuvre pour orchestre plus tard : l'original perd-il son statut d'œuvre pour autant ? Cela signifie-t-il que l'œuvre de départ était "imparfaite" et qu'elle nécessitait refonte, modification, etc. ? Absolument pas.

Quand je parlais d' "un article de Lischké", c'était pour parler de la source que Lucas a cité plusieurs fois, tu as mal lu nos échanges, j'ai mentionné bien d'autres chercheurs que Lischké. Et tu penses bien qu'ayant fait une thèse portant en grande partie sur Moussorgsky, et ayant fait des recherches directement en Russie, je connais parfaitement la littérature à son sujet (cf. + haut).

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