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par NiklausVogel » 24 déc. 2017, 20:00
Vu sur culturebox... donc sous toutes réserves...
Claus Guth est un metteur en scène inégal. Son truc, c'est de nous raconter une autre histoire que celle nous avons toujours vue. Le Holländer à Bayreuth était magistral d'inventivité et de maitrise, genre "psychanalyse de brasserie". Le hollandais était un double de Daland, fantasmé par la petite Senta, dans un dispositif scénique époustouflant, dessiné comme une carte à jouer, moitié-réalité moitié-fantasme, où se déroulait une interprétation implacable de la sexualité des petites filles (qui sont amoureuses de papa et qui jouent avec des poupées habillées en marin), conduisant inévitablement à l'asile psychiatrique peuplé d'infirmières/fileuses. Guth sauvait la soirée, vocalement impossible (Adrienne Dugger...). Les noces de Figaro transposées du monde de Beaumarchais dans celui d'Ibsen (Suzanne effectivement amoureuse du comte - perspective plus intéressante que le mariage avec un domestique un peu niais finalement, la comtesse et Figaro effectivement attirés l'un par l'autre, et Cherubin en manipulateur), Don Giovanni blessé au bas-ventre dès le combat initial, et souffrant sur deux actes d'être poursuivi par trois nymphomanes hystériques qu'il ne peut plus satisfaire, et le compositeur d'Ariane, suicidé en fin de prologue, laissant son amante éplorée, la prima donna, seule et abandonnée dans une brasserie de Zürich, avant de réapparaitre en Bacchus, tout cela marchait quand même très bien. On n'en dira pas autant du Parsifal transforné en querelle de famille (Klingsor est le frère d'Amfortas) et d'une femme sans ombre opprimée jusqu'à la névrose par le paternalisme bourgeois. Pire, un Ring pas désagréable à regarder, mais sans invention particulière. Je n'ai pas vu le Rigoletto. Et dans le Lohengrin, il y a à boire et à manger.
Nous sommes donc en orbite autour de Solaris, ce monde-télépathe qui fait renaitre dans le cerveau des cosmonautes le temps perdu et ses chers disparus. On peut certes admettre l'existence de problèmes techniques analogues à ceux rencontrés par Rodolfo et Marcello dans leur chambre sous les toits au temps de Louis-Philippe, mais cela colle quand même assez mal. On se dit : qu'est ce qu'il va faire à l'arrivée de Benoit ? La réponse est : pas grand chose, il faut bien s'amuser, et on joue à l'arrivée de Benoit. Mouais, bon. L'apparition de Mimi change tout. Autant Benoit n'avait rien à faire autour de Solaris, autant Mimi nous y ramène, et on se retrouve chez Tarkovski, et il y a pire comme référence. Le texte fonctionne un moment d'ailleurs, puisque Rodolfo affirme lui-même que Mimi est son rêve. Et effectivement, l'homme perdu dans l'espace, par l'intermédiaire d'une planète télépathe, retrouve ses émotions passées, au-delà de la mort. La madeleine, quoi. Après, cela recommence à se gâter. Mener simultanément la Bohème (image du passé) et l'agonie des cosmonautes, avec les chanteurs et leurs doubles, d'abord dans le vaisseau, puis au sol, c'est une idée, mais ce n'est pas une idée suffisante pour conduire le drame jusqu'au bout. Alors on a deux solutions, passer son temps à se demander qui est qui, qui fait quoi, et pourquoi, ou laisser tomber et écouter la musique et regarder le décor qui n'est pas laid, après tout. Les hommes sont corrects, Musette est merveilleuse et la Mimi de Nicole Car est excellente (si on commence à comparer, on n'en sortira pas). Le timbre n'est pas laid, la voix est sonore et l'émotion passe. Pourquoi mégoter ?
Reste que pour moi, le compte n'y est pas, il est clair que ce n'est pas du meilleur Guth (la preuve, c'est que ma belle-mère n'y a rien compris). On est très loin du tour de force exceptionnel réalisé par Stefan Herheim dans cette mise en scène pour l'opera d'Oslo qu'on a pu voir sur le net récemment et qui se retrouve en DVD. Herheim, lui, a trouvé un vrai fil conducteur, la mort. La mort dès le début, omniprésente dans cette histoire qui ne peut que mal se finir, jusque dans la foule du café Momus, et qui pèse sur la moindre illusion de bonheur. Au moins, avec un thème pareil, on s'y retrouve à chaque instant.