lamammamorta a écrit : ↑12 oct. 2017, 23:21
Don Carlos mis en scène par Warlikowski est traité comme un film noir et un thriller psychologique. D'où la transposition dans une espagne XX ème siècle. On pense à Franco et à l'Opus dei, ce qui est loin d'être absurde, mais c'est surtout l'ambiance des films hollywoodiens des années 50, très noirs et pessimistes que Warlikowski veut nous faire ressentir. Autre film qui hante la production : Shining. Un des plus grands et mésestimés films de Kubrick. La moquette de la salle de projection/réunion de l'acte IV est la même que celle de l'hôtel Overlook. Hôtel vide et immense, espace mental empli de fantômes et qui sera la prison de l'âme damnée de Jack Torrence.
Une fois ces quelques clés à l'esprit, et le postulat de départ intégré : tout est vu par les yeux de Carlos, tout m'a paru clair et coulant de source. Les vidéos, projections des pensées de Carlos s'intègrent naturellement à l'action.
Carlos est damné, hanté par l'ombre de son aïeul. Il paiera pour les fautes de ses ancêtres et de son père.
Tout l'opéra sera donc une radiographie de sa chute, de son combat vain contre son sort inéluctable.
Ce que certains peuvent voir comme un défaut: les espaces immenses et vides et la froideur glaciale qui s'en dégage, m'ont beaucoup impressionné. Quoi de plus fort que de faire chanter "Toi qui sus le néant des grandeurs du monde" d'Elisabeth dans l'immense plateau vide de Bastille. La voir seule et forte dans cette immensité nous fait aussitôt ressentir son émotion. C'est d'une simplicité et d'une puissance rare.
J'ai été renversé par la prestation de Ludovic Tézier. Autant vocale que dans son jeu. Travailler avec un tel metteur en scène lui a fait un bien fou. Je n'ai jamais vu de Rodrigue aussi complexe. C'est extrêmement fin comme incarnation. Et vocalement, c'est exceptionnel.
Tout comme Elina Garanca. Portait de la femme fatale multi-facettes. Un électrochoc !
Adbrazakov est un Philippe émouvant, rongé par l'amour, la jalousie et le remord. Son "Elle ne m'aime pas" est splendide
Kaufmann semble se battre contre cette vision d'un Don Carlos perdu d'avance, tant mieux : ça donne du relief au personnage. Et vocalement, chapeau. Le rôle en français, sans les coupures est effroyable de difficulté.
Yoncheva campe une Elisabeth parfaite de dignité.
Quel plateau ! Tous les autres rôles sont excellents, du choryphée au début en passant par le magnifique moine, jusqu'aux plus grands rôles. Signe d'une grande maison, comme le dit souvent et justement Christian Merlin.
La direction musicale, au scalpel, peut dérouter. Mais la vision de Jordan colle parfaitement avec ce qu'on voit. Le feu sous la glace. L'orchestre et le chœur sont à leur meilleur.
Une soirée exceptionnelle, autant vocale que scénique.