Représentation du 16 mai
Je dirai peu de choses de la mise en scène de
Willy Decker, dans l'idée assez efficace, dans cette reprise en fait assez ratée... Je l'avais vue en 2010
[j'ai découvert que c'était avec Tézier — j'allais surtout voir les oeuvres à l'époque] mais je n'avais pas souvenir que tout était à ce point flottant et dramatiquement si peu efficace (pourtant il y a de bonnes idées...). Je crois que cette reprise a été faite dans la précipitation et que la direction d'acteur a été bâclée (pour des raisons diverses — soit les chanteurs sont arrivés tard, soit l'équipe dans son ensemble a été peu préparée). Pour ma part, je crois que le manque d'émotion ressenti pendant la soirée vient principalement de là. Les chanteurs restaient soit plantés comme des tuteurs, soit adoptaient des pauses convenues dignes des pires nanars (en théâtreux qui se respecte, j'ai du mal à comprendre comment on peut laisser sur scène un chanteur faire semblant de gribouiller une lettre en grands gestes sans même un semblant de plume...
).
Musicalement, la soirée est dominée par
Anna Netrebko. La chanteuse sait que le public l'attend : elle montre donc sa belle voix, dont je n'avais jamais remarqué le stupéfiant soyeux. Les aigus sont plutôt instables, mais le médium et le grave sont superbes et elle est capable de nuances et de
mezze voce remarquables. Comment expliquer alors que l'on ne sorte pas de la représentation excité ou même enthousiasmé ? La mise en scène, sans aucun doute, la dessert, tout comme la direction orchestrale ; mais il faut bien admettre qu'on est plus dans la démonstration vocale que dans l'incarnation d'un personnage. On a entendu Anna Netrebko — la sensibilité, les doutes, l'âme torturée de Tatiana, pas vraiment. J'attendais pourtant beaucoup de cette soirée : je n'ai jamais vraiment apprécié la voix et le chant de Netrebko, mais je ne suis pas du genre à demeurer arrêté sur l'idée que je me fais d'un chanteur : je n'aimais pas ce que faisait l'actuel Alagna jusqu'à il y a deux mois où, après une première partie de Carmen belle mais routinière, il s'est entièrement donné dans une seconde partie hallucinée, dont je suis sorti tout tremblotant. Pour moi, Netrebko a fait le minimum ; c'est un beau minimum, un très beau même, mais ça ne m'a pas remué
.
Peter Mattei dans la première partie était d'une très grande noblesse. Son air à la fin du premier acte fut superbe, avec un aigu filé final renversant, se confondant avec les sonorités des bois de l'orchestre. Mais il est apparu diminué dans la deuxième partie. Il semble de surcroît très gêné sur scène dans cette mise en scène et j'avoue que j'étais très souvent gêné pour lui, pendant la scène du bal au II et pendant le duo final notamment, où il ne savait plus quoi faire. Il sera sans doute bien plus convaincant et exaltant lors des prochaines représentations.
L'Olga de
Varduhi Abrahamyan m'a grandement charmé. Ses graves sont superbes, la voix est très bien tenue et c'est l'artiste qui est la plus à l'aise sur scène et qui campe le personnage le plus caractérisé.
Pavel Černoch a été un Lenski assez inégal, malgré tout souvent émouvant (ce sont surtout les aigus qui posent problème). Il est assez maladroit scéniquement mais je trouve que le personnage en devient touchant. Son «
Kuda, kuda, kuda... » était très beau, bien que parasité par je ne sais combien de crises de toux...
Alexander Tsymbalyuk est un Grémine fort jeune, aux graves pratiquement inexistants mais au timbre superbe. J'aime énormément ses basses qui ont par ailleurs un registre aigu aussi bien tenu.
Je n'ai pas entendu la Madame Larina d'Elena Zaremba...
C'était assez émouvant de voir et entendre sur scène ces chanteurs « du passé » (disons dont l'heure de gloire est passée) que sont
Hannah Schwarz et
Raúl Giménez. La première endosse avec éloquence le rôle de la nourrice de Tatiana, le second celui de Monsieur Triquet, avec un grand panache et une morgue rare.
Beau travail du choeur.
La direction orchestrale de
Edward Gardner était absolument chaotique au début de la représentation et par la suite sans vision ni tenue dramatique... Si la soirée n'a pas atteint les cimes escomptées, c'est en grande partie de sa faute, je crois.
J'étais assis au 15e rang du parterre, non loin de Lissner, Pierre Bergé, Alain Duault ou Marisol Touraine, et j'ai entendu parler russe et italien beaucoup plus que d'habitude. On n'a pas trop aimé que je ne sois pas sur mon 31. Je mettrai ma plus belle robe la prochaine fois. Enfin je crois que je n'irai plus à une première (sauf aux avant-premières).