Médée (Niquet, Lyon/Fest. Ambronay 10/04 - Gaveau, 05/05)
Posté : 10 oct. 2004, 19:21
Médée (H. Niquet, Lyon/Festival d'Ambronay 2004)
Version de concert donnée le 5 octobre 2004, Auditorium de Lyon.
La fortune posthume de Charpentier a connu une montée en puissance exponentielle. Depuis le fameux indicatif de l?ORTF de 1952, il n'y a de trimestre sans l'enregistrement ou la représentation de parties diverses de son oeuvre. Sa seule tragédie en musique, composée en 1693, c'est-à-dire 6 ans après la mort de Lully, a été le second des ouvrages scéniques a être remonté, après David et Jonathas en février 1981.La dernière incarnation de Médée remonte à dix ans, et le même laps de temps s'était écoulé depuis la remise sur le théâtre de cette tragédie flamboyante et bizarre, qui n?avait fait à l'époque qu?un succès d'estime (le Roi la qualifiant uniquement d?"honnête"), car on y pouvait entendre quantité d?endroits admirables. L'ouvrage n'eut que 10 représentations et ne fut jamais reprise, sauf une tentative à Lille en 1700, avortée par l'incendie du théâtre.
Médée cousine germaine de l'Armide de Lully (1686) et de la Circé de Desmarets (1694), devait attendre pour trouver son public.
C?est que l??uvre dérouta. Elle suscita même une hostilité certaine, malgré ?ou plutôt, à cause- d?une richesse qui paru hors de propos dans sa composition, par le traitement de l?orchestre, par les audaces de certaines modulations, dans des chromatismes hardis etc?
C?est qu?à l?incarnation du tragique grec ? l?épouse bafouée- a succédé la figure de la royauté absolue qui ne peut laisser parler ses sentiments. Médée est femme et épouse, mais elle est aussi reine. Jason en rompant ses v?ux, ne met il pas en péril l?ordre établi par le cadre du mariage et de la foi ? Le drame de Médée est personnel, mais influe sur la chose publique : comment accorder foi à un monarque qui révoque sa fidélité ? L?ambivalence de Médée est dans la justification de sa fureur qui demande justice et le débordement de sa vengeance qui outrepasse toutes les lois qui fondent la société. Cependant, jamais elle n?apparaît monstrueuse dans le déroulement de l?action ; la scène des Enfers mise à part, la violence se passe hors champ ?comme le veut la tragédie classique. Cependant dans ces temps d?absolutisme, comment justifier une catastrophe finale dénouant le drame de façon aussi noire sinon dans le fait établi que le souverain doit tout employer pour affermir sa gloire et qu?il ne peut se comporter comme un particulier ?
Cette morale est sans doute plus ambiguë encore pour notre temps fasciné par les monstres et les cheminements de leur pensées.
Comme il l?avait préalablement annoncé, Hervé Niquet a supprimé le Prologue de la tragédie en musique. C?est une erreur, mais pas une totale surprise. Il avait fait de même pour son Persée donné à Toronto en 2001. Avait-il également pratiqué cette coupure lors d?une précédente Médée donnée à l'Opéra Atelier de Toronto en novembre 2002, je ne saurais le dire?
Dans le cas présent, la mise en abyme produite entre la glorification obligatoire du Roi-Soleil - durant laquelle paraît un tourbillon de nuages qui descend et en s?ouvrant, fait paraître le Palais de la Victoireet à la fin duquel Le Palais s?en retourne d?où il est venu ; le tourbillon se referme et remonte au Ciel. -, et la catastrophe qui voit Médée fend [re] les airs sur son dragon, et en même temps les statues et autres ornements du palais se brisent. On voit sortir des démons de tout côté qui ayant des feux à la main, embrasent ce même palais. Ces démons disparaissent, une pluie de feu se forment et cet édifice ne paraît plus que ruine et monstres ; après quoi il tombe une pluie de feu. -, s?abolit. Pourtant quel miroir inversé surprenant que ce jeu rhétorique entre la flagornerie obligatoire envers le Roi très Chrétien qui a prit comme emblème le soleil, déjà utilisé par son père, et la Magicienne païenne fille d?Apollon? Adieu donc le fameux Louis est triomphant / Tout cède à sa puissance?
Après l?ouverture, on passe directement à l?Acte premier. On est donc plongé directement en plein drame. Hélas, les scènes d?introduction, qui posent l?action, où plutôt la rappellent au public, se succèdent rapidement, sans réel souci dramatique. Or ces scènes sont cruciales à la compréhension, non de l?intrigue car elle est ici connue de tous, mais du tableau psychologique des protagonistes. Thomas Corneille a pris soin de brosser soigneusement et de manière contrastée tous les protagonistes principaux, sauf une, Créuse, qui n?apparaît qu?au deuxième acte. Chaque personnage est reconnaissable dès prime abord, ce qui permet par la suite d?avancer inexorablement dans l?action. Cette caractérisation permet également de créer des effets de surprise au moment du dénouement final, en opposant les certitudes initiales des princes grecs à la violence de l?étrangère.
Ce qui frappe dans les deux premiers actes c?est le manque de fermeté avec laquelle H. Niquet conduit son orchestre. Tout semble dilaté, dilué, englué, sans réel souci de prendre des temps dramatiques, les récits s?enchaînant les uns aux autres sans réel souci de relief. On s?attend presque à entendre la grande Marie Bell lancer "Mais prends donc un temps !". La première interjection de Médée (Jason est un ingrat, Jason est un parjure) est presque timide. Son premier air, encadré des « symphonies », Un dragon assoupi/ De fiers taureaux domptés? marque assez peu la montée en puissance qu?on espérait. Une Lorraine Hunt sous la direction de William Christie, faisait passer un frisson d?anticipation dans la salle ; Stéphanie d?Oustrac (dessus), superbe comédienne, fluide silhouette de rêve en noir en blanc, jouant de son étole comme de drapés antiques, ne parvient pas à arracher un sursaut à la salle. Il est vrai que l?acoustique de l?auditorium est peu propice à l?effectif réuni par H. Niquet, et que le son est comme étouffé, rendu grêle et un peu chétif par l?ampleur de la salle. A en justifier par moment les reproches assénés aux formations d?instruments anciens dont le son délicat rend parfois difficile une transplantation dans des espaces non réservés à cet usage. L?ampleur du continuo (trois clavecins, dont celui d?où dirige Niquet par moment, violes et théorbe) ne comble pas cette impression de lointain, qui s?atténuera par la suite, les musiciens s?étant sans doute adaptés au fur et à mesure de la soirée à cette acoustique peu favorable.
La seconde scène introduit Jason (François-Nicolas Geslot (haute-contre)) La voix est jolie mais un peu fade, et il ne gagnera un peu de mordant que lors de la scène finale, dans un véhément Ah, barbare ! presque braillé. On a peine à imaginer le vaillant Jason sous ces traits vocaux : certes le héros est veule dans son domestique, mais il demeure cependant le prince qui a réussi à fédérer sous son égide tout ce que la Grèce compte de plus héroïque dans la nef Argos. S?il s?est fait aider par Médée, c?est que nul pouvoir humain ne pouvait accomplir la conquête de la Toison d?or. On a donc peine à croire à ces antécédents, qui devraient rendre son retournement plus terrible encore. F-N Geslot échoue ici à traduire la déchéance morale et la cruauté de son abandon. Il accentue le pathétique du personnage et le divertissement qui doit lui donner un dernier éclat guerrier ne fait que relever cette inadéquation.
Insuffisants également les deux autres souverains : Créon (Renaud Delaigue (basse)) déçoit vocalement. Sa voix sonne petit dans l?espace de l?auditorium et il semble avoir quelques difficultés dans la pose de ses aigus. Il incarne cependant un potentat politicard à souhait, mielleux et hypocrite, qu?on prend plaisir à mépriser?( Lorsque pour vous, je fais ce que je dois, /A votre tour la justice demande, /Que vous fassiez quelque chose pour moi..). Cependant, on aurait aimé un peu plus de contraste dans le (faux) panache et dans l?autorité royale ; cette dernière doit sonner creuse mais avec supériorité.
Le prétendant de Créuse, Oronte (Bertrand Chuberre (basse-taille)), est confronté à la difficulté d?un rôle qui n?existe que comme protagoniste obligé ; il est le moins bien défini de tous les personnages en action, topoi incarné du prince de théâtre et amoureux insatisfait puis jaloux. Malheureusement l?interprète n?a pas trouvé les couleurs qui pourraient rehausser l?esquisse. Sans démériter, il n?arrive pas à poser son rôle.
Gaëlle Méchaly (dessus) incarne une Créuse toute de fausse fragilité et de rouerie féminine, de coquetterie piquante mêlée de douceur. La voix est petite mais bien projetée, la musicalité impeccable, même si elle peine un peu à s?imposer dans cette salle. Elle crée un personnage de princesse gâtée et obstinée qui ne touche le c?ur, que lors de sa mort tragique (superbement vécue), Quel feu dans mes veines s?allument? Cette (fausse) ingénue est mise en valeur de manière charmante dans sa robe « du soleil » rouge vif dont elle se pare à partir du quatrième acte.
Le troisième acte, n?ud de l?action, voit S. d?Oustrac se muer en tragédienne, et de bonne bourgeoise se lamentant sur les avanies que lui fait subir sa cuisinière, endosser une rigueur tragique qu?elle avait eu du mal à trouver précédemment. Elle brûle les planches, utilisant généreusement tous les appas d?un riche tempérament : mezzo qui s?est encore enrichi, aisé et corsé, attention au texte, cisèlement des périodes. Au lamento (Quel prix de mon amour?) succède la rage. Elle éructe, rugit, modèle l?espace d?un geste autoritaire qui répond au geste musical. L?orchestre, comme galvanisé par cette transformation, se rehausse et forme un bel écrin à cette magicienne que l?on trouve enfin.
Hélas, cette transmutation arrive un peu tard pour une partie du public qui a déserté la salle, l?entracte passé. S d?Oustrac continue cependant sur sa lancée, sans protagoniste véritable, flamme qui brûle seule, mais donnant à entendre ce que ce concert aurait dû être.
Les solistes plus secondaires, (Hanna Bayodi (dessus), Cléone, qui incarne également l'Amour, une Italienne, une captive de l'Amour et un Fantôme), ainsi que Nérine, (Caroline Mutel (dessus), également fort joli captif de l?amour et fantôme) font regretter la minceur de leurs rôles.
De jolis moments aussi pour les silhouettes de Benoît Arnould (basse) un Argien, Emiliano Gonzalez-Toro (taille), qui chante Arcas, un Corinthien et la Vengeance, ainsi que Anders J. Dahlin (taille), un Corinthien , un Captif de l'Amour et un Démon, qui arrivent à exister malgré des apparitions très épisodiques.
Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles sont excellents, engagés, et percutants dans les divertissements qui ponctuent les fin des actes. Dans le dernier acte qui se conclut abruptement et ne saurait laisser place à ces déploiement de fastes vocaux, leur intervention blasphématoire (Ah, funestes revers?/Refusons notre encens, notre hommage, /A ces dieux inhumains.) restera dans les mémoires. On ne peut passer sous silence leur intervention dans la scène infernale du troisième acte, d?une obscure clarté.
Le Concert Spirituel après des débuts un peu erratiques, finit par trouver ses marques. Certes, comme on l?a dit plus haut, il manque encore de cohésion et de mordant dramatique, mais il a un fort beau pupitre de vents, qui se montre terriblement efficace, une fois passé certains couacs ?hélas fréquents pour les instruments anciens- dans le premier divertissement.
Hervé Niquet, qui dirige soit depuis son clavier, soit debout près de celui ci, qui vit cette musique depuis les orteils jusque au bout des doigts, insuffle au tout une énergie que l'on aurait souhaité moins brouillonne, et plus théâtrale. Il manque un vécu dramatique, un mordant, un engagement qui se serait sans doute trouvé par le miracle de la scène. Ce n"'est faute de sincérité et d?amour pour cette musique, mais on ne peut s'empêcher de regretter une rencontre semi manquée, un rendez vous dans la brume au petit matin, un tâtonnement dans des bosquets à la française, quand on aurait souhaité la vibration d'un soleil méditerranéen revisité avec l'exquise violence qui est l'apanage de la fille du Soleil.
Cette soirée sera diffusée sur Radio Classique, partenaire du Festival d'Ambronay, le mercredi 20 octobre à 20h 40.
Emmanuelle et Jérôme Pesqué.
PS : Un programmateur avisé ferait bien de rapprocher cette Médée de celle que l?on trouve dans le Thésée de Lully.
Le livret de cette tragédie en musique est téléchargeable sur ODB : http://site.operadatabase.com.site.hmt- ... oad&cid=97
Version de concert donnée le 5 octobre 2004, Auditorium de Lyon.
La fortune posthume de Charpentier a connu une montée en puissance exponentielle. Depuis le fameux indicatif de l?ORTF de 1952, il n'y a de trimestre sans l'enregistrement ou la représentation de parties diverses de son oeuvre. Sa seule tragédie en musique, composée en 1693, c'est-à-dire 6 ans après la mort de Lully, a été le second des ouvrages scéniques a être remonté, après David et Jonathas en février 1981.La dernière incarnation de Médée remonte à dix ans, et le même laps de temps s'était écoulé depuis la remise sur le théâtre de cette tragédie flamboyante et bizarre, qui n?avait fait à l'époque qu?un succès d'estime (le Roi la qualifiant uniquement d?"honnête"), car on y pouvait entendre quantité d?endroits admirables. L'ouvrage n'eut que 10 représentations et ne fut jamais reprise, sauf une tentative à Lille en 1700, avortée par l'incendie du théâtre.
Médée cousine germaine de l'Armide de Lully (1686) et de la Circé de Desmarets (1694), devait attendre pour trouver son public.
C?est que l??uvre dérouta. Elle suscita même une hostilité certaine, malgré ?ou plutôt, à cause- d?une richesse qui paru hors de propos dans sa composition, par le traitement de l?orchestre, par les audaces de certaines modulations, dans des chromatismes hardis etc?
C?est qu?à l?incarnation du tragique grec ? l?épouse bafouée- a succédé la figure de la royauté absolue qui ne peut laisser parler ses sentiments. Médée est femme et épouse, mais elle est aussi reine. Jason en rompant ses v?ux, ne met il pas en péril l?ordre établi par le cadre du mariage et de la foi ? Le drame de Médée est personnel, mais influe sur la chose publique : comment accorder foi à un monarque qui révoque sa fidélité ? L?ambivalence de Médée est dans la justification de sa fureur qui demande justice et le débordement de sa vengeance qui outrepasse toutes les lois qui fondent la société. Cependant, jamais elle n?apparaît monstrueuse dans le déroulement de l?action ; la scène des Enfers mise à part, la violence se passe hors champ ?comme le veut la tragédie classique. Cependant dans ces temps d?absolutisme, comment justifier une catastrophe finale dénouant le drame de façon aussi noire sinon dans le fait établi que le souverain doit tout employer pour affermir sa gloire et qu?il ne peut se comporter comme un particulier ?
Cette morale est sans doute plus ambiguë encore pour notre temps fasciné par les monstres et les cheminements de leur pensées.
Comme il l?avait préalablement annoncé, Hervé Niquet a supprimé le Prologue de la tragédie en musique. C?est une erreur, mais pas une totale surprise. Il avait fait de même pour son Persée donné à Toronto en 2001. Avait-il également pratiqué cette coupure lors d?une précédente Médée donnée à l'Opéra Atelier de Toronto en novembre 2002, je ne saurais le dire?
Dans le cas présent, la mise en abyme produite entre la glorification obligatoire du Roi-Soleil - durant laquelle paraît un tourbillon de nuages qui descend et en s?ouvrant, fait paraître le Palais de la Victoireet à la fin duquel Le Palais s?en retourne d?où il est venu ; le tourbillon se referme et remonte au Ciel. -, et la catastrophe qui voit Médée fend [re] les airs sur son dragon, et en même temps les statues et autres ornements du palais se brisent. On voit sortir des démons de tout côté qui ayant des feux à la main, embrasent ce même palais. Ces démons disparaissent, une pluie de feu se forment et cet édifice ne paraît plus que ruine et monstres ; après quoi il tombe une pluie de feu. -, s?abolit. Pourtant quel miroir inversé surprenant que ce jeu rhétorique entre la flagornerie obligatoire envers le Roi très Chrétien qui a prit comme emblème le soleil, déjà utilisé par son père, et la Magicienne païenne fille d?Apollon? Adieu donc le fameux Louis est triomphant / Tout cède à sa puissance?
Après l?ouverture, on passe directement à l?Acte premier. On est donc plongé directement en plein drame. Hélas, les scènes d?introduction, qui posent l?action, où plutôt la rappellent au public, se succèdent rapidement, sans réel souci dramatique. Or ces scènes sont cruciales à la compréhension, non de l?intrigue car elle est ici connue de tous, mais du tableau psychologique des protagonistes. Thomas Corneille a pris soin de brosser soigneusement et de manière contrastée tous les protagonistes principaux, sauf une, Créuse, qui n?apparaît qu?au deuxième acte. Chaque personnage est reconnaissable dès prime abord, ce qui permet par la suite d?avancer inexorablement dans l?action. Cette caractérisation permet également de créer des effets de surprise au moment du dénouement final, en opposant les certitudes initiales des princes grecs à la violence de l?étrangère.
Ce qui frappe dans les deux premiers actes c?est le manque de fermeté avec laquelle H. Niquet conduit son orchestre. Tout semble dilaté, dilué, englué, sans réel souci de prendre des temps dramatiques, les récits s?enchaînant les uns aux autres sans réel souci de relief. On s?attend presque à entendre la grande Marie Bell lancer "Mais prends donc un temps !". La première interjection de Médée (Jason est un ingrat, Jason est un parjure) est presque timide. Son premier air, encadré des « symphonies », Un dragon assoupi/ De fiers taureaux domptés? marque assez peu la montée en puissance qu?on espérait. Une Lorraine Hunt sous la direction de William Christie, faisait passer un frisson d?anticipation dans la salle ; Stéphanie d?Oustrac (dessus), superbe comédienne, fluide silhouette de rêve en noir en blanc, jouant de son étole comme de drapés antiques, ne parvient pas à arracher un sursaut à la salle. Il est vrai que l?acoustique de l?auditorium est peu propice à l?effectif réuni par H. Niquet, et que le son est comme étouffé, rendu grêle et un peu chétif par l?ampleur de la salle. A en justifier par moment les reproches assénés aux formations d?instruments anciens dont le son délicat rend parfois difficile une transplantation dans des espaces non réservés à cet usage. L?ampleur du continuo (trois clavecins, dont celui d?où dirige Niquet par moment, violes et théorbe) ne comble pas cette impression de lointain, qui s?atténuera par la suite, les musiciens s?étant sans doute adaptés au fur et à mesure de la soirée à cette acoustique peu favorable.
La seconde scène introduit Jason (François-Nicolas Geslot (haute-contre)) La voix est jolie mais un peu fade, et il ne gagnera un peu de mordant que lors de la scène finale, dans un véhément Ah, barbare ! presque braillé. On a peine à imaginer le vaillant Jason sous ces traits vocaux : certes le héros est veule dans son domestique, mais il demeure cependant le prince qui a réussi à fédérer sous son égide tout ce que la Grèce compte de plus héroïque dans la nef Argos. S?il s?est fait aider par Médée, c?est que nul pouvoir humain ne pouvait accomplir la conquête de la Toison d?or. On a donc peine à croire à ces antécédents, qui devraient rendre son retournement plus terrible encore. F-N Geslot échoue ici à traduire la déchéance morale et la cruauté de son abandon. Il accentue le pathétique du personnage et le divertissement qui doit lui donner un dernier éclat guerrier ne fait que relever cette inadéquation.
Insuffisants également les deux autres souverains : Créon (Renaud Delaigue (basse)) déçoit vocalement. Sa voix sonne petit dans l?espace de l?auditorium et il semble avoir quelques difficultés dans la pose de ses aigus. Il incarne cependant un potentat politicard à souhait, mielleux et hypocrite, qu?on prend plaisir à mépriser?( Lorsque pour vous, je fais ce que je dois, /A votre tour la justice demande, /Que vous fassiez quelque chose pour moi..). Cependant, on aurait aimé un peu plus de contraste dans le (faux) panache et dans l?autorité royale ; cette dernière doit sonner creuse mais avec supériorité.
Le prétendant de Créuse, Oronte (Bertrand Chuberre (basse-taille)), est confronté à la difficulté d?un rôle qui n?existe que comme protagoniste obligé ; il est le moins bien défini de tous les personnages en action, topoi incarné du prince de théâtre et amoureux insatisfait puis jaloux. Malheureusement l?interprète n?a pas trouvé les couleurs qui pourraient rehausser l?esquisse. Sans démériter, il n?arrive pas à poser son rôle.
Gaëlle Méchaly (dessus) incarne une Créuse toute de fausse fragilité et de rouerie féminine, de coquetterie piquante mêlée de douceur. La voix est petite mais bien projetée, la musicalité impeccable, même si elle peine un peu à s?imposer dans cette salle. Elle crée un personnage de princesse gâtée et obstinée qui ne touche le c?ur, que lors de sa mort tragique (superbement vécue), Quel feu dans mes veines s?allument? Cette (fausse) ingénue est mise en valeur de manière charmante dans sa robe « du soleil » rouge vif dont elle se pare à partir du quatrième acte.
Le troisième acte, n?ud de l?action, voit S. d?Oustrac se muer en tragédienne, et de bonne bourgeoise se lamentant sur les avanies que lui fait subir sa cuisinière, endosser une rigueur tragique qu?elle avait eu du mal à trouver précédemment. Elle brûle les planches, utilisant généreusement tous les appas d?un riche tempérament : mezzo qui s?est encore enrichi, aisé et corsé, attention au texte, cisèlement des périodes. Au lamento (Quel prix de mon amour?) succède la rage. Elle éructe, rugit, modèle l?espace d?un geste autoritaire qui répond au geste musical. L?orchestre, comme galvanisé par cette transformation, se rehausse et forme un bel écrin à cette magicienne que l?on trouve enfin.
Hélas, cette transmutation arrive un peu tard pour une partie du public qui a déserté la salle, l?entracte passé. S d?Oustrac continue cependant sur sa lancée, sans protagoniste véritable, flamme qui brûle seule, mais donnant à entendre ce que ce concert aurait dû être.
Les solistes plus secondaires, (Hanna Bayodi (dessus), Cléone, qui incarne également l'Amour, une Italienne, une captive de l'Amour et un Fantôme), ainsi que Nérine, (Caroline Mutel (dessus), également fort joli captif de l?amour et fantôme) font regretter la minceur de leurs rôles.
De jolis moments aussi pour les silhouettes de Benoît Arnould (basse) un Argien, Emiliano Gonzalez-Toro (taille), qui chante Arcas, un Corinthien et la Vengeance, ainsi que Anders J. Dahlin (taille), un Corinthien , un Captif de l'Amour et un Démon, qui arrivent à exister malgré des apparitions très épisodiques.
Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles sont excellents, engagés, et percutants dans les divertissements qui ponctuent les fin des actes. Dans le dernier acte qui se conclut abruptement et ne saurait laisser place à ces déploiement de fastes vocaux, leur intervention blasphématoire (Ah, funestes revers?/Refusons notre encens, notre hommage, /A ces dieux inhumains.) restera dans les mémoires. On ne peut passer sous silence leur intervention dans la scène infernale du troisième acte, d?une obscure clarté.
Le Concert Spirituel après des débuts un peu erratiques, finit par trouver ses marques. Certes, comme on l?a dit plus haut, il manque encore de cohésion et de mordant dramatique, mais il a un fort beau pupitre de vents, qui se montre terriblement efficace, une fois passé certains couacs ?hélas fréquents pour les instruments anciens- dans le premier divertissement.
Hervé Niquet, qui dirige soit depuis son clavier, soit debout près de celui ci, qui vit cette musique depuis les orteils jusque au bout des doigts, insuffle au tout une énergie que l'on aurait souhaité moins brouillonne, et plus théâtrale. Il manque un vécu dramatique, un mordant, un engagement qui se serait sans doute trouvé par le miracle de la scène. Ce n"'est faute de sincérité et d?amour pour cette musique, mais on ne peut s'empêcher de regretter une rencontre semi manquée, un rendez vous dans la brume au petit matin, un tâtonnement dans des bosquets à la française, quand on aurait souhaité la vibration d'un soleil méditerranéen revisité avec l'exquise violence qui est l'apanage de la fille du Soleil.
Cette soirée sera diffusée sur Radio Classique, partenaire du Festival d'Ambronay, le mercredi 20 octobre à 20h 40.
Emmanuelle et Jérôme Pesqué.
PS : Un programmateur avisé ferait bien de rapprocher cette Médée de celle que l?on trouve dans le Thésée de Lully.
Le livret de cette tragédie en musique est téléchargeable sur ODB : http://site.operadatabase.com.site.hmt- ... oad&cid=97