J'ai passé une excellente soirée, riche en émotions diverses, et avec certains moments d'ennui, ce qui ne m'a pas dérangé du tout : dans la société dans laquelle on vit, tout doit aller vite, rester superficiel, la contemplation, l'arrêt semblent, à tort, prohibés et tout doit être intense, en permanence : personnellement je ne ressens pas le besoin d'être soumis à des artéfacts permanents !
Je viens de lire tous les posts sur le sujet, et j'avoue ma surprise face à certaines déclarations. Je ne reviendrai pas en détail sur la mise en scène : sauf à saccager la musique (ce qui, à mon sens, n'est pas le cas de cette production), je trouve que l'on accorde trop d'importance à cet aspect là, au détriment de la préparation musicale. Je me contenterai de dire que j'ai trouvé l'ensemble plastiquement assez réussi - au même titre que Rameau ou Placidocarrerotti. Et, sauf erreur d'appréciation de ma part (largement possible),Saint François d'Assise n'a pas les mêmes exigences d'urgence théâtrale que Cavalleria rusticana ou La Gioconda ! Comme DavidleMarrec l'a écrit, cette oeuvre n'est peut-être pas à proprement parler un opéra, mais tend vers l'oratorio.
Je souscris aux propos de David : le VRAI spectacle était dans la fosse : orchestre rutilant, parfois monstrueux, fascinant, dont les sonorités m'ont accroché l'oreille (et l'oeil ! vive le premier balcon !) pendant tout le spectacle ; et avec cela, parfois, des murmures ou des nuances hypnotiques. Les ondes Martenot, bien visibles depuis le 1er balcon, produisaient aussi tout leur effet stéréophonique à cet endroit du théâtre. Quant à Cambreling, son attitude physique face à l'orchestre m'a ravi : quel engagement sincère ! quelle gestuelle !! TOUT son corps est impliqué !
La distribution vocale m'a semblé fort satisfaisante, à l'exception de Schäfer , très applaudie à la fin, comme les Adalgisa, les Liu : les "gentilles" sont toujours récompensées au rideau final !! En tout cas, ces petits sons flûtés ne m'ont pas semblé bien concernés ni émouvants : de "belles notes", comme l'écrit Placidocarrerotti, sans plus. Donna Anna ?!? Pourquoi pas Norma ? Abigaïlle ? Isolde ? C'est vraiment l'ère des chanteurs sans voix...On m'objectera que Schäfer se projetait très bien : certes, quand elle chante dans le haut medium, presque a capella, elle sait se faire entendre, mais elle n'a absolument rien en bas de la tessiture, et sa voix est neutralisée dès que l'orchestre existe. Dans Servilia à Garnier, elle était inexistante...alors Anna !!!
Merritt, qualifié d'"atroce" par AlainB. et de "très bon" par Pla...rotti, m'a semblé formidable : en l'entendant si émouvant, si présent, je me suis fait la réflexion que Blake - son contemporain et rossinio-compagnon - était une voix et une technique, alors que lui est un Artiste au sens fort du mot. Certes, ses exploits rossiniens et belcantistes depuis plus de vingt ans ont abîmé sa voix ; mais ce qu'il en fait est incroyable ! Et sa pantomime face à sa guérison - projetéepar moyen vidéo sur le fond du décor - m'a bouleversé ! Quelle implication ! quelle émotion !
Rameau a trouvé Workman "formidable", tandis que Placido l'a comparé à un "poulet engorgé" ! Il est, au même titre que Merritt, un "rossinien finissant" (dans ces deux cas, bel et bien finis, d'ailleurs)... ce qui 'enlève rien à sa belle projection, à sa conviction, et à sa maîtrise de la tessiture. Cela m'a fait très plaisir de le revoir. Au disque, on entend un vibratello gênant, les engorgements sont pénibles : je trouve qu'en salle, ces défauts s'amenuisent, voire disparaissent.
Les petits rôles sont bien tenus (même pour le revenant Bracht, Sarastro médiocre chez Haitink !).
Van Dam ? À lire Jde B... il serait...
La notion de "lambeaux" me semble plus que jamais relative !!!! Rappel propédeutique : José chante depuis plus de... 40 ANS ! beaucoup ont rappelé les 21 ans qui nous séparent de la création de Saint François d'Assise... mais José Van Dam chantait AVANT !! Ce petit rappel visait juste à faire comprendre ma colère quand j'entends "lambeaux", alors que dès le début de la représentation, j'ai retrouvé le timbre que j'ai toujours aimé, la belle projection, ce phrasé ample, de velours, cette technique naturellissime qui lui permet absolument TOUT, même les diminuendi les plus incroyables sur les aigus les plus exposés ! Quelques fêlures, c'est tout ce que j'ai entendu (et je n'étais pas seul à cette représentation, et ce point de vue fut partagé, ouf ! nous sommes au moins deux + PlacidoCarrerotti + quelques autres à l'avoir encore aimé !)... La tessiture du rôle est meurtrière, l'endurance qu'il exige est pharaonique : que tous les jeunes qui commencent leur carrière assurent une représentation aussi exigeante avec cette qualité 40 ans après leur début, et nous en reparlerons ! Ce que j'ai entendu m'a personnellement encore comblé : un artiste, une voix, une technique, une présence, et l'émotion : qui veut plus ? Et très franchement, j'ai entendu une fois JVan Dam en grande méforme - la première d'un Boccanegra calamiteux à Marseille - et j'ai quitté la salle à l'entracte pour ne plus souffrir !! Je peux donc dire haut et fort qu'il était magnifique mercredi soir !je pense, comme Nerone, que la voix de Van Dam est en lambeaux
Voilà pour mes impressions. En tout cas, j'avais assez peur avant d'entrer, et je suis ressorti plus chargé d'émotions et de plaisir qu'après les Contes d'Hoffmann avec Shicoff, Terfel, bla bla bla... où, à part mon Neil d'amour, je n'ai vu et entendu que des noms alignés. Là, au moins, j'ai senti tous les artistes concernés par ce qu'ils faisaient - les réserves que j'émets sur Schäfer ne sont que personnelles. Une belle soirée d'Opéra.