Festival de Beaune 2004

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Message par Nerone » 28 juil. 2004, 10:26

Bon. Promis, pour les concerts de la semaine prochaine (récital Scholl et Trionfon del Tempo), j'espacerai un peu, et de mon propre chef. Quelqu'un a écouté l'Empio punito, hormis Emmanuelle, cela va sans dire.

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Message par Nerone » 03 août 2004, 11:54

Pour ce dernier week-end de l'édition 2004, l'honneur était au star-system plutôt qu'à la découverte musicologique : Andreas Scholl fêtait ses dix de présence au Festival et Marc Minkowski y dirigeait son oeuvre haendélienne fétiche, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno. Le triomphe d'une certaine facilité en somme, mais qui réussit bien mieux au chef français et à ses troupes qu'au contre-ténor star de la maison Decca.

On s'en souvient, René Jacobs avait, par interview interposée, accusé son élève de trop se comporter en chanteur, plutôt qu'en musicien avide de découvertes. Le programme d'une affligeante banalité présenté à Beaune ne fait que confirmer cette réputation que lui a taillé le maître gantois. Nous n'avons en effet assisté qu'à la énième étape d'une tournée dont le seul but est de promouvoir les dernières parutions discographiques du paresseux Andreas : Arcadia et Saul. Rien de mal à cela me direz-vous : l'art s'est depuis longtemps sacrifié sur l'autel du marketing.

Oui mais voilà, je me souviens d'avoir assisté le 5 décembre 2002 au Théâtre des Champs-Elysées à un programme quasi-identique, soit un florilège de cantates arcadiennes agrémenté de quelques concerti grossi et couronné du tube vivaldien Cessate, omai cessate, repris note pour note le 8 mars de cette année. Là, vous vous dites, la vieille ronchon a encore ses humeurs nombrilo-parisiennes. Que nenni !

Avant le début du concert, Anna Blanchard, directrice du festival s'était avancée pour nous annoncer quelques petits changements de programme : en lieu et place des airs de Haendel pour Senesino, nous aurions un extrait de Saul, "O God, whose mercies numberless" et comme d'abitude, "Cessate, omai cessate" que Scholl souhaitait reprendre en souvenir de son premier récital à Beaune en 1994, et d'ajouter : "ceux qui y étaient s'en souviennent encore !" Et s'il n'y avait que cela : en 1994, le contre-ténor remarqué au Palais-Royal (Philippe Maillard, qui fait désormais son miel de Philippe Jaroussky, était dans le coup) par la judicieuse directrice artistique du festival avait offert un récital d'airs de Haendel, repris quasiment à l'identique pour les 20 ans du Festival, c'est-à-dire l'édition 2002... Je vais m'arrêter avant qu'on ne s'avise de m'accuser d'obscurantisme !

La déception est d'autant plus grande que la prestation n'est pas vraiment à la hauteur de la réputation, et plus encore des souvenirs émerveillés que nous avons du divin Andreas. La voix n'a plus la pureté de jadis, la projection semble anecdotique à cause de tessitures souvent trop basses, et pire encore, le chanteur se laisse aller à la facilité, usant avec un systèmatisme éhonté des expédients les plus vulgaires pour singer une exubérance qu'il n'aura jamais : ces passages en voix de poitrine, ces distorsions de l'instrument... ne font pas le poids face à l'absence quasi-totale d'ornements dans les reprises (le Vivaldi est d'une platitude inouïe). Ce ne sont là que maniérismes, poses de chanteur d'oratorio égaré dans un répertoire où le raffinement expressif naît de l'accentuation vocale. Seul moment de grâce, d'évidence, et ce n'est pas vraiment une surprise, l'air de David, qui aura paru bien trop court.

Désormais son partenaire privilégié, Ottavio Dantone déploie la même élégance que dans Il Flaminio de Pergolesi sans parvenir à conférer à son orchestre la pâte sonore qui lui fait défaut.

Très enthousiaste, le public a obtenu plusieurs bis, dont le plus sympathique aura été l'air final de la cantate "Destati, Lidia mia" de Francesco Gasparini, "Lidia, il sonno sai cos'è ?", conclu par un tonitruant "cos'è" du contrebassiste à la fort prometteuse voix de basse.

Votre serviteur est sorti en pestant aussi fort qu'il pouvait, mais la voix de la majorité l'a emporté.



Heureusement, la reprise minkowskienne d'Il Trionfo del Tempo était d'un tout autre niveau, malgré les différents remaniements d'une distribution qui n'avait plus grand-chose à voir avec le projet initial, le site internet du Festival ayant d'abord annoncé Mijanovic, Hallenberg et Spicer, relayé sur la brochure par Cangemi, Bonitatibus et (toujours) Spicer, rapidement rejoints par Nathalie Stutzmann. Dernier coup de théâtre, Veronica Cangemi, victime d'un accident quatre jours avant le concert, a été remplacée au pied levé par Deborah York.

La charmante chanteuse anglaise a le mérite de sauver le concert, et c'est à peu près le seul qu'on puisse lui concéder. La voix est frêle, agile, très agile même, puisque pas une vocalise ne tombe à côté, mais la justesse n'est pas toujours au rendez-vous, les mots sont carréments absents, et la chair n'y est pas : c'est une allégorie de la beauté, pas l'ange Gabriel.

Cette chair, Anna Bonitatibus n'en manque pas, paradant avec un véritable abattage, mais toujours soumise à ses démons bartolesques, encouragée par un Minkowski dont le Piacere préféré est... Cecilia Bartoli : "Lascia la spina" sera donc sussuré sur un souffle évanescent et "Come nembo" tourbillonnera plus que de raison. C'est tout à l'honneur de Mlle Bartolatibus (copyright Ariodante79 :wink: ) de se sortir avec les honneurs d'une telle épreuve.

Passons maintenant aux choses sérieuses : le Temps et la Désillusion ne sont pas là pour nous amuser, bien au contraire, et ils le font avec délectation. Nathalie Stutzmann (révélation haendélienne de l'enregistrement signé par Minkowski chez Erato en 1988) est tout simplement envoûtante dans "Crede l'uom", "Piu non cura" et le magnifique duo "Il bel pianto". Dans une forme éblouissante, la pseudo-contralto française habite chaque note, avec une maîtrise stupéfiante de l'ornementation expressive. Pas de miracle pourtant ; dès que l'orchestre se déploie, cette voix harmoniquement déséquilibrée disparaît littéralement.

Ce qui n'est évidemment pas le cas de Kresimir Spicer, voix naturellement colossale : la Basilique n'avait sans doute jamais entendu cela. Et quel musicien ! Récitatifs transcendants - en voilà un qui connaît l'art du madrigal -, airs stupéfiants de virtuosité, et au sens fort : il y a bien longtemps que je ne me laisse plus impressionner par la vitesse des doubles croches. Et avec cela un timbre profond et claironnant ! Le divin Kobie n'a qu'à bien se tenir, il possède en Kresimir Spicer un rival de choix, et de poids.

Après les joliesses arcadiennes d'une Accademia Bizantina chétive, le son plein et assis des Musiciens du Louvre est un authentique coup de tonnerre. Reste qu'on les a entendus bien plus disciplinés, et surtout moins faillibles. Les dérapages sont fréquents chez les solistes, et ce dès l'ouverture avec quelques cafouillages violonistiques de la meilleure eau. Mettons cela sur le compte de la fatigue : tout ce petit monde était à Aix la veille pour la dernière de l'Enlèvement au Sérail et n'a sans doute pas croulé sous les répétitions.

Et puis Marc Minkowski est là, tel qu'en lui-même, pour mener le navire à bon port. Grands moulinets des bras, sourires et clins d'oeil aux chanteurs, dos expressif : le concert donne à admirer tout ce que l'on ne peut que devine lorsque le chef français est en fosse. L'histrion s'amuse avec son orchestre, cela en agace plus d'un, mais cela demeure, contre vents et marées, irrésistible, jouissif, grisant, même si la caricature n'est pas loin. Et puis, demain, c'est les vacances !

Bon vent donc, et à l'année prochaine !

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Message par JdeB » 03 août 2004, 14:33

Nerone a écrit : Et puis Marc Minkowski est là, tel qu'en lui-même, pour mener le navire à bon port. Grands moulinets des bras, sourires et clins d'oeil aux chanteurs, dos expressifs

Bon vent donc, et à l'année prochaine !
Montserrat Caballé aime à répéter l'éloge que le grand Visconti lui décerna jadis : "Vos mains sont tellement expressives, Madame !... inutile d'en faire plus".

J'imagine Patrice Chéreau paraphrasant le mentor de Callas, s'adresser à Minko: "Votre dos, Maestro, ..."
:lol:

Papounet

PS Contrairement aux rumeurs qui circulent l'administration d'ODB n'a pas placardisé l'ami Nerone dans la fonction improbable d'envoyé permanent à Beaune. Nous le retrouverons donc bien avant juillet 2005 encensoir et goupillon (de vitriol) en main.

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Message par JdeB » 21 août 2004, 12:09

Nerone a écrit : Veronica Cangemi, victime d'un accident quatre jours avant le concert, a été remplacée au pied levé par Deborah York.
Elle a effectivement le pied dans le plâtre et ne se produira pas à La Chaise-Dieu comme prévu.

Verrouillé