Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

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JdeB
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Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par JdeB » 17 sept. 2019, 07:30

Direction musicale Marc Minkowski
Mise en scène Vincent Huguet
Décors Aurélie Maestre
Costumes Clémence Pernoud
Lumières Bertrand Couderc
Dramaturgie Louis Geisler

Hoffmann Adam Smith
Olympia, Antonia, Giulietta, Stella Jessica Pratt
Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto Nicolas Cavallier
La Muse, Nicklausse, la Voix de la tombe Aude Extrémo
Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio Marc Mauillon
Spalanzani Christophe Mortagne
Luther, Crespel Jérôme Varnier
Nathanaël, Schlémil Eric Huchet
Hermann/Wilhelm/Capitaine des Sbires Clément Godart

Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Chœur de l'Opéra National de Bordeaux
Direction du Chœur Salvatore Caputo

Bordeaux, Grand Théâtre, le 26 septembre 2019

Depuis le début de son mandat à Bordeaux, Marc Minkowski ouvre sa saison avec un Offenbach, compositeur auquel il a redonné ses lettres de noblesse.

Il est monté sur scène pour dédier la soirée à la mémoire de Jacques Chirac non pas en tant qu’homme politique mais en sa qualité d’ « homme de cœur » qui a permis à son père, le professeur Alexandre Minkowski, grand savant et résistant, qui ne votait pas pour lui mais qui était un de ses interlocuteurs scientifiques, de finir ses jours aux Invalides. Le chef de l’Etat prenant de ses nouvelles personnellement chaque semaine jusqu’à la fin.

La nouvelle production de Vincent Huguet s’inscrit dans le sillage de celles de Chéreau et de Carsen. Elle fait planer l’ombre de la mort tout au long avec le suicide d’Olympia et le cortège funèbre d’Antonia au début de l’acte de Venise. Comme chez Carsen, elle est axée sur un rapport spéculaire de la scène et de la salle (ici la reproduction de l’escalier d’honneur de Victor Louis) et sur le versant « théâtre dans le théâtre » dont elle montre ici tous les corps de métier : ouvreuses, pompiers, femme de ménage, machinistes, …
Elle ne fonctionne que partiellement à l’Acte I : Olympia n'est pas uniquement Olympia mais la Stella qui incarne Olympia dans le cadre d’une joute qui l’oppose aux interprètes (qu’on n’entendra pas) de Norma et de Violetta. Ce n’est donc plus une automate, ce que la musique décrit pourtant, mais une diva écorchée vive qui cache derrière force mimiques mécaniques et un sourire figé, un mal-être profond qui lui rendra sa défaite insupportable.
L’Acte II reproduit un tableau de David représentant Madame Récamier. Les "flacons" mortifère de Miracle sont remplacés par des partitions et un violon est présenté dans une vitrine avant qu’Hoffmann n’en joue. Un extrait de L'Inhumaine de Marcel L’Herbier, film muet avec une cantatrice, Georgette Leblanc, formidable mise en abyme de la situation d’Antonia condamnée au silence malgré sa voix superbe, dynamise le tout avec brio.
L’acte III est marqué par les funérailles d’Antonia et une belle atmosphère de lune sur les lagunes, avec quelque chose du Casanova de Fellini.
L’Epilogue est fort efficace qui fait se lever le décor sur la profondeur de la scène et de ses entrailles.
C’est très réussi sur le plan esthétique et assez inégal sur le plan théâtral mais on ne s’ennuie guère et la direction d’acteur achève de convaincre.

Remplaçant Eric Cutler, le beau ténor américain Adam Smith est une riche découverte. Il n'a pas encore 32 ans et possède de très estimables atouts pour mener une belle carrière. La voix est puissante, le timbre corsé et sombre, viril à souhait pour un ténor, avec des aigus forte étonnants mais certaines sonorités métalliques. Son français est plus que correct et il joue avec conviction et beaucoup de justesse.
Après Seefried, Eda-Pierre, Garner, Malfitano, Moser, Swenson, Ciofi, Mosuc et Vaness, Jessica Pratt chante les quatre rôles féminins pour la première fois en scène (après une version de concert à Brême) avec l’air à colorature au III. Elle fait penser fortement à June Anderson. Sa voix ne cesse de s’enrichir, de s’élargir et de s’étoffer. Après une Olympia prudente, elle éblouit et bouleverse en Antonia avec un contre-ré sensationnel avant de dessiner une Giulietta cruelle et mystérieuse à souhait. Son français coule de source, sa technique n’est plus à vanter, ses aigus sont ronds et pleins, son talent scénique s’affinant à chaque spectacle davantage.
Dans les quatre diables, Nicolas Cavallier excelle sans histrionisme aucun avec une diction admirable et une vraie présence.
Enfant du pays, Aude Extrémo campe la Muse, Nicklausse, mais aussi la Voix de la tombe. Après un tout début un peu hésitant d’intonation, elle atteint des sommets de phrasé, de musicalité et d’émotion.

Les seconds rôles, jusqu’au plus petit, sont de grand luxe. Marc Mauillon est épatant dans le valet sourd qui se pique de chant et de danse mais le côté grande folle lyrique affidée de la diva lasse.
Le Spalanzani de Christophe Mortagne semble prendre vie d’un film expressionniste allemand revu par les Marx Brothers.
En Luther et Crespel, Jérôme Varnier déploie sa longue silhouette inquiétante et des graves d’un vif relief.
Les Nathanaël et les Schlémil d'Eric Huchet font figure de référence.
Saluons aussi l’énorme potentiel du jeune Clément Godart, encore choriste mais pas pour longtemps, et la performance des choeurs.

Marc Minkowski dirige cette version Keck archi-complète avec le sens du discours et la poésie enlevée qu’on lui connaît à la tête d’une phalange de très belle facture.

Au grandiose cocktail des mécènes, il a promis que les tumultes de la maison ne seraient bientôt plus que de légers frissons…

Jérôme Pesqué
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par PlacidoCarrerotti » 17 sept. 2019, 11:04

Contre sol à l'horizon !!!
"Venez armé, l'endroit est désert" (GB Shaw envoyant une invitation pour l'une de ses pièces).

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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par Loïs » 17 sept. 2019, 11:09

Prévoient ils de l'enregistrer comme la Périchole l'an dernier?

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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par Christopher » 18 sept. 2019, 17:46

La représentation du 26 septembre sera diffusée en direct sur Culturebox

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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par fomalhaut » 19 sept. 2019, 16:37

Christopher a écrit :
18 sept. 2019, 17:46
La représentation du 26 septembre sera diffusée en direct sur Culturebox
Une initiative qui honore france.tv (ex Culturebox).

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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par PlacidoCarrerotti » 20 sept. 2019, 14:06

Quelques impressions de la "première" (avec des guillemets car il n'y a eu ni générale, ni pré-générale et qu'ils ont filé tout l'ouvrage pour la première fois hier).
Je ne connais pas suffisamment tout l'historique musicologique pour être précis sur la version choisie. Disons qu'il n'y avait pas les ajouts Choudens, un acte de Giuletta long, avec l'air colorature.

Une fois n'est pas coutume, je vais commencer par la mise en scène car elle a des répercussions importantes sur le chant.

C'est très réussi visuellement : les décors sont basés sur l'escalier du Grand Théâtre (qui subit diverses transformations au fil des actes). Les costumes sont contemporains (avec femme de ménage et pompiers du théâtre).

Acte I : Olympia n'est pas Olympia mais Stella qui joue Olympia. Ce n'est donc pas une poupée, donc on y perd en comique, donc elle n'est pas "cassée" (elle se pend car elle n'a pas gagné une sorte de concours de beauté). Pour que le concept tienne, pas mal de choses sont changées à la fin de l'acte (Spalanzani invective le jury du concours et pas Coppélius), etc. C'est assez incompréhensible pour qui découvre l'oeuvre (pourquoi Olympia ne sait-elle que répondre par des "oui" à Hoffmann ?) et de peu d'intérêt pour celui qui la connait.

Le II est plus classique; Pour filer le concept, les "flacons" sont remplacés par des partitions. Malheureusement, un extrait vidéo de L'Inhumaine" vient polluer la concentration pendant le grand ensemble, et l'émotion a du mal à passer.

Le III est plutôt bien fichu (je ne donne pas tous les détails pour ne pas spoiler davantage) sauf la fin, là encore incompréhensible par rapport au texte.

Prologue et Epilogue fonctionnent correctement.

Au final, je retiens beaucoup de maladresses qui empêchent l'émotion de naître (le rire comme les larmes).

J'ai bien aimé au global la direction de Minko, même si j'aurais préféré un peu plus de folie à certains moments (le menuet parodique de l'entrée des invités à l'acte I n'est pas vraiment traité avec la légèreté que j'aurais attendu).C''est assez dramatique et bien en place.

Remplaçant Cutler (victime d'un accident domestique), Adam Smith est une découverte intéressante. Il n'a que 32 ans et, si les p'tits cochons ne le mangent pas, il peut faire une belle carrière. Pour l'instant, il a encore quelques aigus qui ne sont pas tout à fait en place, et il a un peu de mal avec la voix mixte. Il m'a fait penser à une jeun Schicoff (pour ceux à qui se nom évoque encore quelque chose) et on m'a confirmé qu'il avait effectivement travaillé le rôle avec le chanteur américain qui en fut un grand défenseur. Smith tient la distance sans problème, il a de la réserve dans le forte. La prononciation gagnerait à être travaillée, mais c'est une belle découverte, surtout pour un remplacement au dernier moment dans une version rare du rôle.

Jessica Pratt chante les 4 rôles féminins pour la première fois et elle est déjà assez remarquable. Prononciation et français impeccables, aigus faciles et sans dureté, beaux piano et interprétation intéressante (dans la limite de ce que lui impose la mise en scène). En effet, dans cette production, elle n'est jamais une poupée. Donc, elle ne chante pas "mécaniquement" son air ce qui est complètement idiot. Au passage, pas de contre-sol à la première (alors qu'elle les faisaient en répétition), probablement pour assurer. Son Antonia est excellente : moi qui ai l'habitude de souligner la faiblesse de son registre grave, j'ai été bluffé. Elle était totalement libérée, potinant à l'occasion (sans vulgarité) sans que les aigus, bien ronds, ne soient affectés (incroyable contre ré au II). Dans cette version, elle chante donc l'air colorature de Giulietta : c'est vocalement parfait tout en étant parfaitement légitime dramatiquement. C cette prise de rôle marque vraiment une étape importante dans l'évolution locale de cette chanteuse.

Dans les quatre diables, Nicolas Cavallier est très bien (dans une autre mise en scène, on attendrait sans doute davantage de noirceur) mais le chant est impeccable et l'incarnation sympathique.

Aude Extrémo la Muse, Nicklausse, mais aussi la Voix de la tombe. Du beau chant français comme je l'aime, avec une articulation impeccable, une superbe musicalité et une belle projection.

En ce qui concerne les seconds rôles, on va dire que certaines grandes maisons ont des leçons à prendre. Ils sont tout simplement PARFAITS.
J'avais déjà remarqué Marc Mauillon dans le répertoire baroque : c'est un luxe dans les quatre valets. Dommage que la mise en scène en fasse le "gay friend" de la diva (pour filer le concept de base), ce qui ne lui permet pas de développer le côté comique.
On ne présente plus le Spalanzani de Christophe Mortagne, c'est juste parfait (je me répète).
En Luther et Crespel, Jérôme Varnier déploie un grave magnifique (et à Bordeaux on s'y connait en "graves")
On ne présente plus non plus les Nathanaël et Schlémil d'Eric Huchet qui est lui aussi parfait (ça fait trois fois).
A noter également la performance en Hermann/Wilhelm/Capitaine des Sbires de Clément Godart, qui est, je crois, un jeune ténor du choeur : il est parfait (et de quatre).

L'orchestre et les choeurs sont excellents. Le spectacle ne peut que gagner au fil du temps : croisons les doigts pour que tout le monde soient au top pour la captation télévisée !
"Venez armé, l'endroit est désert" (GB Shaw envoyant une invitation pour l'une de ses pièces).

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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par HELENE ADAM » 20 sept. 2019, 14:27

PlacidoCarrerotti a écrit :
20 sept. 2019, 14:06
Quelques impressions de la "première"
Merci pour ce CR. Je ne sais pas quel accident domestique a eu Cutler mais lors de la dernière prestation où je l'ai vu (Fidelio à Hambourg) , il était vraiment, vraiment à la peine, notamment dans les aigus...(et je reste mesurée.... :mrgreen: ).
Le reste de la distribution (et son remplaçant donc, que je ne connais pas) parait, à l'inverse, passionnante :D

Quid de la précision figurant sur le programme de l'Opéra de Bordeaux ?
Transformant l’univers familier du public en décor onirique et situant l’intrigue pendant une représentation de Don Giovanni, la mise en scène de Vincent Huguet épouse le caractère hypnotique de la partition s’animant sous la baguette de Marc Minkowski qui célèbre là le 200e anniversaire du génial compositeur.
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par PlacidoCarrerotti » 20 sept. 2019, 14:38

Cutler se serait blessé en montant un abri de jardin !
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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par Loïs » 20 sept. 2019, 14:38

HELENE ADAM a écrit :
20 sept. 2019, 14:27
Quid de la précision figurant sur le programme de l'Opéra de Bordeaux ?
Transformant l’univers familier du public en décor onirique et situant l’intrigue pendant une représentation de Don Giovanni,

ben c'est bien ce qui se passe normalement , Hoffmann attend que Stella qui chante dans DG sorte de scène et en attendant il boit ....

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Re: Offenbach- Les Contes d'Hoffmann- Minkowski/Huguet- Bordeaux- 09/2019

Message par paco » 20 sept. 2019, 14:39

Merci pour le CR. Je suis fan de Pratt mais l'imaginais mal en Giulietta, visiblement mes craintes n'étaient pas justifiées.

Et oui, Aude Extrémo est une chanteuse à suivre de très près ...

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