Purcell - Miranda- Pichon/Mitchell- Bordeaux- 05/2019

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Purcell - Miranda- Pichon/Mitchell- Bordeaux- 05/2019

Message par JdeB » 02 mai 2019, 06:19

Direction musicale, arrangements musicaux: Raphaël Pichon
Mise en scène : Katie Mitchell
Livret : Cordelia Lynn
Chorégraphie : Joseph Alford
Collaboration artistique : Dan Ayling
Dramaturgie : Sam Pritchard
Décors : Chloe Lamford
Costumes : Sussie Juhlin-Wallén
Lumières : James Farncombe
Création sonore : Max Pappenheim
Arrangements musicaux : Miguel Henry
Assistanat à la mise en scène pour la reprise : Éloïse Lally

Miranda Kate Lindsey
Prospero Henry Waddington
Anna Katherine Watson
Ferdinand Rupert Charlesworth
Le Pasteur Romain Bockler
Anthony Arsène Augustin
Miranda Jeune Estelle Dattin

Chœur et Orchestre Pygmalion

Bordeaux, le 6 mai 2019

Le Retour de la refoulée

The Tempest, écrite entre 1610 et 1612, a suscité une quarantaine d’avatars lyriques, de l’ouvrage collectif d’Humfrey, Locke et leurs compères en 1674 à l’opéra de Thomas Adès en février 2004 sans oublier le pasticcio The Enchanted Island créé au Metropolitan Opera de New York le dernier jour de l’année 2011 avec Lisette Oropesa en Miranda aux côtés de P. Domingo et de J. DiDonato sous la direction de W. Christie.
Dans cette liste on ne relève aucun nom prestigieux à l’exception de ceux de Purcell en 1695 et de Franck Martin en 1956 et un seul ouvrage portant le titre de Miranda, celui d’un certain Canonica en 1937.

Le Pasticcio de Cordelia Lynn, Raphaël Pichon et Katie Mitchell prolonge cette fortune artistique en se focalisant, comme son titre l’indique bien, sur le personnage de Miranda. Ils ont mis l’accent sur son mariage forcé à 16 ans -– « a child bride » comme elle le dit et le redit – avec Ferdinand, fils du roi de Naples qui avait proscrit Prospero, abandonné sur un esquif avec sa fille Miranda, trois ans… Les malheureux ont néanmoins échoué sur une île où les pouvoirs magiques de Prospero leur ont permis de survivre. La tempête qu’il déclenche amène en ce lieu leurs ennemis d’autrefois …
La pièce de Shakespeare insistait sur l’innocence de Miranda en un texte bigarré où les sentiments étreignent par leur éclat ambigu, entre féérique et grotesque. Ici ce baroquisme échevelé laisse place à une cérémonie des adieux ponctuée de coups de théâtre dans le sillage du puissant Messiah de Haendel porté au théâtre par Klaus Guth. Car cette Miranda 2017 a mis en scène son faux suicide pour mieux revenir perturber ses funérailles, pour empoigner sa famille, donner libre cours à sa douleur et à son ressentiment. En effet, Prospero l’a mariée à 16 ans ans (âge encore bien tardif pour un mariage à l’époque de Shakespeare…), pour légitimer après coup le viol qu’elle a subi. C’est donc une femme vindicative qui revient travailler le remords de ses proches réunis pour sa messe funèbre dans une chapelle très années 70, au décor janséniste de Chloe Lamford.

Si les tristes apprêts des funérailles et le début de la cérémonie religieuse–avec élégies de la famille à la clé – se déroulent comme une sorte de concert sacré, souple et fluide, l’irruption de Miranda (mariée « en noir » destructrice) fait basculer ce « semi opera ». Cette violence claque et produit son effet disruptif avec sa prise d’otage de l’assemblée en deuil puis le « masque » qui revivifie les affres subis jadis par Miranda, figure centrale mais dédoublée en Anna, la jeune femme enceinte de Prospero. On a connu Katie Mitchell autrement inspirée, certes mais l'ensemble ne manque pas d'allure et de force malgré quelques scories (les preneurs d'otage) et un didactisme trop appuyé. Mais il faut savoir prendre du recul face à ce théâtre à thèse pour se laisser happer par les splendeurs sobres de Purcell.

Bien que Purcell ait lui-même mis en musique The Tempest (1695), ce pasticcio nouveau puise dans toute son œuvre pour assembler ce composite. Toutefois, les bigarrures qui font le prix de l’œuvre du Britannique et les difformités calibanesques de Shakespeare sont filtrées et lissées ici sous la loi de la cohérence et de l’homogénéité.
L’Ensemble Pygmalion mené par un Raphaël Pichon à son zénith déploie un grand camaïeu de noirs, frisant le marmoréen parfois mais finalement assez fascinant et, par éclairs, assez émouvant.

Saluons la grande implication de tous les interprètes, acteurs hautement engagés qui parviennent à camper des personnalités bien distinctes au travers d’airs d’origines si variées. La Miranda vindicative de Kate Lindsey, superbe de timbre et de self-control altier, ne fend l’armure que vers le dénouement en laissant s’exprimer enfin sa fêlure au temps du pardon accordé. Katherine Watson, Anna-Miranda en devenir, nous délivre un « Oh let me forever weep » poignant. Henry Waddington, plus doué pour le théâtre que pour le chant, confère à son personnage une autorité patriarcale butée mais qu'on sent néanmoins sur le fil du rasoir. Rupert Charlesworth ne manque pas de qualités vocales mais d'un peu de relief. Anthony, le fils de Miranda, transi par la douleur, trouve en Arsène Augustin un interprète sensible et plein de larmes retenues.

Dans le cadre idéal du Grand Théâtre de Bordeaux ce spectacle si mal accueilli lors de sa création à Paris a trouvé ici, avec une distribution en partie renouvelée, son équilibre de lamento didactique entêtant et son public qui lui fait un triomphe légitime.

Jérôme Pesqué
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Purcell - Miranda- Pichon/Mitchell- Bordeaux- 05/2019

Message par JdeB » 08 mai 2019, 09:27

Je viens de publier ma critique ci-dessus.
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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