Strauss - Salomé - Boder/Barlog - Opéra de Vienne - avril 2019

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jeantoulouse
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Strauss - Salomé - Boder/Barlog - Opéra de Vienne - avril 2019

Message par jeantoulouse » 01 mai 2019, 18:03

Direction musicale Michael Boder
Régie Boleslaw Barlog
Décor et costumes Jürgen Rose

Gun-Brit Barkmin Salomé
Markus Marquardt Jochanaan
Herwig Pecoraro Hérode
Jane Henschel Herodias
Jörg Schneider Narraboth
Ulrike Helzel Le page

Représentation du 25/04/2019


Si on ouvrait ou on retrouvait un fil sur les mises en scènes d’opéras les plus anciennes et encore « en activité », celle que propose le Wiener Staatsoper pour Salomé de Richard Strauss pourrait peut-être remporter la palme de la longévité. Créée en 1972, bientôt un demi-siècle, pour la prise de rôle de Léonie Rysanek, reprise et aménagée, rajeunie maintes fois pour différentes interprètes du rôle-titre dont Camilla Nylund, cette production signée Boleslaw Barlog ne fait pas son âge, notamment grâce au décor beau et ingénieux et aux costumes somptueux dessinés par le grand artiste qu’est Jürgen Rose. Hélène Adam dans son blog avait il y a deux ans dit tout le bien qu’on pouvait penser de l’ensemble et salué la prestation de Gun-Brit Barkmin. Je suis d’accord pour l’essentiel, même si la distribution m’a semblé plus inégale.

L’aire de la scène est fort intelligemment organisée. Côté jardin, des escaliers (périlleux) descendent sur la terrasse du palais. Un chemin de ronde au fond ceinture l’espace au dessus duquel s’élèvent deux superbes pins. Leur silhouette torturée et ouvragée se découpe sur un ciel aux couleurs changeantes, évoluant du bleu froid initial au rouge sang final. Côté cour, une lourde grille masque l’entrée du puits où croupit Jochanaan. Escaliers, chemin de ronde, porte dans la muraille, terrasse constitueront la piste de danse que parcourra Salomé. Sinon, le statisme sera de mise, comme pour suspendre le temps. La tragédie est ainsi dûment circonscrite dans l’espace et dans le temps, que seule la discussion théologique des Juifs aérera ironiquement un bref instant. Les costumes empruntent à un imaginaire moyen-oriental que maints voyageurs du XIX° siècle ont évoqué. Mais par le jeu des éclairages, c’est moins aux peintres orientalistes que songe le spectateur, sans doute influencé par sa visite du jour au Musée de Vienne, qu’à Klimt : l’or, les moirures, les éclaboussures colorées projettent sur le décor des taches inspirées de la palette de l’artiste viennois. Cet esthétisme de bon goût ôte sans doute de sa force et de sa violence au récit, mais forme un contraste saisissant avec la puissance de la musique et de l’interprétation.
Gun-Brit Barkmin, une habituée du rôle-titre l’ a chanté plusieurs fois sur cette même scène ou en version concert au festival de Verbier. Elle pare Salomé de toute l’élégance de sa gestuelle, de l’intensité d’une voix tour à tour enjôleuse et tranchante (tant pis pour l’allusion de mauvais goût), farouche et amoureuse, impérieuse et intègre. Jeune fille fatale, Salomé fait de cette nuit de noces aux lourdes senteurs un espace où la dure innocence exige un baiser sanglant. Ce n’est pas le moindre mérite de la cantatrice que d’imposer cette ambiguïté perverse, d’amour pur et d’exigence du sacrifice. La danse des sept voiles, exécutée avec une fièvre et une détermination croissantes, et sans que le personnage et son incarnation scénique déchoient ou sombrent dans l’à-peu-près, précède un monologue final dont la folle mort d’amour impressionne. Cette belle performance vocale et chorégraphique, longuement applaudie, laisse en retrait tous ses partenaires ou presque.
Le Jochanaan de Markus Marquardt a du coffre et ses imprécations sonnent avec la force requise. D’où vient qu’il laisse aussi indifférent ? De l’écriture du rôle ou de la mise en scène nécessairement statique ? Monolithique, il ne donne pas aux différentes phases de ses interventions et/ou apparition le relief et l’émotion attendus. Plus intéressant se révèle dans cette production le personnage d’Hérode que campe le ténor Herwig Pecoraro. Plus Mime que Siegmund, plus Chanteur italien que Bacchus, il dessine un souverain veule et concupiscent, travaillé par l’angoisse et le désir, autoritaire par vanité, tyran par lâcheté. Cet Hérode là est aussi la victime de cette Salomé et Pecoraro, fin acteur et chanteur subtil, rend sensible cette complexité. A ses côtés, l’Hérodias de Jane Henschel, malgré quelques beaux restes dans la voix, pêche par excès de caricature : cette mégère vociférant et sans dignité n’est ni princesse ni la mère de Salomé. Jörg Schneider, Narraboth tonitruant, se fait voler la vedette (des seconds rôles) par le page de Ulrike Helzel, élégant(e) et bien chantant. Comprimari solides et efficaces des soldats, juifs et nazaréens.
Le chef allemand Michael Boder met toute sa fougue dans la conduite d’une partition musicale luxuriante dont il sait à la fois tendre l’arc dramatique et distiller les scintillantes beautés. Il possède comme peu d’autres chefs l’art… des silences, de ces moments où le temps se suspend pour créer la tension et préparer l’horreur. Ainsi de l’attente de l’exécution du prophète. L’orchestre de l’Opéra de Vienne révèle ses somptuosités sonores et on gardera le souvenir des murmures du vent à l’apparition d’Hérode, comme autant d’hallucinantes morsures d’une âme tourmentée par l’angoisse.

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