Evers - Le garçon et le poisson magique - Pocceschi,Strada - ONR - 12/2018, 01/2019

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Piero1809
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Evers - Le garçon et le poisson magique - Pocceschi,Strada - ONR - 12/2018, 01/2019

Message par Piero1809 » 09 janv. 2019, 08:14

Le garçon et le poisson magique
Leonard Evers

Théâtre musical pour jeune public, d'après le conte Le Pêcheur et sa femme des frères Grimm
Leonard Evers, musique
Flora Verbrugge, livret
Créé en 2012 au Théâtre Sonnevanck à Enschede.
Nouvelle production, création française

Sandra Pocceschi et Giacomo Strada, mise en scène, décors et costumes
Matteo Bambi, lumières
Alessandro Randi, vidéo
Catherine Fourcassié, traduction française
Vincent Monteil et Emmanuel Séjourné, préparation musicale

Claire Péron*, mezzo-soprano
Pierre-Loïc Le Bliguet, percussions

Opéra National du Rhin, Cité de la musique et de la danse, Strasbourg le 06/01/2019.
*Artiste de l'Opéra-Studio de l'ONR

Image
Photo Klara Beck

Rends-moi à la vaguelette !
Jacob, petit enfant d'un couple de pauvres gens, a pêché un poisson magique. Ce dernier supplie Jacob de le remettre à l'eau (Rends-moi à la vaguelette) en échange de quoi il exaucera tous ses désirs. Ainsi Jacob obtiendra des chaussures, un toit pour lui et ses parents, puis une belle maison, de beaux habits, un château, etc...Les besoins de la famille, leur rage de posséder n'ont plus de limite. En même temps, le poisson maigrit, la mer devient de plus en plus agitée, les éléments se déchainent.... Ce récit est évidemment une parabole sur l'écocide, destruction de l'environnement, causée par l'avidité de l'homme au cours de l'anthropocène, ère géologique des temps présents. Le message est limpide: au fur et à mesure que les ressources se raréfient, épuisement représenté par l'amaigrissement du poisson magique, la pollution ne cesse de croître et le climat se dégrade de façon concomitante, dégradation représentée par une mer qui, étale au début, ne cesse de devenir plus tumultueuse et dévastatrice jusqu'au Tsunami final. En outre, l'égoïsme engendré par l'appropriation frauduleuse de richesses entraine une dissolution du lien familial et social, chacun allant de son côté et connaissant la solitude dans un monde de plus en plus peuplé. Au terme de la catastrophe finale, les trois membres de la famille connaissent de nouveau le dénuement mais la solidarité retrouvée entre eux envoie un signal d'espérance. Le message est facile à comprendre pour les enfants. Quant aux adultes, ils y trouveront matière à réflexion.

Pourtant au départ, le projet d'intéresser le jeune public (de quatre à sept ans) à un thème aussi grave, était une gageure et sa réussite n'était pas gagnée d'avance. Pour y parvenir, la libbrettiste, Flora Verbrugge, a cherché à établir le contact avec les enfants de quatre classes et avec leurs institutrices, afin de connaître les sujets auxquels les enfants étaient le plus sensibles. Cette discussion lui a permis de mettre sur pieds la dramaturgie autour du thème de l'avidité, de l'absence de limites qu'elle engendre et aussi dans la création du personnage du petit Jacob (non présent dans le conte de Grimm) auquel les enfants pouvaient plus facilement s'identifier. Ainsi Jacob devient le centre de gravité, c'est lui qui transmet au poisson les demandes de plus en plus folles de son père et de sa mère (je t'en prie mon poisson joli, donnes-moi le monde entier rien que pour moi), gommant un peu la diabolisation du personnage de la mère, inhérente au conte de Grimm. La mise en scène (Sandra Pocceschi et Giacomo Strada) s'est attachée à stimuler l'imagination du public en évoquant plus qu'en décrivant, elle confie les rôles du récitant, du père, de la mère et surtout de Jacob à une chanteuse-actrice simplement accompagnée d'un percussionniste qui participe à la caractérisation de tous ces personnages. Le public est sollicité pour évoquer de la voix le fracas des vagues. Au signal convenu, les enfants vont émettre un crescendo imitant le bruit du vent et de la mer. L'usage de vidéos-projections (Alessandro Randi) sous forme d'animations permet de rendre tangible les différents espaces, le ciel et la mer avant tout, mais aussi les maisons, château, parc d'attraction où se déroule l'action, et finalement la pollution généralisée, représentée par une effrayante montagne de sacs-poubelle noirs qui sortant du champs de la vidéo, envahit la scène. Un grand robot humanoïde aux lumières multicolores récitant un texte préenregistré, participe à la narration et ne manque pas de solliciter l'imagination des petits, tout en rappelant aux plus âgés les bandes-dessinées de leur enfance.

Le compositeur, Leonard Evers, a tenu à ce que la musique encourage l'imagination, d'une part, en évoquant des images, des atmosphères plutôt qu'en les décrivant et d'autre part, en exprimant les émotions des personnages afin de soutenir leur identification et leur caractérisation. Le compositeur a voulu éviter la musique pour enfants et tout le pittoresque un peu convenu et facile qui va avec. Comme dans l'opéra classique, les passages parlés alternent avec les passages chantés. Ces derniers utilisent un langage mélodique simple sans être banal La partie musicale a été confiée à un percussionniste capable de créer des images sonores comme le poisson magique dont la présence est reconnaissable par un motif récurrent du marimba ou encore les grands espaces évoqués par un puissant coup de tam-tam dont la résonance profonde au dedans de soi provoque une sensation de vertige. Parfois une atmosphère magique ou mystérieuse était créée par le vibraphone.

Claire Péron campait plusieurs personnages, le garçon, Jacob, principalement, mais aussi la mère et occasionnellement le poisson. Pour cela la mezzo devait adapter son timbre de voix à chaque personnage et cela au cours d'une même scène, voire d'un dialogue, tâche plutôt inhabituelle dans laquelle elle a fait preuve d'un engagement exceptionnel. Artiste de l'Opéra Studio de l'ONR, ses qualités sont bien connues à Strasbourg. Hier soir, elle n'a pas manqué de ravir le public de sa belle voix chaleureuse, son intonation parfaitement juste, son excellente diction et son aptitude à traduire musicalement les sentiments des personnages qu'elle incarne. Au chant se superposait l'accompagnement qui, entre les mains expertes de Pierre-Loïc Le Bliguet, était tantôt rythmique avec la grosse caisse ou les cymbales, tantôt mélodique avec le marimba et dans les moments les plus doux, le vibraphone. Le mugissement des vagues était souligné par des roulements de caisse claire (et imité par le public de façon réaliste). L'ensemble formé par le chant et la percussion séduisait indiscutablement par son originalité.

En définitive cette belle démonstration d'un théâtre musical original et intelligent, fut chaleureusement applaudie par un jeune public visiblement conquis.

Pierre Benveniste

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