Récital Alice Coote/Christian Blackshaw - ONR - 18/12/2018

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Récital Alice Coote/Christian Blackshaw - ONR - 18/12/2018

Message par Piero1809 » 21 déc. 2018, 14:35

Récital
Alice Coote, mezzo-soprano
Christian Blackshaw, piano

Johannes Brahms (1833-1897)
Vier Ernste Gesänge
Denn es gehet dem Menschen wie dem Vieh
Ich wandte mich und sahe an
O Tod, wie bitter bist du
Wenn ich mit Menschen

Peter Illitch Tchaikovsky (1840-1893)
Pendant une fête brillante
Mort
Seul celui qui connait la nostalgie
Pourquoi donc ?


Joseph Haydn (1732-1809)
Arianna a Naxos

Franz Schubert (1797-1828)
Der Zwerg
Der Tod und das Mädchen
Du bist die Ruh
Rastlose Liebe
Abendstern


Gustav Mahler (1860-1911)
Rückert Lieder
Ich atmet einen linden Duft
Blicke mir nicht in die Lieder
Liebst du um Schönheit
Um Mitternacht
Ich bin der Welt abhandengekommen



Strasbourg-opéra, 18 décembre 2018
Opéra National du Rhin


Un programme généreux pour un récital attendu avec impatience vu la renommée d'Alice Coote et Christian Blackshaw. Dans un programme essentiellement romantique, venait se glisser la rare cantate de Joseph Haydn, Arianna a Naxos.

La Mort est un thème récurrent chez les romantiques. Quand il composa les 4 Ernster Lieder en 1896, Johannes Brahms ressentait les premiers symptômes du mal qui allait l'emporter un an plus tard. Les textes de ces chants sérieux sont de Martin Luther, qui les adapta de l'Ancien Testament pour trois d'entre eux et de la première épître de Saint Paul aux Corinthiens pour le dernier. Brahms évite soigneusement tout traitement religieux de ces textes. Le mode mineur domine dans les trois premiers Lieder, le ton généralement sévère, souligne que l'homme est égal à l'animal devant la Mort. Cette dernière est le seul recours face à l'injustice, bien amère pour le nanti, elle est douce pour l'indigent. Le dernier Lied dans un mi bémol majeur apaisé, se termine par un message de consolation dans lequel il est dit que l'amour surpasse toutes les vertus. D'emblée le timbre chaleureux de la voix d'Alice Coote emplit la salle et ses principales qualités ressortent, légato harmonieux, graves profonds. Si dans le premier lied, les aigus ont présenté quelques aspérités, ce léger problème a vite disparu dans les Lieder suivants. Les menus problèmes d'intonation détectables au début du récital, se sont atténués puis évaporés par la suite. La partie de piano est riche et pleine chez Brahms et Christian Blackshaw maitrisa parfaitement son sujet.

Avec Piotr Illitch Tchaikovsky, mélancolie et nostalgie sont les ambiances dominantes. Dans ce contexte, la mort peut paraître douce à celui ou celle qui l'accepte avec résignation. Dans ces mélodies où règne une sentimentalité non dénuée de charme, Alice Coote pouvait faire valoir le médium riche et corpulent de sa tessiture vocale.

Quand les premières notes du récitatif qui ouvrait Arianna a Naxos de Joseph Haydn, retentirent, on pouvait se demander ce que faisait cette cantate italienne classique composée en 1790 au cœur de ce programme romantique. L'aria Dove sei, mio bel tesoro nous plongeait ensuite dans une ambiance amoureuse et sensuelle, proche de Rossini qui, il faut le souligner, aimait beaucoup cette cantate. Au fur et à mesure qu'Arianna se rend compte que son amant Teseo l'a définitivement quittée, le sentiment devient de plus en plus intense et cette cantate désormais romantique se termine en fa mineur dans un désespoir total que seule la mort peut apaiser. Alice Coote a donné une interprétation magnifique de cette oeuvre, une des meilleures que je connaisse. La mezzo a trouvé le ton juste, a exprimé avec précision et émotion l'évolution des sentiments de l'héroïne et a terminé la cantate dans une formidable envolée lyrique. C'était un premier sommet de ce récital.

Avec Franz Schubert, on se trouve en terrain emblématique du romantisme allemand et on peut être reconnaissant aux artistes d'avoir inscrit au programme des Lieder peu connus. Der Zwerg D 771 est un des plus visionnaires parmi les Lieder de Schubert. Le texte et la musique concourent à créer une ambiance fantastique et sinistre dont la mort est la seule issue. La mort était omniprésente en ce début du siècle où sévissait la tuberculose, fléau dont les jeunes gens étaient les principales victimes. A cette Jeune fille, dont le poème de Matthias Claudius, Der Tod und das Mädchen, D 531 traduit si bien les angoisses, la musique consolatrice de Schubert apportait une conclusion apaisée. Du bist die Ruh D 776, un des plus beaux Lied de Schubert à la musique si prenante, reste dans le même esprit. Dans cette musique Alice Coote a pu faire valoir une voix au timbre captivant, nuancée de frémissants pianissimos.

Mais le plus beau restait à venir. Gustav Mahler est un des compositeurs de prédilection d'Alice Coote. Cette dernière a chanté en concert la 2ème symphonie Résurrection, Le Chant de la terre, Knaben Wunderhorn, Lieder eines farhrenden Gesellen, etc...Avec les Ruckert Lieder, la mezzo britannique était dans son élément. Elle mit subtilement en valeur les changements d'éclairages troublants de Ich atmet' einen linden Duft, consécutifs à des modulations hardies. Il faut toutefois remarquer que notre oreille est habituée au versions avec orchestre de ces Lieder. Là où le génie orchestral de Mahler fait des merveilles, il fallait se contenter du seul piano. La différence est criante dans Um Mitternacht où le chant est accompagné d'un somptueux et rutilant orchestre de bois et de cuivres comportant des passages où le contrebasson et le tuba basse interviennent en solistes. Dans le sublime Ich bin der Welt abhandengekommen, un des sommets de toute la musique, l'introduction est confiée à la harpe et à un cor anglais qui chante éperdument la plus belle mélodie qui soit. Dans ces conditions, il convenait d'écouter ces versions avec piano avec des oreilles neuves et sans préjugé. Dans cet état d'esprit, on pouvait savourer la voix d'Alice Coote qui se surpassa notamment dans le dernier Lied avec des pianissimos absolument divins. Le pianiste avait pour le moins la tâche ingrate de faire oublier un grand orchestre symphonique. Il y est arrivé au delà de toutes les espérances, à la fin, le piano fusionna avec la voix pour former une seule entité de musique pure, et tout se fondit dans une céleste harmonie.

Que peut-on chanter et jouer après cela ? Plus rien pour moi, qui m'efforçait de mémoriser les précieuses notes et tentait de rester dans ce rêve extatique. Le public en décida autrement et les artistes lui donnèrent deux bis, Wiegenlied de Brahms puis le 4ème mouvement, Urlicht, de la 2ème symphonie de Mahler.

Pierre Benveniste

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