Offenbach - La Belle Hélène - Campellone/ Ravella- Nancy- 12/2018

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Offenbach - La Belle Hélène - Campellone/ Ravella- Nancy- 12/2018

Message par Markossipovitch » 17 déc. 2018, 13:37

Jacques Offenbach
La Belle Hélène
opéra-bouffe en trois actes sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy.

Mise en scène : Bruno Ravella
Décors : Giles Cadle
Costumes : Gabrielle Dalton
Lumières : Malcolm Rippeth
Chorégraphie : Philippe Giraudeau

Hélène Mireille Lebel
Pâris Philippe Talbot
Ménélas Éric Huchet
Agamemnon Franck Leguérinel
Calchas Boris Grappe
Oreste Yete Queiros
Achille Raphaël Brémard
Ajax I Christophe Poncet de Solages
Ajax II Virgile Frannais
Bacchis Sarah Defrise
Léoena Elisabeth Gillming
Parthoénis Léonie Renaud
Philocome Benjamin Colin

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Chœurs de l’Opéra national de Lorraine (direction Merion Powell)
Direction musicale
Laurent Campellone

Nouvelle production

14, 18 et 21 décembre 2018 à 20h
16 et 23 décembre 2018 à 15h

Markossipovitch
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Re: Offenbach - La Belle Hélène - Campellone/ Ravella- Nancy- 12/2018

Message par Markossipovitch » 30 déc. 2018, 14:01

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jerome
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Re: Offenbach - La Belle Hélène - Campellone/ Ravella- Nancy- 12/2018

Message par jerome » 30 déc. 2018, 14:20

On passe une assez bonne soirée dans l'ensemble! On approche des fêtes! On est fatigué et on a envie de se détendre et puis ça fait des décennies qu'on n'a plus vu à Nancy ce petit joyau. Et donc on est prêt à lui faire un brillant accueil. Objectivement, c'est bien dirigé et c'est vraiment bien chanté avec une mention particulière pour Philippe Talbot dont j'aime beaucoup la voix et le jeu.
Je suis en revanche plus mitigé sur la mise en scène qui frise l'amateurisme total au 1er acte, se tient mieux aux 2 actes suivants mais dont le concept global est moyennement drôle et même vulgaire à certains moments (C'est tellement facile de recourir à la débilité d'une boniche-avatar de Nabilla :roll: )! On est très très loin de l'humour génial d'un Pelly... Quand la barre a été mise aussi haut, on n'a plus le droit de descendre aussi bas et c'est bien là le problème de Bruno Ravella...
La Belle Hélène méritait mieux que ça après des décennies d'absence sur la scène de l'Opéra National de Lorraine à Nancy.

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Re: Offenbach - La Belle Hélène - Campellone/ Ravella- Nancy- 12/2018

Message par Markossipovitch » 30 déc. 2018, 14:59

Deux ans après un Orphée aux Enfers de belle tenue, l’Opéra National de Lorraine remet le couvert pour les fêtes de fin d’année avec une Belle Hélène confiée au même chef, et appelle à la mise en scène un artiste unanimement salué l’an dernier dans le registre plus tragique de Werther in loco.

Ted Huffmann avait fait des dieux de l’olympe en 2016 de curieux bibendum dans un hôtel art déco. Bruno Ravella, lui, décide de transposer l’action à partir d’une idée simple : le faux berger Pâris qui a tout moment débarque de nulle part, sera un James Bond à la manque, un 007 plutôt versant Hubert Bonisseur de la Bath (alias OSS 117), les trois actes se résumant en trois parties de la mission de l’agent : approcher Hélène, la séduire et l’enlever pour provoquer la guerre de Troie.

D’où une pantomime initiale dans un bureau esquissé par des portes capitonnées qui s’ouvrent dans un mur peint avec des motifs militaires de camouflage, au-dessus desquelles trône une carte du globe projetée, sur laquelle les phases de la mission seront affichées. Dans ce bureau l’agent Pâris fait se pâmer les secrétaires d’un regard et reçoit d’un « M » qui sert vite de « Q » son ordre de mission ainsi qu’une montre qui lui permettra de figer ses adversaires dès qu’ils poseront les yeux sur elle. Comme dans tout bon épisode de Bond, il s’en servira au moment opportun.

Le premier acte s’ouvre sur une vaste place délimitée à l’arrière-plan par une palissade de bois. A jardin, une haute ouverture vers la place des sacrifices. A cour s’élèvent deux piliers de bois qui soutiennent une plate-forme permettant aux grands personnages d’apparaître comme à un balcon peroniste, ainsi que l’a dessiné Giles Cadle.

Après le chœur initial (« Sur tes autels, Jupin »), et la première chorégraphie qui en appelle bien d’autres, l’augure Calchas reçoit de Philocome un nombre incalculable de colliers de fleurs offerts par le peuple pour la seconde scène, réécrite avec talent par Alain Perroux, qui ne se contente pas d’adapter quelques références à notre temps mais a refondu le texte en profondeur et avec beaucoup d’à-propos (l’ONL a la bonne idée d’en retranscrire le texte intégral dans le programme de salle). « L’uberisation des augures » et « Ménélas, président des riches » font mouche, entre autres. Benjamin Colin, barbu et en soutane noire, ne manque pas de piquant en préposé au tonnerre, et Boris Grappe dès les premières syllabes impose un formidable Calchas, phénoménalement timbré, pleutre et vil, idéalement bouffe, aux inflexions savamment travaillées. Son « Comment oserais-je ? » face à la reine est un bijou. Son costume tient de l’aube papale blanc cassé damassée d’or, et un panier en fait une curieuse robe mixte en-dessous de laquelle il arbore des bas rouges du plus bel effet, dénonçant le feu sous la cendre et le coquin derrière l’augure. Bravo à Gabrielle Dalton !
Après le chœur des pleureuses entre Hélène, qui sera tantôt Eva Peron, tantôt Grace Kelly, tantôt Brigitte Bardot selon la volonté de Bruno Rivella. La mezzo canadienne Mireille Lebel, prudente au premier acte, déploie une magnifique voix très étendue, et si on se pose des questions sur les caractéristiques de la voix d’Hortense Schneider, la créatrice, il est vrai qu’aujourd’hui on y distribue plutôt des mezzo à l’aigu aisé, telle Pauline Sabatier et Gaëlle Arquez, proches de ce qu’on appelait autrefois le soprano II (sans oublier Karine Deshayes, justement). Grande, élégante, svelte, Mireille Lebel sait tout de suite adopter le style buffo le plus pur, sans jamais verser dans la bouffonnerie. Elle crée un personnage de grande star proche du burn out, fatiguée par la notoriété comme Hélène par la fatalité. Ses dialogues avec Calchas laissent transparaître la lassitude qu’elle ne peut exposer en public. Mais elle ne manque pas de rappeler qu’elle est probablement la plus belle femme du monde et se le faire dire autant que possible par le complaisant augure. C’est cet équilibre entre sa vanité et sa lassitude qui rend le personnage plaisant et réussi.

C’est depuis le balcon qu’elle lance son premier air en Eva Peron endeuillée, « Il nous faut de l’amour », repris par le chœur des pleureuses.
L’entrée d’Oreste et de sa troupe permet une seconde chorégraphie parmi toutes celles que Philippe Giraudeau a réglées pour ce spectacle virevoltant. En Oreste travesti, Yete Queiros impose son mezzo très timbré et lumineux dans ses couplets, et le fils d’Agamemnon est aussi tête à claques qu’il doit l’être, flanqué en Léoena et Pathoenis des sculpturales Elisabeth Gillming et Léonie Renaud, chewing-gum en bouche et patins à roulettes aux pieds, moulées dans un costume blanc fort court à la Cardin qui sied aux personnages dont l’accent vulgaire est parfaitement imité.

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© C2 Images pour ONL

Philippe Talbot fait son retour en James Bond à la manque, troquant son costume trois pièces pour une tenue de baroudeur, flying jacket et rangers, et le Jugement de Pâris fait entendre son ténor élégant et suave, admirablement contrôlé, un rien trop, d’ailleurs, ses Evohé caressés manquant d’un peu de métal et d’éclat pour nous ravir totalement. Le créateur, Dupuis, n’était certes pas un Siegfried, mais Stanislas de Barbeyrac en 2009 à Avignon montrait plus de lumière. C’et un détail dans une interprétation très convaincante, mais il nous paraît utile de le relever.

Tout de noir vêtue avec voilette, parmi les pleureuses, Hélène rencontre Pâris sur un pas de deux, et le jeu de la séduction commence comme dans un tango.

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Mais arrivent les rois, et elle doit aller changer de tenue pour présider le concours de mots d’esprit avec les autres rois.
L’entrée des rois, d’Achille et des Ajax sur l’air le plus célèbre de la partition permet aux personnages les plus bouffe d’entrer en scène : les deux Ajax d’abord soudés par le dos, Christophe Poncet de Solages en premier Ajax et Virgile Frannais, baryton étonnant en soldat de pacotille affublé d’un zozotement très travaillé, en Ajax II. Achille prend les traits de Raphaël Brémard, coupe au bol sur perruque blonde et talon blindé, costume Second Empire, faisant mine de mitrailler le public de son bouillant attribut viril en Matamore qui se respecte, unique concession à la grivoiserie du metteur en scène. Derrière la palissade, des projections font apparaitre des chars d’assaut et autres missiles balistiques dans un style cartoonesque, qui allié aux costumes militaires des danseurs permet de ne pas oublier totalement la charge derrière le divertissement.

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Ménélas entre dans la danse avec la voix très timbrée et prenante d’Eric Huchet, aux faux airs d’Albert II de Belgique, délicieusement ridicule en mari borné et berné, portant la couronne de pin en forme de cornes, véritable pilier de la soirée. Il n’a jamais l’air de ténoriser mais son instrument garde de grandes réserves de projection comme de timbre, et tout son art réside dans le fait d’en user admirablement sans en avoir l’air (il était le récitant dans L’Enfance du christ de Berlioz à la Côte Saint-André cette année). La voix chantée de Franck Leguérinel n’a peut-être plus l’émail d’antan, mais il impose un Agamemnon truculent et contrôlé, d’une étonnante fantaisie, engoncé dans un costume militaire dont il fait une partie intégrante du personnage, médaillé et corseté. Son art de la déclamation fait mouche à chaque instant, et il brosse le portait touchant d’un monarque désolé par l’état de son peuple et de ses élites, mais qui ose en sourire.

Le concours se déroule sur la place, Achille et les deux Ajax réunis dans une sorte de tour bleue sur roues, à créneaux pointus, recouverte de boutons de fleurs bleues. Chacun a un buzzer, ce dont Achille surtout est friand, mais bien sûr le berger les bat à plate couture, déclenchant les vocalises d’Hélène (« l’homme à la po-omme ») jusqu’au trille battu et bouclé avec maîtrise par Mireille Lebel. Calchas annonce que les dieux décident d’envoyer Ménélas en Crète, ce qui lance le très attendu finale du premier acte (« Pars pour la Crète »), le chœur de l’ONL s’en acquitte brillamment.

Le second acte s’ouvre à l’intérieur du palais, dans les appartements de la reine qui, affalée sur une table, refuse au chœur des femmes lui présentant parures et bijoux, de choisir la toilette adéquate au jour de la visite des rois. Son mari parti pour la Crète, en quasi veuve éplorée elle refuse toute autre tenue qu’une rigide robe montante. Derrière elle, un immense escalier, au-dessus duquel trônent les portraits d’un cygne et d’une actrice.

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Bacchis, sa servante, est jouée dans le style nunuche d’une Nabilla, avec un talent confondant, par Sarah Defrise. Refusant de recevoir Pâris, la reine le fait attendre et, invoquant les mânes de ses parents à travers leurs portraits photographiques, nous offre son invocation à Vénus (« Quel plaisir trouves-tu à faire ainsi cascader la vertu ? »). Mireille Lebel y déploie un très bel instrument, très lumineux dans l’aigu, se riant du difficile ambitus, et laisse poindre la mélancolie de la reine, jouet des dieux, dans un délicat équilibre entre mélancolie et rouerie.
Pâris arrive en smoking et attaché-case, manquant quelques marches comme il se doit, et se plaint de la réserve de la reine. Il lui promet de mettre tous les moyens en œuvre pour la séduire, la ruse étant le dernier qui lui reste.

Agamemnon entre avec sa troupe pour le jeu de l’oie, avec une grande oie sur roulettes. Le jeu offre un divertissement à l’action, la reine ne pouvant parler à son confident Calchas, qui va s’enferrer dans la tricherie, attirant l’ire des participants (« Sus à Calchas »).
La reine s’endort en présence de Calchas quand arrive Pâris par la fenêtre, déguisé en serviteur. Bacchis fait sortir l’augure, et la reine croit voir Pâris dans un rêve, le duo qui suit manifestant le trouble des cœurs, jamais complètement accordés par les linéaments de la musique, sur une valse brumeuse (« Oui, c’est un rêve »). Philippe Talbot et Mireille Lebel y accordent leurs instruments de façon délicate.

C’est alors que surgit Ménélas, qui fait un esclandre, attirant les rois en témoins de son déshonneur. Son épouse lui fait la leçon, un mari convenable étant fort malvenu de rentrer sans prévenir (« Un mari sage est en voyage »), mais Pâris refuse de laisser la reine et s’attire les foudres des rois (« Pars, pars, séducteur ») dans un finale étourdissant mené de main de maître par Laurent Campellone. Celui-ci, comme en 2016, montre une confondante maîtrise du style offenbachien, toujours délicat et coloré mais mesuré, ne risquant jamais de couvrir les chanteurs ni d’accélérer inutilement le tempo. Du grand art.

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Bruno Ravella transpose l’acte trois de la plage de Nautile à une piscine que l’on aperçoit derrière de grandes baies vitrées, devant les quelles frissonnent Agamemnon et Calchas, le premier en peignoir jaune et le second en costume de bain une pièce, avec un bonnet de bain imitant son bonnet plat d’augure.

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A jardin une scène sur laquelle Oreste chante en crooner sud-américain avec big band, et raconte comment l’ire de Vénus a causé un total désordre dans les ménages de la Grèce. Yete Quiros s’y montre brillante encore, tant vocalement que scéniquement, tandis que Pâris débarque en homme-grenouille pour observer l’action.

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Hélène, derrière des lunettes noires et habillée à la Bardot, sommée par son mari de s’expliquer sur ce qu’il a vu, répond par ses délicieux couplets (« Va, je ne suis pas coupable »). Mireille Lebel excelle à exprimer cet entre-deux de la reine, tiraillée entre sa vertu réelle et ses penchants certains.

Agamemnon et Calchas poussent le roi à agir (« Lorsque la Grèce est un champ de carnage ») et surtout à s’oublier pour le bien commun (« Immole-toi »). Ménélas réplique en racontant qu’il a envoyé chercher à Cythère le grand augure de Vénus pour remédier à la situation, au grand dam de Calchas.

C’est en joyeux hippie en tunique de soie fleurie et lunettes rondes que Pâris fait son entrée en faux augure apôtre du gai, la galère de Cythère étant remplacée par un ascenseur (dont on aimerait ne pas entendre la petite musique intérieure, peu en phase avec la partition, comme en 2016 d’ailleurs). La tyrolienne (« Je suis gai, soyez gai ») de Philippe Talbot est admirablement déliée, l’aigu étant particulièrement facile d’accès, et la vocalise hardie, en bon rossinien qu’il est.

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Il invite la reine à obéir à Vénus en venant près de Cythère accomplir un sacrifice, mais ne l’enlève pas sans révéler son identité, après que tous eurent imploré la reine de partir. C’est sur l’échelle de corde d’un hélicoptère que Pâris 007 emporte Hélène, avant une dernière pantomime qui les voit franchir les portes du décor initial en garnements pressés, l’agent ayant parfaitement réussi sa mission.

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On ne peut qu’applaudir des deux mains une production totalement réussie, une transposition intelligente et une direction d’acteurs brillante dont il est bien difficile de rendre compte intégralement après l’avoir vue une seule fois, tant ses idées fourmillent et les gags s’accumulent avec une précision d’horlogerie en phase avec la pétillante musique offenbachienne, ainsi qu’une équipe de chanteurs de très haut niveau qui tous ensemble servent le « petit Mozart des champs Elysées » sans réserve et donnent à l’œuvre un piquant des plus pertinents.
Reste peut-être à franchir une dernière étape qui consistera à programmer les œuvres d’Offenbach pour elles-mêmes (un Barkouf, des Filles du Rhin…) plutôt que les cantonner à de simples divertissements de fin d’année.

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Re: Offenbach - La Belle Hélène - Campellone/ Ravella- Nancy- 12/2018

Message par Markossipovitch » 30 déc. 2018, 15:16

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