Thomas - Hamlet- Langrée/Teste- OC- 12/2018
Posté : 15 déc. 2018, 08:28
Direction musicale : Louis Langrée
Mise en scène: Cyril Teste
Décors : Ramy Fischler
Costumes : Isabelle Delfin
Lumières: Julien Boizard
Vidéos : Mehdi Toutain-Lopez, Nicolas Dorémus
Stéphane Degout : Hamlet
Sabine Devieilhe : Ophélie
Laurent Alvaro : Claudius
Sylvie Brunet-Grupposo : Gertrude
Julien Behr : Laërte
Jérôme Varnier : Le Spectre
Kevin Amiel : Marcellus
Yoann Dubruque : Horatio
Nicolas Legoux ; Polonius
Choeur, Les éléments
Orchestre des Champs-Élysées
Nouvelle production
Paris, Opéra-Comique, le 17 décembre 2018.
Sous de vastes portiques...
Quatre productions particulièrement réussies de cet opéra ont permis à l’Hamlet d’Ambroise Thomas de revenir au-devant de la scène après une éclipse d’une soixantaine d’années voire davantage (1938 -2000 à Paris, 1930-2013 à Bruxelles). Le grand tournant date de 1994 où Thomas Hampson, au sommet de ses moyens et de sa gloire médiatique, aborde le rôle-titre sur le Rocher. Surtout, deux ans plus tard, en septembre 1996, le Grand-Théâtre de Genève monte une nouvelle production d’une rare intelligence du tandem Patrice Caurier/ Moshe Leiser avec déjà Louis Langrée au pupitre et un carré d’as : N. Dessay, M. Dupuy, S. Keenlyside, A. Vernhes. Ce spectacle sera repris à Londres et à Barcelone en 2003 puis au printemps 2010 au Met de New-York et capté en DVD. Il y a ensuite la production de Nicolas Joel qui en avril 2000 a réuni à Toulouse une affiche de rêve où alternent rien de moins que N. Dessay / P. Petibon, T. Hampson / L. Tézier aux côtés du roi de José Van Dam, spectacle accueilli en juin de la même année par le Théâtre du Châtelet dans le cadre de son festival des régions. Deux autres productions marquantes contribuent aussi à cette renaissance. Celle de Vincent Boussard a été inaugurée à Marseille en mai 2010 avec la bouleversante Ophélie de P. Ciofi et y revint à la rentrée 2016 après un passage à Strasbourg en 2011 (et S. Degout dans le rôle-titre) puis par Avignon (en mai 2015 avec JF Lapointe). Mais le sommet de cette grande vague d’exhumation est atteint par la sublime production d’Olivier Py, au zénith de son art, à Vienne puis à Bruxelles où elle est captée en décembre 2013 pour la télévision.
Dans le lointain sillage du Marchand de Venise mise en scène de manière inoubliable par Peter Sellars il y a presque un demi-siècle à Chicago puis repris en Europe (notamment à Bobigny en décembre 1994) et du travail remarquable sur le même Shakespeare d’Ivo Van Hove, mais de manière beaucoup plus convenue, Cyril Teste signe un spectacle aussi sophistiqué techniquement (au point que le rideau ne s’est levé qu’avec 15 minutes de retard à cause d’interférences cellulaires) que pauvre d’idées et lassant par le mouvement permanent qu’il y imprime, ruinant plusieurs effets musicaux et, dans l’œuf, l’émotion avant qu’elle ne s’installe. Comme dans son Festen de la saison passée, il abolit les frontières intérieur/extérieur (de la salle), scène salle /scène et acteur/personnage puisque les solistes, habillés comme en puisant dans leur propre garde-robe des jours ordinaires, nous apparaissent tout autant comme eux-mêmes au travail qu’en leur qualité de protagonistes du drame. La méta-théâtralité de l’ensemble, qui est certes dans l’ADN du sujet, nous paraît trop emphatique ici, sous les trois grandes arches du décor en reconfiguration permanente. La poésie ne jaillit vraiment que dans l’écume lacustre de la scène de la noyade d’Ophélie, dryade des avalanches et des profondeurs marines, traitée dans la manière de Bill Viola. Signalons aussi la force, dans sa simplicité même, de l’apparition du Spectre/ateur qui, rendu à l’indifférenciation du public plongé dans la pénombre, métonymie de celle de la mort, se contente de déployer son immense silhouette au milieu du quatrième rang d’orchestre pour faire tonner sa vérité comme un couperet, avant que, mission accomplie par le truchement de son fils vengeur, il ne se dissolve à nouveau dans la multitude.
Stéphane Degout, prince d’à côté au sens truffaldien , frise la perfection dans ce personnage où il ne connaît aucun rival et qu’il chante dans le prolongement de son art suprême de récitaliste.
Sabine Devieilhe semble prise dans une forme de présence/ absence éthérée avant même que de flotter sur les ondes. Irréprochable sur le plan musical, virtuose aussi, bien sûr, elle n’a que le tort de venir après l’Ophélie proprement électrisante de Dessay et celle étreignante de Ciofi qui, elles, nous submergeaient d’émotion et continuent à nous hanter durablement…
Bien qu’annoncée souffrante, Sylvie Brunet-Grupposo dessine une reine de haut lignage, déchirée entre le déni et la culpabilité, maternelle et accrochée à sa couronne vacillante comme à un radeau de la Méduse, de sa voix de contralto si singulière et si prenante.
Laurent Alvaro se montre bien inégal sur le plan vocal, avec une ligne de chant qui parfois lui échappe, mais trouve aussi de belles couleurs sombres. Julien Behr compose un Laërte viril et noble. Jérôme Varnier fait se lever le Spectre avec tout le relief nécessaire. Kévin Amiel est un luxe en Marcellus tandis que Yoann Dubruque apparaît comme la révélation de la soirée.
Le triomphe absolu de cette première doit beaucoup à la direction acérée du grand spécialiste Louis Langrée qui accentue la modernité de l’ouvrage en en gommant au maximum ce qu’il contient de convenu, d’académique voire de pompier à la tête d’un Orchestre des Champs-Elysées valeureux certes mais qui doit gagner en discipline au cours du cycle. Par contre, es Eléments confirment, une fois de plus, leur suprématie dans le monde choral et constituent un des vrais bonheurs de la soirée.
Toutefois, la grande gagnante ce soir porte le nom de Langue française servie ici par tous avec une clarté d'eau de source.
Ainsi s’achève en beauté la saison 2018 de l’Opéra-Comique, largement ouverte aux nouveaux talents du théâtre français, et sa trilogie d’outre-tombe (Nonne sanglante, Orphée, Hamlet) qui restera comme une réussite éclatante.
Jérôme Pesqué
Photos Vincent Pontet
Mise en scène: Cyril Teste
Décors : Ramy Fischler
Costumes : Isabelle Delfin
Lumières: Julien Boizard
Vidéos : Mehdi Toutain-Lopez, Nicolas Dorémus
Stéphane Degout : Hamlet
Sabine Devieilhe : Ophélie
Laurent Alvaro : Claudius
Sylvie Brunet-Grupposo : Gertrude
Julien Behr : Laërte
Jérôme Varnier : Le Spectre
Kevin Amiel : Marcellus
Yoann Dubruque : Horatio
Nicolas Legoux ; Polonius
Choeur, Les éléments
Orchestre des Champs-Élysées
Nouvelle production
Paris, Opéra-Comique, le 17 décembre 2018.
Sous de vastes portiques...
Quatre productions particulièrement réussies de cet opéra ont permis à l’Hamlet d’Ambroise Thomas de revenir au-devant de la scène après une éclipse d’une soixantaine d’années voire davantage (1938 -2000 à Paris, 1930-2013 à Bruxelles). Le grand tournant date de 1994 où Thomas Hampson, au sommet de ses moyens et de sa gloire médiatique, aborde le rôle-titre sur le Rocher. Surtout, deux ans plus tard, en septembre 1996, le Grand-Théâtre de Genève monte une nouvelle production d’une rare intelligence du tandem Patrice Caurier/ Moshe Leiser avec déjà Louis Langrée au pupitre et un carré d’as : N. Dessay, M. Dupuy, S. Keenlyside, A. Vernhes. Ce spectacle sera repris à Londres et à Barcelone en 2003 puis au printemps 2010 au Met de New-York et capté en DVD. Il y a ensuite la production de Nicolas Joel qui en avril 2000 a réuni à Toulouse une affiche de rêve où alternent rien de moins que N. Dessay / P. Petibon, T. Hampson / L. Tézier aux côtés du roi de José Van Dam, spectacle accueilli en juin de la même année par le Théâtre du Châtelet dans le cadre de son festival des régions. Deux autres productions marquantes contribuent aussi à cette renaissance. Celle de Vincent Boussard a été inaugurée à Marseille en mai 2010 avec la bouleversante Ophélie de P. Ciofi et y revint à la rentrée 2016 après un passage à Strasbourg en 2011 (et S. Degout dans le rôle-titre) puis par Avignon (en mai 2015 avec JF Lapointe). Mais le sommet de cette grande vague d’exhumation est atteint par la sublime production d’Olivier Py, au zénith de son art, à Vienne puis à Bruxelles où elle est captée en décembre 2013 pour la télévision.
Dans le lointain sillage du Marchand de Venise mise en scène de manière inoubliable par Peter Sellars il y a presque un demi-siècle à Chicago puis repris en Europe (notamment à Bobigny en décembre 1994) et du travail remarquable sur le même Shakespeare d’Ivo Van Hove, mais de manière beaucoup plus convenue, Cyril Teste signe un spectacle aussi sophistiqué techniquement (au point que le rideau ne s’est levé qu’avec 15 minutes de retard à cause d’interférences cellulaires) que pauvre d’idées et lassant par le mouvement permanent qu’il y imprime, ruinant plusieurs effets musicaux et, dans l’œuf, l’émotion avant qu’elle ne s’installe. Comme dans son Festen de la saison passée, il abolit les frontières intérieur/extérieur (de la salle), scène salle /scène et acteur/personnage puisque les solistes, habillés comme en puisant dans leur propre garde-robe des jours ordinaires, nous apparaissent tout autant comme eux-mêmes au travail qu’en leur qualité de protagonistes du drame. La méta-théâtralité de l’ensemble, qui est certes dans l’ADN du sujet, nous paraît trop emphatique ici, sous les trois grandes arches du décor en reconfiguration permanente. La poésie ne jaillit vraiment que dans l’écume lacustre de la scène de la noyade d’Ophélie, dryade des avalanches et des profondeurs marines, traitée dans la manière de Bill Viola. Signalons aussi la force, dans sa simplicité même, de l’apparition du Spectre/ateur qui, rendu à l’indifférenciation du public plongé dans la pénombre, métonymie de celle de la mort, se contente de déployer son immense silhouette au milieu du quatrième rang d’orchestre pour faire tonner sa vérité comme un couperet, avant que, mission accomplie par le truchement de son fils vengeur, il ne se dissolve à nouveau dans la multitude.
Stéphane Degout, prince d’à côté au sens truffaldien , frise la perfection dans ce personnage où il ne connaît aucun rival et qu’il chante dans le prolongement de son art suprême de récitaliste.
Sabine Devieilhe semble prise dans une forme de présence/ absence éthérée avant même que de flotter sur les ondes. Irréprochable sur le plan musical, virtuose aussi, bien sûr, elle n’a que le tort de venir après l’Ophélie proprement électrisante de Dessay et celle étreignante de Ciofi qui, elles, nous submergeaient d’émotion et continuent à nous hanter durablement…
Bien qu’annoncée souffrante, Sylvie Brunet-Grupposo dessine une reine de haut lignage, déchirée entre le déni et la culpabilité, maternelle et accrochée à sa couronne vacillante comme à un radeau de la Méduse, de sa voix de contralto si singulière et si prenante.
Laurent Alvaro se montre bien inégal sur le plan vocal, avec une ligne de chant qui parfois lui échappe, mais trouve aussi de belles couleurs sombres. Julien Behr compose un Laërte viril et noble. Jérôme Varnier fait se lever le Spectre avec tout le relief nécessaire. Kévin Amiel est un luxe en Marcellus tandis que Yoann Dubruque apparaît comme la révélation de la soirée.
Le triomphe absolu de cette première doit beaucoup à la direction acérée du grand spécialiste Louis Langrée qui accentue la modernité de l’ouvrage en en gommant au maximum ce qu’il contient de convenu, d’académique voire de pompier à la tête d’un Orchestre des Champs-Elysées valeureux certes mais qui doit gagner en discipline au cours du cycle. Par contre, es Eléments confirment, une fois de plus, leur suprématie dans le monde choral et constituent un des vrais bonheurs de la soirée.
Toutefois, la grande gagnante ce soir porte le nom de Langue française servie ici par tous avec une clarté d'eau de source.
Ainsi s’achève en beauté la saison 2018 de l’Opéra-Comique, largement ouverte aux nouveaux talents du théâtre français, et sa trilogie d’outre-tombe (Nonne sanglante, Orphée, Hamlet) qui restera comme une réussite éclatante.
Jérôme Pesqué
Photos Vincent Pontet