Haendel - Serse - Emelyanychev - vc - TCE/Toulouse - 10-11/2018

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Piero1809
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Re: Haendel - Serse - Emelyanychev/VC - TCE - 24/10/2018

Message par Piero1809 » 27 oct. 2018, 15:43

Merci, Hélène Adam, pour ce compte rendu très complet avec lequel je suis essentiellement d'accord. J'ai passé aussi une excellente soirée. Le chef et Il Pomo d'Oro m'ont beaucoup plu. Les tempi étaient bons et les attaques très précises. Les sinfonias étaient assez remarquables notamment celle qui ouvre l'acte III.

jeantoulouse
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Re: Haendel - Serse - Emelyanychev/VC - TCE - 24/10/2018

Message par jeantoulouse » 08 nov. 2018, 12:04

Haendel - Serse vc – Emelyanychev / Fagioli – Toulouse Grands Interprètes –07/11/18

En bref. Hier soir à Toulouse, dans la série Grands Interprètes, septième étape sur huit de la tournée européenne Serse. Un seul changement dans la distribution indiquée en tête du fil : Marianna Pizzolato remplace Delphine Galou dans le rôle d’Amastre. Une soirée exceptionnelle avec une formation baroque survitaminée, sous les mains aériennes et le clavecin volubile d’un chef chaleureux, une équipe de chanteurs homogène dans l’excellence conduite par un Franco Fagioli, maitre de sa voix comme de la scène. Et un triomphe pour tous les acteurs de cette revigorante soirée.

A quoi peut se résumer le sujet de cet étrange opéra «tragi- comique » (1738) ? Un roi, un héros historique, Xerxès (Serse), opiniâtre mais changeant, guerrier mais ô combien sentimental, déclare à maintes reprises son amour pour la belle et rebelle Romilda (amante de son frère) qui refuse autant de fois ! Les péripéties ont beau se multiplier, les faux semblants s’ajouter aux palinodies, les propos équivoques, voire sibyllins, du héros surprendre et duper ses interlocuteurs, une lettre circuler créant malentendus et quiproquos, les obstacles joncher la route des amants fidèles (Romilda et Arsamène), les déguisements compliquer les situations, Xerxès passe son temps à révéler son amour, à l’avouer, à le défendre, à l’imposer contre vents et marées, avant qu’à la fin il en épouse … une autre, sa fiancée initiale (Amastre). L’opéra de Haendel constitue un long jeu de l’amour et du hasard, fiévreux, plein de sève et de verve, à l’invention mélodique constante. Les règles de l’opéra séria sont bouleversées devant ce déchainement ouvertement baroque, intensément mouvementé, et qui renouvelait le genre vieillissant. Une cinquantaine d’airs brefs, sans reprise da capo, constitue le tissu lyrique d’une partition où les registres (élégiaque, comique, tragique, semi épique, martial, burlesque) surgissent avec une forte dose d’humour qui a pu déconcerter les contemporains. Honnêtement, le sort des héros ne nous intéresse guère pas plus que la dimension politique de l’œuvre et une version concert doit surtout nous séduire par la virtuosité et l’esprit des interprètes, prêts à servir cet étourdissant imbroglio. L’équipe de chanteurs et de musiciens réunie (I Pomo d’Oro et son chef Maxim Emelyanychev) mérite l’ovation qui a salué leur performance. Les chœurs, eux, ont échappé à ce concert de louanges, puisque nous avons entendu ce soir un opéra où les (brefs) ensembles choraux sont coupés ! Mais cela peut affecter les puristes, pas les spectateurs conquis. On sort du concert le cœur sur un petit nuage, d’autant que la musique et le chant sont portés par une mise en espace, un jeu entre les personnages, un investissement théâtral qui donnent tout son relief et sa vitalité à une intrigue très embrouillée.

Au premier rang des méritants, évidemment, le Serse de Franco Fagioli, défenseur ardent de l’œuvre (l’enregistrement vient de paraitre) et de Haendel (on se souvient d’un CD fameux d’airs du compositeur ou d’un hommage à Caffarelli créateur de l’œuvre). L’opéra, on le sait, s’ouvre par l’ariette célébrissime Ombra mai fu/ di vegetabilie /cara ed amabile /soave piu / Jamais ombre d’un végétal ne fut plus tendrement chérie. Dans le contexte de l’œuvre, la dimension ironique de cet aveu au platane adoré ne fait guère de doute. Franco Fagioli a bien raison de le chanter avec dans la passion ce rien de componction, cette touche d’affectation, seuls capables de rendre à ce larghetto sa vraie dimension quasi parodique. Et Fagioli va déployer tout son art de la caractérisation pour dessiner un Serse vibrant mais ridicule dans sa recherche passionnée, frénétique, de l’amour jusqu’à un Crude furie degli orridi abissi final proprement étourdissant de virtuosité avec ses graves abyssaux et ses montées vers l’aigu vertigineuses. Qu’après un enchainement d’airs incroyablement variés, dont un fringant et contrasté Se bramate d'amar chi vi sdegna ou un Piu que penso alle fiamme énamouré et finement virtuose, Franco Fagioli ait encore l’énergie et l’humour nécessaires pour éblouir ainsi relève non du phénoménal, mais de l’art le plus abouti, dont les couleurs de la voix ne sont pas la moindre caractéristique. Son Serse apparait in fine possédé par une folie qui n’a rien de passagère et on doute que l’amour retrouvé pour la pauvre Amastre résiste au mouvement perpétuel d’humeurs changeantes qui caractérise le héros baroque. Il faut ajouter que les mimiques, les œillades, les déplacements, les jeux du corps du contreténor argentin pendant les airs ou pendant que ses partenaires chantent font beaucoup pour donner à l’ensemble du concert sa vie et sa dynamique. A l’excès, se plaindront les esprits chagrins ? Nullement. Ce parti pris reste fidèle à l’esprit de l’œuvre et confirme l’extraordinaire talent d’artiste de Franco Fagioli, musicien, chanteur, acteur comme il y en a peu. Une ovation finale amplement méritée salue la performance.

Dans le rôle plus introverti du frère banni, Vivica Genaux met une vive sensibilité, une mélancolie, mais aussi une fièvre qui font d’Arsamène un personnage touchant, pendant sublime d’un Serse ridicule. Non so, se sia la speme le dépeint ainsi comme un être souffrant, loin de la déraison fantasque d’un frère despotique : l’intensité du sentiment est marqué par un accompagnement orchestral d’une profonde simplicité, la lenteur du rythme et la noblesse d’un chant habité par le désespoir. Cette page est une de celles où le génie expressif de Haendel se hisse au plus haut et remercions Vivica Genaux d’en avoir exprimé avec intensité et dignité toute la beauté. Le Si, la voglio et l’ottero confirme les qualités techniques de la mezzo soprano dont les vocalises et les graves sont toujours au service du sentiment. Il convient de saluer encore la présence scénique de l'artiste, fine comédienne.

Inga Kalna est la belle et sensible Romilda aimée des deux frères. La soprano ne nous avait pas entièrement convaincus en clôture de saison 2018 au Capitole dans la Vitellia de la Clémence de Titus. La voici dans un rôle moins dramatiquement engagé, plus tendre quoique déterminée à défendre son amour pour Arsamène. L’autorité du personnage, sa fidélité s’expriment dans des aigus glorieux et son amour se pare de pianissimi délicats. Ainsi le douloureux E'gelosia quella tiranna fait-il basculer cette intrigue hybride dans la tragédie la plus pure, après qu’ un Se l'idol moi a fait valoir une virtuosité bien conduite et la souplesse d’une voix ductile, exempte de dureté.

La jeune et piquante soprano Francesca Aspromonte prête sa voix à Atalante, la sœur de Romilda, comme elle éprise d’Arsamène. Ce rôle de comédie d’intrigante jalouse convient à son tempérament ardent, à son humour très second degré, à son espièglerie qui ravissent dans l’enjoué Un cenno eggiadretto chanté d’une voix exquise et pure, avec les fusées et les éclats délicats que la musique suggère. Le jeu mutin avec la flûte puis le clavecin complète ce délicieux portrait. La même grâce habite le subtil Voi mi dite che non l’ami. Cette soprano raffinée, technicienne hors pair, vient d’enregistrer avec la même formation II Pomo d’Oro un album de Prologues d’opéras signés Monteverdi, Cavalli, Landi, Rossi, Scarlatti tout à fait remarquable. L’entendre en live est un vrai régal et on peut lui prédire une carrière magnifique.

Amastre, fiancée du héros travestie en homme, a ce soir la voix chaude et veloutée, de Marianna Pizzolato, qui fut il y a peu une maitresse femme assumée dans l’Italienne à Alger au Capitole. Dans un rôle moins brillant, elle parvient à faire vivre un personnage un peu falot, notamment dans un Sapra delle mie offese opiniâtre et vainqueur, aux vocalises décidées et aux graves de contralto. La basse superbe d’Andreas Wolf fait regretter la modestie de son rôle, car chacune de ses inteventions est marquée par la prestance et l’assurance. Biagio Pizzuti en Elviro joue les valets balourds avec drôlerie. La verve comique du chanteur, son exubérance constante et de bon goût, une voix de baryton solide et chaleureuse donnent au personnage une dimension théâtrale du meilleur effet.

La formation incisive et pleine de saveurs I Pomo d’oro sous la direction juvénile de Maxim Emelyanychev qui tient aussi la partie clavecin, enveloppe chaque chanteur du climat affectif, souriant ou élégiaque, cocasse ou dramatique, que la situation appelle. Cette plasticité musicale rend pleinement justice à la richesse d’une partition étrange qui sait autant émouvoir qu’amuser. On a ici même reproché au chef russe la célérité du rythme imposé. Et en effet, ce Serse bat des records de vélocité et d’entrain. On court la poste, ne laissant guère de temps mort. Mais la musique respire, malgré le rythme effréné, plus fiévreuse qu’essoufflée. Car le jeune chef insuffle à sa formation l’énergie, la vigueur, la vibration qui s’imposent dans cet Haendel tourbillonnant et inventif. Un seul exemple suffit : le fougueux accompagnement de l’air de Serse qui conclut la première partie (II,4) s’avère en parfaite fusion avec la technique vocale, la conduite du souffle, l’énergie d’un Franco Fagioli survolté et triomphant. Loin de lectures empesées, on savoure, tous et toutes confondus dans le même remerciement, une leçon de musique et de chant qui ragaillardit.

Jean Jordy

PS. Nous retrouverons Maxim Emelyanychev à la tête de l’Orchestre du Capitole samedi 17 novembre dans la même Halle aux Grains dans un programme où l’attend moins : La Symphonie dite La Poule de Haydn , et la Symphonie Héroïque de Beethoven.

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Re: Haendel - Serse - Emelyanychev/VC - TCE et Toulouse- 10 & 11/2018

Message par Piero1809 » 09 nov. 2018, 23:13

Merci pour ce compte rendu. Je suis bien d'accord avec vous concernant le chef et l'excellent orchestre. Même chose pour les chanteuses et chanteurs.
On considère généralement que l'aria Ombra mai fu a un caractère ironique. Bien que cette interprétation soit plausible à posteriori, je ne crois pas qu'elle reflète la pensée de Haendel (pour autant qu'on puisse la deviner). La musique de cet air ne figure, à ma connaissance, dans aucun autre de ses opéras et je ne crois pas que le compositeur saxon ait eu l'intention de donner un double sens à cette musique qui est avant tout un hymne de caractère religieux. L'arbre en général a évidemment une dimension symbolique: arbre de vie, arbre de la connaissance, arbre de Jessé, indiquant la généalogie de Jesus de Nazareth et le platane en particulier est de nos jours un arbre sacré en Iran et sans doute autrefois en Perse. Ce que l'on perçoit du caractère de Haendel à Londres et en 1738, suggère qu'il ne plaisantait pas avec ces choses-là.
Cela dit cette interprétation est défendable aujourd'hui d'autant plus que cet opéra tout à fait unique (avec Agrippine et Sémélé), mélange le seria et le buffa.

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Re: Haendel - Serse - Emelyanychev/VC - TCE et Toulouse- 10 & 11/2018

Message par jeantoulouse » 10 nov. 2018, 11:12

L'intelligence musicale de Franco Fagioli réside précisément dans cet équilibre très subtil entre la passion que porte Ombra mai fu et l'excès même de ses paroles. Haendel ne traite pas cet air de façon ironique, mais sublime (au sens esthétique du terme). Et l'ironie réside , surtout dans le déroulement dramatique (théâtral) de l’œuvre, dans le décalage entre la musique et la grandiloquence des vers d'une part et le caractère volage du personnage d'autre part. D'où mon admiration pour le chanteur qui parvient finement à faire sentir les deux aspects de cet air mis en situation.

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