Verdi - Simone Boccanegra - Arrivabeni / Nucci- Marseille 10/2018

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Re: Verdi - Simone Boccanegra - Arrivabeni / Nucci- Marseille 10/2018

Message par Markossipovitch » 13 oct. 2018, 15:56

La salle n’était pleine qu’aux deux tiers d’un public âgé et souffreteux quoique relativement chaleureux ce vendredi 5 octobre à l’opéra de Marseille, pour la seconde représentation de Simon Boccanegra. C’est toujours un peu mieux qu’à la première. On s’étonne que l’opéra de la cité phocéenne ne fasse pas le plein avec cette affiche. Une star du chant à la mise en scène, un chef bien connu des lieux et une distribution très soignée méritaient sans doute mieux.

Le prologue s’ouvre sur un décor à l’ancienne de Carlo Centolavigna, masqué à demi par un tulle. Le fond de scène est une toile peinte représentant un ciel gris plein de lourds nuages, une barque est peinte tout en bas au bord du coté jardin. A jardin s’élève un pan de mur percé d’une fenêtre à meneau en ogive de style Renaissance et d’une alcôve où trône une statue de la vierge devant laquelle brûle un cierge. Quelques marches mènent à l’avant-scène. Leo Nucci respecte à peu près les indications du livret (tout en inversant les côtés), et a sans doute l’ambition de créer une atmosphère nocturne angoissante et propice au dévoilement des intentions malveillantes des protagonistes, mais l’idée du tulle, si elle est séduisante, a un défaut majeur : elle retire un tiers de la projection des chanteurs, ce qui est gênant en soi, et surtout si on veut chanter sotto voce comme le prologue s’y prête. De la part d’un chanteur devenu metteur en scène, c’est tout de même curieux, d’autant qu’il affirme dans le propos reproduit sur le programme du spectacle : « Je me considère comme un chanteur. Je comprends et connais trop bien les difficultés que rencontre le chanteur sur scène. Un metteur en scène ne peut pas faire abstraction de ces difficultés mais doit les prendre en compte dans la mesure où nous ne faisons pas ici un théâtre comme les autres : nous faisons le théâtre d’opéra. »

Les costumes d’Artemio Cabassi sont très nombreux, riches d’étoffes et de couleurs, parfois presque trop (le costume du doge lors du conseil, une grande robe blanc cassé rehaussée de beaux motifs dorés et une toque ornée de pierreries évoquant Boris Godunov plus que le premier magistrat des Génois), parfois contrastés (robe orangée de Paolo en contraste avec le ton violacé du pourpoint, gants violets de Fiesco avec une toge noire aux manches bordeaux) ou juste simples (les robes rouges unies des membres du conseil avec leur toque haute de même couleur, les capes noires des plébéiens, costume bleu de Paolo au premier acte, avec toque peu seyante, les capuches pointues des plébéiens), certains somptueux (robe anthracite du doge aux superbes moirures, robe rouge damassée de dorures pour Amelia). Comme les décors, ils mêlent un peu les références au Moyen Age et à la Renaissance, dans un souci de relative intemporalité, ce que le montre l’utilisation de longues épées par les membres du conseil, qui seraient plus à leur place dans un tournoi, tandis que certains sbires ressemblent plus à des soldats romains voire égyptiens.

Néanmoins le spectacle est sur de bons rails, lancé par le cauteleux Paolo d’Alexandre Duhamel et par le noir Pietro du baryton-basse Cyril Rovery, auxquels les chœurs portant flambeaux, préparés par Emmenuel Trenque, offrent une réplique d’une très haute tenue, homogène et précise. Les basses sont magnifiques et la très difficile phrase "la bella prigioniera, la misera Maria" prise accelerando en remontre même à ceux de la Scala sous la baguette d'Abbado, rien moins! La projection d’Alexandre Duhamel lui permet de se départir assez aisément du piège du tulle, la noirceur du timbre de Cyril Rovery lui offrant une réplique très efficace quoique peu discrète.

L’entrée du Fiesco de Nicolas Courjal est un moment fort qui succède à cette noire scène de comploteurs. La basse française émeut par un dosage savant des couleurs, un phrasé très personnel, ne laissant aucune place aux accents routiniers. Ses graves abyssaux et ses aigus fulgurants dressent le portrait d’un homme prostré, tendu par le dépit et le deuil. Il reste que son vibrato très personnel et son médium relativement clair ne conviennent peut-être pas autant à Fiesco qu’à d’autres personnages qu’il incarne par ailleurs.

La confrontation attendue avec le Simon de Juan Jesus Rodriguez est saisissante, malgré le tulle qui toujours les nimbe d’ouate. Le baryton espagnol émerveille dès les premiers mots : sa diction est cristalline, son intonation sans faille. Le timbre est beau, sombre, dense et moelleux, d’une magnifique patine, l’émission souple et variée, souvent mixée, le souffle intarissable. Tout cela lui permet de ciseler un phrasé plein de contrastes et toujours maîtrisé, sur le souffle, l’archet à la corde. C’est une leçon de chant à laquelle nous assistons, et qui ne trouvera de fin que par la mort du protagoniste. Un tel baryton Verdi est rarissime aujourd’hui, et il est incroyable que les plus grandes maisons ne s’arrachent pas cet artiste exceptionnel. L’acteur est émouvant par l’incarnation d’un personnage troublé et humain, toujours taraudé par le doute, poussé à la vengeance par ses pulsions mais se maîtrisant toujours par la réflexion et par une sorte d’appel quasi mystique de la fraternité humaine. Juan Jesus Rodriguez nous offre ainsi un portrait du doge d’une complexité sans égale, et vocalement délicieux. Il faut remonter sans doute à Lawrence Tibbett et Renato Bruson pour retrouver une incarnation aussi pertinente et touchante de cette grande figure verdienne. Notons que la chevelure léonine dont il est affublé, rappelant celle de Gregory Kunde, lui offre un surcroît de majesté que son allure à la ville ne lui permettrait peut-être pas. Le costume du doge lui sied et en pesant sur ses épaules lui donne un poids moral et dramatique supplémentaire, comme un supplément d’âme.

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Photo© Christian Dresse

Le prologue se termine de façon heureuse car l’idée de Nucci, si elle nous a privés d’une partie du plaisir des voix, trouve son intérêt quand Simon se retrouve à l’avant-scène lors de la proclamation de son élection, tandis que tous les autres protagonistes sont derrière le tulle. La solitude morale de Simon se trouve alors symbolisée par une idée de mise en scène. Dommage qu’il n’y en ait pas beaucoup d’autres par la suite. Nucci affirme dans son propos liminaire que son objectif est que le public se dise : « nous n’avons pas vu la mise en scène ». C’est hélas un peu trop vrai sur l’ensemble de la représentation.

Simon se retrouve seul donc à l’avant-scène, quand il prend conscience de la mort de sa chère Maria, et que tombe la nouvelle de son élection, frappée du sceau de l’ironie du sort. Le rideau tombe sur un nouveau doge abasourdi.

Il se relève au premier acte sur un décor vraiment surprenant. En lieu et place de la mer, toujours la même toile peinte en fond. Trois cadres gris en enfilade, rehaussés de pietra serena florentine, mais d’apparence très « carton-pâte » ne servent pas à grand-chose d’autre qu’à réduire toujours l’impact des voix (phénomène sensible, car absent quand on ajoute des parois entre les cadres comme au dernier acte). L’essentiel de l’espace est organisé par un simili jardin à la française en troènes parallélépipédiques de plastique vert. Deux bancs de pierre sont symétriquement posés à cour et jardin. On imagine que tout cela est censé symboliser l’entrelacs des passions et intrigues mais outre un air de déjà vu, il présente le défaut d’être en partie déconnecté de l’action : on ne voit pas la mer que la musique évoque, et l’ambiance s’en ressent d’autant plus que les lumières crues de Claudio Schmid qui succèdent à l’épisode sombre du prologue sont en contradiction flagrante avec le livret, Amelia chantant l’heure obscure de l’aube et des astres qui sourient… Cependant il faut admettre que ce décor permet un étagement utile des plans, ce qui a pour résultats de permettre que les protagonistes puissent s’observer, se voir sans être vus, ce qui se révèle fort utile, les entrées inopinées des protagonistes étant la marque des sources encombrantes du livret que l’inénarrable Gutierrez fait payer aux librettistes.

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Photo© Christian Dresse

L’Amelia de la soprano russe Olesya Golovneva ne manque pas de charme physique. La voix possède un timbre assez sombre et lumineux, et ne manque pas de puissance une fois chauffée, sa projection se révélant excellente. Mais son grave anémié est un problème : à la fois sourd et péniblement poitriné, émis trop bas, il déséquilibre la voix autant qu’il agresse l’oreille, devenant presque un râle, et dans l’ensemble on a l’impression d’une voix en surpression, ce qui n’est guère sain. Son tempérament en fait une Amelia pleine de feu et de tendresse, très en situation dramatiquement, mais est-elle le « grand lirico » que le rôle demande? Ce n’est pas certain. Son « Come in quest’ora bruna » manque de délié et de poésie.

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Photo© Christian Dresse

Son prétendant, Riccardo Massi, est son exact opposé : assez pataud en scène, ce n’est guère un acteur de primo cartello, surtout qu’il est affublé d’un calot bleu du plus mauvais effet au premier acte (d’ailleurs ce genre de couvre-chef ridiculiserait n’importe quel ténor, aussi élégant soit-il naturellement, les metteurs en scène devraient s’en rendre compte…) en harmonie avec son premier costume. La voix par contre est totalement maîtrisée, et même un peu trop. Son articulation dans le haut de la tessiture est un modèle, il colore joliment, grâce à une grande souplesse d’émission, mais finalement il manque de charisme vocal du fait d’une quasi absence de métal. A trop vouloir se ménager, il en arrive à manquer d’éclat, le slancio verdien lui étant assez étranger. Les scènes d’amour comme de désespoir du ténor étant assez convenues dans cet opéra, surtout si la mise en scène ne fait pas montre d’une inventivité débordante, il ne passionne pas l’auditeur, mais il le satisfait cependant, grâce à une belle gestion du souffle. Le tout fait plus penser à un ténor donizettien qu’à un vrai verdien, qui réclame plus de feu et de métal. Pourtant, il ira crânement chercher l’ovation après son grand air « Sento avvampar nell’anima», et obtiendra ce qu’un public fort passif n’avait pas accordé à Nicolas Courjal au prologue.

Les voix des tourtereaux, toutes différentes qu’elles soient, s’accordent plutôt bien dans les nombreux scènes et duos qui leur sont dévolus. L’arrivée de Fiesco apporte le baume attendu du « Vieni a me, ti benedico », tandis que l’émission haute de Massi permet à leur duo d’évoluer vers les cimes d’une apaisante religiosité, alors qu’à la scène suivante, face au doge, le Paolo d’Alexandre Duhamel projette avec une étonnante facilité les quelques mots qui trahissent son désir pour Amelia, bien qu’il soit en fond de scène.

Le duo entre Amelia et Simon permet à Juan Jesus Rodriguez de composer son personnage calme et schizophrène à la fois, tiraillé entre les nécessités politiques impliquant la sanction ou la vengeance et un appel mystérieux mais irrésistible du pardon. La douceur de ses intentions se traduit dans ce timbre de miel et cette émission veloutée, qui comblent l’auditeur. La révélation de sa paternité est un moment de grâce, l’appel du ciel se révélant dans les mots (« qual se m’aprisse i cieli ») avant qu’il ne se transforme plus tard en préfiguration de la mort (« tutto favella in me d’eternita » dans l’ultime scène). C’est à un quasi processus de sanctification que nous assistons, et on n’a guère entendu avant Rodriguez un baryton qui s’élève vraiment à cet état, hormis, répétons-le, Tibbett avant-guerre, Warren peu après et Bruson plus près de nous.

Les deux scènes suivantes permettent au Paolo d’Alexandre Duhamel de s’exprimer avec plus de force que ne le lui permettaient surtout des expressions faciales lors des scènes initiales. La frustration née de ce qu’il ressent comme une ingratitude de la part de Simon le pousse à décocher ses premières flèches face à Pietro, préfigurant sa montée en puissance. Le Pietro de Rovery d’ailleurs étonne par son allure anguleuse et médiévale, de sorte qu’on le croit tout droit sorti d’une eau-forte de Jacques Callot, et qu’on en vient à se demander s’il joue un personnage ou si celui-ci est simplement vécu.

S’ensuit le tableau du conseil, dans un décor renouvelé : toujours les cadres gris, mais une carte médiévale de l’Italie tendue avec des câbles masque l’essentiel du ciel peint, un trône occupe le centre de la scène, tandis que sont disposés à cour et à jardin deux hauts pans de bois sculptés garnis de sièges pour les membres du conseil.

L’action s’emballe vite, mais Paolo Arrivabeni sait modérer les élans de son orchestre, qui au prologue comme au premier acte était apparu extrêmement velouté (mais un peu avare en couleurs), et accompagner l’action de façon admirable, sans ostentation superflue, assez loin de l’explosivité qui était la marque de Steinberg récemment. Le doge tonne, et les sous-entendus envers Paolo deviennent des menaces. Celui-ci répond avec une franchise d’émission qui fait sa marque, et quoique leurs timbres soient fort différents, Alexandre Duhamel ayant un instrument plus clair et élancé, Rodriguez plus sombre et patiné, il arrive que le timbre du plus jeune capte telle couleur et tel reflet de la voix de son aîné, comme jadis le timbre de Kirsten Flagstad captait ceux de l’orchestre de son Tristan. Moment troublant.

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Photo© Christian Dresse

L’irruption du peuple permet aux chœurs de briller à nouveau par leur homogénéité sans faille, et leur précision rythmique parfaite. Le « Plebe ! Patrizi ! Popolo!» de Rodriguez fuse, et le baryton espagnol émeut dans sa supplique de paix, jusqu’à la fugue où Massi et Golovneva prennent leur juste place, le second trille de la soprano étant plus réussi que le premier. La confrontation avec Paolo est de toute beauté : l’étau se resserre autour du félon, et les bras tendus de tous les protagonistes qui convergent vers lui pour le frapper d’opprobre forment un tableau vivant saisissant, qui referme le premier acte.

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Photo© Patrice Vivien

Alors que le premier acte se refermait sur un Paolo dans ses petits souliers, le fourbe débute le second en trombe dans le décor des appartements du doge : outre les trois cadres gris, celui-ci présente une grande table de pierre à jardin derrière laquelle trône un massif fauteuil de pierre. Un grand candélabre de pierre attire l’œil au centre.

Après un nouvel aparté de comploteurs, Alexandre Duhamel développe dans sa grande scène « Me stesso ho maledetto! » toute la palette des affects, de la rage et l’humiliation à la jubilation de la vengeance. Il s’empare de la scène et enfle sa voix comme une grand-voile, égale du grave à l’aigu dardé, projetée comme le venin qui l’anime. C’est alors qu’il verse le poison qui scelle le destin du doge.

Quand entre Fiesco, il peut enfin exprimer ses sentiments sans masque face à un autre personnage, et la jouissance de cette liberté retrouvée est traduite par le baryton français par tout un langage corporel exaltant la domination odieuse de celui qui a longtemps attendu son heure. Il humilie le Fiesco hiératique et noble de Nicolas Courjal, éprouvé par sa prise de conscience trop tardive de la vilénie de l’intrigant. Le « Tu rifiutti? » vénéneux et délicat de Paolo est une merveille de caractérisation vocale, avant qu’il congédie le patricien déchu qui a refusé son offre d’assassinat de Simon, et qu’il manipule ensuite Gabriele plus aisément.

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Photo© Christian Dresse

Celui-ci se transcende alors quelque peu et livre un « Sento avvampar » assez lumineux, qui ravit le public. Retrouvant Amelia, il bénéficie de l’ardeur de sa collègue russe, dont l’organe maintenant chauffé atteint une capacité de projection impressionnante, et leur duo se hisse aux mêmes hauteurs dramatiques que la scène entre le baryton et de la basse.

Quand arrive Simon, l’arc dramatique tendu par le maestro Arrivabeni atteint son sommet, et les révélations généalogiques auront un impact considérable. Car après une courte scène avec sa fille, qui le voit plier sous ses suppliques, au cours du monologue émouvant durant lequel il boit le poison, Juan Jesus Rodriguez délivre une nouvelle leçon de chant, excellant à distiller l’émotion au travers d’accents délicats posés sur le souffle, et après que Gabriele eut échoué à l’assassiner, la scène quasi religieuse avec Gabriele et Amelia mène à un trio magnifié par la haute émission du ténor et la ferveur des deux autres protagonistes, à l’acmé de la tension dramatique construite de façon progressive par le chef d’orchestre, retenant sa phalange depuis bien longtemps et la laissant maintenant s’épancher de façon grandiose. Simon, une fois encore taraudé par l’appel de la clémence, offre à Gabriele outre son pardon, une chance de se racheter à l’arrivée des Liguriens en révolte. Cette fin d’acte marque un degré de plus dans le drame, avant que la dernière partie nous livre sa tragique conclusion.

Le dernier acte s’ouvre sur un décor qui évolue une dernière fois. Nous sommes à nouveau à l’intérieur du palais ducal, et on retrouve un pan de mur à jardin. Au fond, à jardin, un bateau à voile en quasi ombre chinoise, qui évoque sans doute en filigrane l’ombre embarrassante de Strehler. Au centre une bite d’amarrage. Un grand lion de pierre sculptée se présente de trois-quarts à cour devant un escalier.
C’est sur un rythme tendu que le troisième acte reprend l’action où elle l’avait laissée. Les troupes du doge chantent leur victoire et le capitaine apprend à Fiesco qu’il est libre. On amène Paolo en chemise, les pieds nus et enchaîné entre des sbires.

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Photo© Christian Dresse

Dans une phrase sublime (« il mio demonio mi caccio ») il avoue que son démon l’a poussé à prendre les armes aux côtés des rebelles et que l’échafaud l’attend. Par une messa di voce splendide, Alexandre Duhamel colore de fiel l’aveu du courtisan qui apprend à Fiesco la perte annoncée du doge. Et c’est avec une mezza voce d’outre-tombe qu’il suppose le destin de Simon peut-être déjà accompli. Alors que résonne en contraste le chant nuptial, il avoue encore l’enlèvement d’Amelia, dans l’espoir de pousser Fiesco à lui éviter le supplice en l’exécutant. Peine perdue. C’est avec une grande sobriété qu’il délivre les derniers « Orror » qui le séparent de sa fin, alors que retentit aux cordes une terrible phrase. Et il disparaît, laissant une impression des plus fortes sur le spectateur.

Fiesco se cache pour sa dernière confrontation avec le doge, qui ressent les premiers effets du poison, après avoir interdit dans un geste magnanime qu’on fête la mort des ennemis.

De sinistres accords aux cordes retentissent, accompagnés de cuivres annonciateurs de mort. Simon, oppressé, appelle la fraîcheur réparatrice de la brise marine. Dans un legato de rêve, Juan Jesus Rodriguez caresse ces phrases enchanteresses, avant que Fiesco ne dévoile sa présence dans une volonté farouche de vengeance. C’est une apparition spectrale où Nicolas Courjal fait une magistrale impression (« I morti ti salutano! »). La douceur des inflexions de Rodriguez répond aux sèches et violentes invectives de Courjal, dans un contraste saisissant. Quand Fiesco apprend la vérité sur Amelia, l’émotion le courbe avec grandeur, et Nicolas Courjal la traduit avec une voix qui semble s’éteindre (« perché mi splende il ver si tardi ? »), les rythmes syncopés des cordes imitant les larmes du patricien, quand Simon répète « Tu piangi ? ». Le « Piango » de Fiesco, si différent de celui de Germont auquel il semble répondre en creux (« Piangi, o misera »), étreint le spectateur, le legato de Courjal rivalisant avec celui de Rodriguez, dont le Simon apaisé semble éprouver une véritable et douce joie libératrice, alors que le remords de Fiesco est dessiné par Courjal en de sobres et sublimes accents, quand il lui apprend le forfait du traître et sa fin proche. Dans une inspiration élevée, Simon demande à Fiesco de ne rien dire à sa fille pour qu’il puisse l’étreindre une dernière fois avant de rendre l’âme. Ce troisième acte s'élève au-dessus de bien des références discographiques.

Amelia et Gabriele arrivent en costumes blancs de noces, et Simon révèle à Amelia que Fiesco est son aïeul. C’est une véritable assomption de Simon qui clôt l’œuvre, tant la compassion l’a guidé vers les cimes, et sa prière est dirigée vers la protection du jeune couple, sur un tapis de cordes scintillant telles des étoiles, avant qu’il expire noblement en désignant en Adorno son successeur, Fiesco offrant un contrepoint sans espoir.

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Photo© Christian Dresse

Quand le rideau se baisse, on savoure la chance que l’on a eue de profiter d’un spectacle digne des plus hauts lieux de l’opéra. Il nous a permis de nous faire une idée plus juste et plus complète de l’œuvre, ce qui n’est pas un mince compliment. L’ONP fera-t-il aussi bien en novembre ? Ce ne sera pas aisé. Un grand bravo à Maurice Xiberras, qui élève l’Opéra municipal de Marseille au-dessus de nombre de maisons mieux dotées financièrement.

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