Ce n’est pas l’opéra le plus connu de Puccini et c’est pourtant l’un de ses meilleurs, sur le plan du livret comme celui de la musique et il dresse un splendide portrait de femme libre et décidée, qui sauvera son bandit bien-aimé de ses démons intérieurs, de la menace du shérif (en le jouant aux cartes) et de la hargne des orpailleurs prêts à le lyncher. Fin heureuse et rare...
La mise en scène de Del Monaco est une petite merveille que j’ai personnellement trouvé largement supérieure à celle de Marelli à Vienne (qui a donné lieu à un DVD).
Sans complaisance particulière, elle met en scène scrupuleusement les évolutions de l’histoire, les décors sont très réussis et très réalistes, sans donner pour autant dans le cliché propret du western trop léché. On est davantage dans le western Leonien que dans la grande tradition Fordienne. Les couleurs sont sombres, les costumes austères, on sent qu’ils ont été beaucoup portés, le saloon est sombre et poussiéreux, la chaumière de Minnie est simple et rustique, confort minimum, Dick Johnson arrive à cheval (sans trucage
), la « rue » avec ses trottoirs de lattes de bois inégales et ses grandes bâtisses bancales est encombrée de meubles défoncés ou cassés. C’est du réalisme vraiment réaliste et sans fioritures. Et ça marche très bien….
Musicalement c’est du très beau Puccini, très varié musicalement, avec peu de grands airs mais beaucoup de sollicitations « héroïques » pour les artistes. Il faut une soprano plutôt, dramatique, un ténor lyrico-spinto capable de tenir des aigus « forte » tout en étant très sollicité dans le grave et le medium, et un baryton également rompu à l’opéra vériste avec ses caractéristiques.
Photo MET
De ce côté-là au MET nous étions assez généreusement servis, avec une mention spéciale à
Jonas Kaufmann, qui allie un chant irréprochable, risque et réussit de fabuleuses nuances et des changements de couleurs de tout beauté, à un jeu scénique très convaincant en bandit de grand chemin pas vraiment méchant et très, très séducteur.
En très grande forme vocale depuis des mois maintenant, il confirme par ce retour triomphal au MET, sa place très particulière de ténor capable d’exceller en un très court laps de temps dans Parsifal, Siegmund, les airs d’opéras italiens, le lied allemand, et le personnage de Dick Johnson dont il est un interprète idéal.
Par rapport à sa précédente prestation à Vienne, il a mûri son personnage, l’a rendu plus sombre et moins enjoué, un Dick plus Ramerrez marqué par le destin que gentleman de Sacramento. Et cela lui réussit bien. de son arrivée au saloon, réveillant la foule un peu assoupie et créant immédiatement de l’animation, ses duos avec Minnie à l’acte 2 dans la chaumière quand il tente de la séduire (que d’acrobaties vocales maitrisées), y parvient et se découvre toute une batterie de scrupules à l’égard de cette femme autant décidée et batailleuse que naïve, et son final (ovationné après l’air pendant que l’action continuait sur le plateau), le fameux «
Ch’ella mi creda libero et lontano » qui est la prière de Dick demandant à ses bourreaux de ne pas révéler à Minnie qu’il a été exécuté, « qu’elle le croit libre », « qu’elle l’attende avec l’espoir de son retour » qui est l’une des plus belles pièces écrites par Puccini pour un ténor et l’une des plus belles déclarations d’amour de l’opéra.
Pour
Kaufmann, le retour au MET était un peu un challenge puisqu’après en avoir été l’enfant chéri, il avait fait douter le public en annulant une série de performances de Manon Lescaut, une nouvelle production montée pour lui, puis faute d’un accord avec la direction du MET, il disparaissait de l’affiche d’une nouvelle production de Tosca l’an dernier.
Retour gagnant avec ces quatre représentations durant lesquelles les critiques un peu dubitatives puis plus positives puis enthousiastes sont allées crescendo tout comme d’ailleurs l’accueil du public carrément délirant pour cette dernière.
Eva Marie Westbroek a déclaré adoré le personnage et honnêtement, elle le rend très très crédible, lui offrant une interprétation splendide. La caméra de la retransmission scrute les expressions faciales des artistes en permanence et le jeu de la belle soprano hollandaise est aussi impressionnant que celui de n’importe quelle actrice de cinéma de talent. Les évolutions de ses états d’âme, les facettes de son caractère, ses hésitations face à la trahison de Ramerrez et la manière dont elle affronte le shériff (une partie de poker littéralement ahurissante de justesse entre les deux protagonistes pendant que Johnson git au sol blessé) puis la foule des hommes qu’elle va menacer et séduire tour à tour pour arracher leur reddition.
Du coup devant autant d’abattage, on oublie que ses aigus sont parfois à la limite du craquage et qu’elle force souvent sa voix pour passer les parties les plus difficiles de sa partition. Mais comme, pour finir, elle y arrive, même si sa voix est moins adéquate que celle de Nina Stemme dans le même rôle, elle emporte l’adhésion par son formidable engagement.
Ce n’est qu’au beau milieu du deuxième acte que j’ai réalisé qu’avec la présence de
Zeljko Lucic en Jack Rance, nous avions les trois mêmes protagonistes que pour le fameux Andrea Chénier de Londres (2015). Le baryton a de réelles qualités tant dans le chant que dans le jeu, son shérif est massif et impitoyable dans sa haine du « bandit » qui lui ravit le cœur de Minnie, il complète très avantageusement la distribution des rôles principaux même s’il lui manque parfois un tout petit peu de charisme, il est bien meilleur dans Puccini et le vérisme que dans Verdi (Rigoletto ou Germont père).
On notera un excellent Sonora de
Michael Todd Simpson qui « sort » du lot, et un très amusant Nick de
Carlo Bosi (le seul italien …), des chœurs d’hommes magnifiques surtout au final, et un orchestre très bien dirigé par Armiliato qui accompagne les chanteurs en permanence dans ces déferlements musicaux très « imagés » au style parfois heurté, qui illustrent pas à pas l’histoire et les situations.
On ne peut que regretter au cours de ces retransmissions que la longueur des entractes allonge à ce point le temps global de l'opéra même si on peut profiter des l'installation presque artisanale des décors et de quelques interviews amusantes et intéressantes.