Puccini- Butterfly-Dumoussaud / Clarac-Deloeuil- Rouen- 09/2018

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pingpangpong
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Puccini- Butterfly-Dumoussaud / Clarac-Deloeuil- Rouen- 09/2018

Message par pingpangpong » 26 sept. 2018, 14:38

Butterfly, itinéraire d'une jeune femme désorientée, objet musical créatif en 3 actes d'après Madama Butterfly de G.Puccini
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
Création à la Scala de Milan le 17 février 1904

Direction musicale PierreDumoussaud
Mise en scène, scénographie,costumes Clarac-Deloeuil > le lab
Lumières Rick Martin
Vidéo Jean-Baptiste Beis
Collaboration artistique Lodie Kardouss
Collaboration à la scénographie Christophe Pitoiset

Cio-Cio-San Camille Schnoor
Suzuki Marion Lebègue
Pinkerton Georgy Vasiliev
Sharpless Armando Noguera
Goro Raphaël Brémard
Yamadori et le Commissaire impérial Victor Sicard
Le Bonze Thomas Dear

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie
Coproduction Opéra de Limoges, Opéra de Rouen Normandie


Le programme annonçant “Butterfly, itinéraire d'une jeune femme désorientée, objet musical créatif en 3 actes d'après Madama Butterfly de G.Puccini“, et qui explique peut-être les nombreuses places libres en cette soirée de première, a le mérite d'annoncer la couleur, bien qu'en aucune manière la partition de Puccini n'ait eu à subir de tripatouillage, ce dont d'autres metteurs en scène bien moins scrupuleux ne se privent pas, laissant plus d'un spectateur sur le carreau. Seul le mot Nakodo, qui signifie intermédiaire, appliqué à Goro, est-il remplacé ici par le mot “coursier “.
Le dispositif, habile, permet de suivre une action qui, en l'occurrence, ne l'est pas moins, ce qui n'empêche pas une certaine froideur d'imprégner un ensemble où l'émotion est malmenée, les costumes de notre époque, bien qu'à la dernière mode, n'étant guère seyants de surcroît.

Au 1er acte, deux actions parallèles se juxtaposent : scéniquement, celle strictement prévue par le livret, se déroulant à Nagasaki dont on peut apercevoir brièvement la baie ; sur un écran occupant tout le cadre de scène que seule coupe, car suspendue, la maison acquise par Pinkerton, l'histoire filmée d'une jeune fille d'aujourd'hui, une jeune rouennaise, (à Limoges, ville coproductrice, il s'agissait d'une limougeaude), errant à travers les lieux emblématiques de la ville de Rouen ( l'opéra lui-même, le musée d'histoire naturelle et ses pièces d'art asiatique, la boutique d'estampes de la rue Saint Romain, le port de commerce...), et se prenant de passion pour l'opéra de Puccini, Madame Butterfly, qu'elle écoute en balade, au point de s'identifier à une héroïne pourtant parmi les plus tragiques du monde lyrique. La vie de Cio-Cio-San, avant même que l'action proprement dite ne débute, n'a absolument rien d'enviable, faite de pauvreté et de déshonneur. Tosca vit un amour passionné et partagé ; Carmen est une femme libre jusqu'à la fin; et Isolde transcende la mort en une extase sublime. Pour Cio-Cio-San rien de glorieux, pas même sa mort, abandonnée de tous, n'ayant vécu que dans le rejet, la solitude et les faux espoirs.
Ce choix étrange résulte visiblement, pour notre “héroïne“, de sa rencontre avec un marin venu manger des sushis dans le restaurant où elle est employée, restaurant tenu par celui qui jouera le rôle de Yamadori à l'acte II. La vidéo est donc ici un élément décisif du déroulement des évènements qui nous sont exposés en complément de ceux du livret. Ce qui oblige le spectateur a une gymnastique visuelle assez épuisante, surtout pour celui qui ne maîtrise pas forcément l'histoire d'origine.
Effectuant la métamorphose inverse de celle qu'elle admire, la jeune fille va s'orientalisant, se “Cio-Cio-Sanisant“ même, ses tenues vestimentaires ou la décoration de son modeste appartement (gadgets, poster...) en faisant foi lorsque le rideau s'ouvre sur la seconde partie du spectacle.
Les images projetées sont alors des planches de bande-dessinée. Moins mouvantes, et plus illustratives que narratives, elles permettent au spectateur de se concentrer sur l'action proprement dite qui se déroule essentiellement dans l'appartement, lui aussi suspendu au centre du cadre de scène, les musiciens d'orchestre et le chef, tous en veste de kimono, ayant pris place dessous.

Et c'est dans cette seconde partie que le bât blesse, car tout semble alors tiré par les cheveux.
Visiblement pour ne pas froisser Butterfly, Sharpless joue le jeu, affecté qu'il est par la fragilité psychologique de la jeune fille; mais comment alors expliquer que Suzuki, qui est une amie, puis Goro, entrent dans ce jeu de dupes ? Le plus rédhibitoire reste le sort réservé à l'enfant, puisque c'est sous l'aspect d'un robot (dernier cri) qu'il nous est présenté par une Butterfly effectivement désorientée lorsqu'elle évoque ses boucles blondes ou qu'elle lui dit d'aller jouer. Les dialogues entre les personnages, hors la jeune fille, sonnent forcément faux. La fausse Suzuki affirmant au marin de retour : “Elle a attendu toute la nuit avec l’enfant.“, ou la pseudo-Kate déclarant :“ Je le considérerai comme mon fils.“, ne semblent guère mentalement plus équilibrées.
On ne retombe partiellement sur nos pieds que lorsque Kate se présente à la jeune femme, la réalité rejoignant la fiction de manière cruelle, la jeune amoureuse déchue se tailladant finalement les veines sous sa douche.
Moralité : l'amour de l'opéra peut faire perdre la raison.

En cette soirée du 25 septembre, par un mystérieux caprice technologique, le robot, couché sur la table basse de l'appartement, a du connaître un grand moment de solitude durant le prélude à l'acte III. Lui qui était censé se lever et effectuer une chorégraphie de son cru, n'a pas fonctionné correctement, se contentant de contorsions bien énigmatiques à qui n'a pas vu la production filmée à Limoges et encore visible sur Culturebox.

Musicalement, la malchance a voulu également que le ténor Georgy Vasiliev soit annoncé souffrant . Assurant tout de même une prestation digne et pleine de bonne volonté, il a su nous toucher malgré une voix limitée dans les aigus cherchant à s'échapper à tous moments.
C.Schnoor est une Butterfly qui, même sans le “madame“ d'usage, a tout d'une grande. Elle incarne l'héroïne puccinienne avec fragilité, candeur et conviction, tout cela passant également dans une belle et puissante voix conduite avec beaucoup de sensibilité expressive.
La Suzuki de Marion Lebègue est au diapason et Armando Noguera toujours juste et soigné dans son incarnation tant vocale que dramatique, les autres rôles n'appelant aucune réserve, excepté peut-être le chœur Accentus, peu sonore et irréel dans le célèbre chœur à bouche fermée.
Enfin, puisqu'il ne saurait y avoir de Madame Butterfly sans un orchestre au parfum japonisant voulu par le compositeur, saluons la direction fiévreuse de Pierre Dumoussaud et la belle tenue de l'orchestre de l'opéra de Rouen Normandie.
Pour les photos, je vous renvoie à celles de la production donnée à Limoges en mars 2018 via ce lien http://www.odb-opera.com/viewtopic.php ... es#p341789

E.Gibert
Enfin elle avait fini ; nous poussâmes un gros soupir d'applaudissements !
Jules Renard

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