Massenet – Thaïs VC – Fournillier – Domingo – Jaho – Peralada 29/07/2018

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jeantoulouse
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Massenet – Thaïs VC – Fournillier – Domingo – Jaho – Peralada 29/07/2018

Message par jeantoulouse » 30 juil. 2018, 11:47

Thaïs Massenet version concert

Direction musicale Patrick Fournillier
Chef des Chœurs Andrés Máspero
Chœurs et Orchestre résidents du Teatro Real

Athanaël: Plácido Domingo
Nicias: Michele Angelini
Palemón: Jean Teitgen
Thaïs: Ermonela Jaho
Crobyle: Elena Copons
Myrtale: Lydia Vinyes-Curtis
Albine: Marifé Nogales
La Charmeuse: Sara Blanch

Massenet, on le sait, a demandé à son librettiste Gallet un poème « d’une forme littéraire très libre, très souple, très malléable, permettant d’obtenir sans concession de part ni d’autre, sans monstruosités obligées, sans altération de texte, un accord parfait entre la musique et le poème ». Et le texte dans Thaïs est souvent beau, parfois désuet, mais non dépourvu de charme. Encore faut-il qu’on l’entende distinctement, qu’il ne soit ni couvert par un orchestre, certes somptueux, mais trop puissant, ni mâchonné ou avalé pour devenir un sabir où un français même bien connaisseur de l’œuvre ne retrouve que rarement les échos de la prose poétique originelle. Texte méconnaissable quand il est chanté par Jaho et Domingo, mais pour des raisons très différentes, voix couvertes par une musique magistralement dirigée et jouée, mais qui tient mal compte d’une acoustique propre à une salle en pleine air, tels sont les écueils majeurs d’une représentation dont les autres acteurs s’avèrent remarquables.

Louis Gallet (La Nouvelle Revue, 01 avril 1894) a fourni un parfait résumé de l’œuvre en une formule : « Le fait du cénobite chrétien concevant l'orgueil de conquérir une âme païenne et succombant dans cette lutte au démon de la luxure ; l'âpre convertisseur « vaincu par sa conquête ». L’intrigue apparait construite selon un schéma scandaleusement ironique, retrouvant ainsi l’esprit du roman d’Anatole France : la courtisane devient sainte, l’ermite éprouve les tourments de la chair et du désir et perd sa foi. La luxure permet d’atteindre le Ciel, l’ascétisme en détourne. Cette ironie tragique apparait dans le dualité même de la musique : sensuelle, païenne, pleine de couleurs et de saveurs exotiques et de vie pour les scènes d’Alexandrie ; pure, transparente, fraiche et limpide, « française » pour les scènes du désert et de la mort de l’héroïne. Patrick Fournillier est, faut-il le rappeler, un fin connaisseur de l’œuvre de Massenet. Directeur musical de la Biennale Massenet de Saint-Étienne qui remet en lumière des œuvres oubliées de Jules Massenet, il dirigeait Thaïs il y a quelques mois à Barcelone, il y a trois jours à Madrid et le dirigera encore en février prochain à Helsinki. Il obtient d’un orchestre du Teatro Réal de Madrid, plus à l’aise dans l’univers de Massenet qua dans celui de Wagner avec Kaufmann la veille, tous les effets sonores espérés et c’est une débauche maitrisée de langueurs, d’arabesques, de lignes sinueuses, de timbres chaleureux, de mystères païens d’un côté, de spiritualité, de gravité, d’élans mystiques, d’élévation spirituelle de l’autre. Le tragique, la violence, la passion, la colère qui habitent Athanaël se déchainent à maintes reprises, notamment dans l’accompagnement de l’air célèbre du baryton « Voici donc la terrible cité ». Hélas ! trois fois hélas ! la voix de Placido Domingo, qu’on le veuille ou non fatiguée, usée du grand ténor espagnol ne suit pas et l’orchestre protégé dans la conque de la scène et dès lors idéalement projeté couvre une interprétation vocale trop exposée sur le devant de la scène et dont seuls les premiers rangs sans doute peuvent profiter ( j’étais au sixième rang ! ). Si la passion, l’envie de jouer, d’interpréter, de servir la musique et l’opéra sont toujours là, intacts, peut-être plus aigus encore quand approche la fin d’une carrière exemplaire, exceptionnelle, l’instrument accuse ses failles : le souffle est plus court, des scories dans l’or du timbre, quelques grasseyements, une fatigue sensible dans l’engagement physique qu’accentue la volonté d’incarnation d’un héros torturé et qui s’épuise au combat composent un tableau héroïque sans doute, mais surtout tragique. Le choix même de Thaïs interpelle. Domingo ne cherche-t-il pas à conquérir vainement une maitresse passionnément aimée mais qui lui échappe à jamais. Athanaël – Domingo n’est-il pas celui qui a tant aimé une forme de perfection (une femme, l’opéra) et qui cherchant à la conquérir éternellement découvre son impuissance, le deuil, la perte infinie ? Foin de psychanalyse sommaire ! Il suffirait d’écrire que décidément le nouveau baryton ne parvient pas à rendre justice au beau rôle d’Athanaël et qu’à Peralada hier soir on constatait tristement les limites de cette reconversion.

Dans une somptueuse robe écarlate, chignon haut, mince, élégante, sensuelle, Ermonela Jaho incarne Thaïs et c’est musicalement splendide. Certes, le bas de la tessiture est inégalement sonore, mais la pureté de la voix – malgré un vibrato que la fatigue en fin de représentation accentue avec excès - , l’engagement de l’interprétation ( la scène de l’oasis, la mort, l’air du miroir), la beauté des pianissimi, la puissance et la netteté des notes les plus élevées, l’étendue du registre font de cette interprétation un modèle musical. Le cheminement spirituel de l’héroïne que marque le choix après l’entracte d’une robe vert d’eau superbe est rendu par un souci d’incarnation plus sobre, creusée de l'intérieur, effacée presque, comme si l’héroïne quittant l’enveloppe charnelle, devenait simplement âme, ce que la voix traduit par une sorte d’épuration, d’intériorisation, d’allègement qui n’excluent pas la passion, l’énergie spirituelle, retrouvant ainsi l’essence même de l’art de Massenet. Le dernier acte, à cet égard est de toute beauté. Mais le bât blesse ici encore par la prononciation de la langue française. Il faut souvent s’aider des sous titres espagnols et catalans pour retrouver les mots de Gallet. Renée Fleming ne faisait guère mieux et Jaho n’en peut mais. Très attentive à la ligne du chant, à sa dimension dramatique, la soprano albanaise néglige trop souvent la prononciation des consonnes et c’est bien dommage. Ce qu’elle fait est très beau, magnifique, mais le compte n’y est pas encore tout à fait. Elle finit la représentation épuisée, ayant tout donné, rayonnante d’avoir vaincu l’épreuve périlleuse de ce rôle redoutable.

Si j’excepte une Sabine dont ni la robe ni la voix ne correspondent à ceux de la prieure, le reste de la distribution s’avère exceptionnel. Le « rossinien » Michele Angelini fait valoir une voix splendide, un timbre solaire, une prononciation du français exemplaire, le charme, l’aisance, la puissance et le phrasé, l’élégance musicale, la souplesse, le souffle qui font de Nicias ce soir un personnage passionnant dont on comprend qu’il ait pu séduire Thais. Pour nous une révélation, même si ses prestations dans Rossini ou Mozart ont déjà construit une solide réputation, mais encore insuffisante eu égard à ses qualités. Il faudra très vite se déplacer pour suivre ce jeune ténor : il est de ceux, dans la lignée d’un Florez, qui font les plus grands. Jean Teitgen est le plus beau des Palemon, noble, profond, puissant, et d’une qualité d’articulation et de projection magnifiques, qui font hélas et bien malgré lui plus ressortir encore les manques de son illustre compagnon de scène. Elena Copon et Lydia Vinyes-Curtis composent un très pittoresque duo de charme et de musicalité auquel la toute jeune Sara Blanch ajoute la virtuosité d’un soprano encore un peu vert, mais prometteur.
Le premier violon de l’Orchestre du Teatro Real de Madrid, Vesselin Demirev offre, voix entre les voix, une Méditation sobre et profonde justement applaudie.

De même que l’opéra de Massenet se construit tout entier sur la dualité, de même les émotions se révèlent partagées. Somptuosité de l’orchestre, clarté et force de la direction musicale, mais un équilibre mal ajusté entre la masse des instruments et les chanteurs. Splendide plateau vocal mais un Domingo fatigué et mal audible et une prononciation perfectible dans la Thaïs d’exception de Jaho.
Et comme toujours à Peralada, qualité de l’accueil, respect des spectateurs par une information précise, ponctualité font du festival un rendez vous très couru.

JJ

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Re: Massenet – Thaïs VC – Fournillier – Domingo – Jaho – Peralada 29/07/2018

Message par paco » 30 juil. 2018, 12:26

jeantoulouse a écrit :
30 juil. 2018, 11:47
Domingo ne cherche-t-il pas à conquérir vainement une maitresse passionnément aimée mais qui lui échappe à jamais. Athanaël – Domingo n’est-il pas celui qui a tant aimé une forme de perfection (une femme, l’opéra) et qui cherchant à la conquérir éternellement découvre son impuissance, le deuil, la perte infinie ?
C'est joli, ça :wink:

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Re: Massenet – Thaïs VC – Fournillier – Domingo – Jaho – Peralada 29/07/2018

Message par jeantoulouse » 30 juil. 2018, 14:31

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Crédit Toti Ferrer. Festival Peralada

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Re: Massenet – Thaïs VC – Fournillier – Domingo – Jaho – Peralada 29/07/2018

Message par philopera » 31 juil. 2018, 16:38

Merci jeantoulouse pour ce très beau compte rendu de la soirée
Je suis heureux de savoir que Jaho a triomphé dans ce rôle rôle malgré ses imperfections vocales et pas surpris du plantage de Domingo (hélas)
A quand Thaïs à Paris ? j'en rêve ...
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( Eric Dahan Libération 25/06/2005)

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Re: Massenet – Thaïs VC – Fournillier – Domingo – Jaho – Peralada 29/07/2018

Message par Markossipovitch » 31 juil. 2018, 16:54

Oui, c'est le MET qui dernièrement a le mieux rendu hommage à cette magnifique partition avec Ailyn Perez et Gerald Finley et Jean-François Borras sous la baguette de Vuillaume. L'ONP croit-il l'oeuvre indigne de son prestige?

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