Lieder et mélodies françaises - Ludovic Tézier/Thuy Anh Vuong - ONR - 30/06/2018

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Piero1809
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Lieder et mélodies françaises - Ludovic Tézier/Thuy Anh Vuong - ONR - 30/06/2018

Message par Piero1809 » 02 juil. 2018, 08:01

Ludovic Tézier, Baryton
Thuy Anh Vuong, piano

Strasbourg-opéra, le 30 juin 2018

Franz Schubert (1797-1828)
An die Musik D 547
Meeres Stille D 216
Gute Nacht D 911

Robert Schumann (1810-1856)
In dem Fremde opus 39 n° 8
Hör ich das Liedchen klingen opus 48 n° 10
Ich hab im Traum geweinet opus 48 n° 13
Mondnacht opus 39 n° 5

Franz Schubert
Ständchen D 957
Erlkönig D 328

Jacques Ibert (1890-1962)
Quatre Chansons de Don Quichotte

Gabriel Fauré (1845-1924)
L'Horizon chimérique opus 118
Les Berceaux opus 23

Hector Berlioz (1803-1869)
L'Île inconnue (Nuits d'été) opus 7 n° 6

Un récent Don Carlos à l'opéra Bastille où Ludovic Tézier campe un magistral marquis de Posa et La Forza del destino où il joue le rôle de Don Carlo di Vargas, en compagnie, dans les deux cas, de Jonas Kaufmann et Anja Harteros, permet de situer le niveau artistique atteint par le baryton français. Pour le plus grand bonheur des Strasbourgeois, Ludovic Tézier a noué de nombreux liens avec l'Alsace et nous fait l'honneur de donner un récital à l'opéra du Rhin.

Cette fois, il a partagé équitablement son tour de chant entre le Lied allemand et la mélodie française. Ce qui m'a frappé d'emblée ce soir et qui m'avait moins impressionné lors de son précédent récital en 2011, c'est le volume de la voix. Emise sans effort apparent cette voix emplit la salle et résonne au tréfonds de l'auditeur. Elle ne le quittera plus jusqu'à la fin du récital.
Ludovic Tézier commence son récital avec Schubert, en interprétant des Lieder très connus, les sublimes An die Musik, Ständchen, Erlkönig ...Au milieu de ces Lieder célébrissimes, se glissait le secret Meeres Stille, œuvre d'un musicien de dix huit ans, un joyau aux teintes moirées, figurant l'immensité d'une mer étale qui permettait à l'artiste de montrer la douceur de ses pianissimi. Avec Erlkönig s'achevait cette partie dévolue à Schubert et j'avoue n'avoir jamais écouté ce Lied interprété ainsi. Le chanteur, se scindant en trois personnes, formait un trio halluciné : un père cherchant à rassurer d'une voix puissante, un fils terrifié, sentant que sa vie allait lui être prise, et l'entité maléfique qu'est le roi des aulnes. Le bruit des sabots du cheval était admirablement rendu par le jeu de Thuy Anh Vuong, un jeu puissant qui assurait un rythme implacable à cette cavalcade fantastique, à cette scène dramatique d'une puissance prodigieuse, un des sommets du récital à mon avis.

Schumann donnait l'occasion au chanteur de montrer un aspect plus intime de son talent. Le chanteur se presentait avec beaucoup de simplicité, s'appuyant sur une chaise haute pendant la durée des quatre Lieder, il se tiendra quasiment immobile. On l’aura compris, l’expression ne vient pas de la gestuelle mais de l’intérieur. Venant du cœur, qu'elle retourne au cœur, dit Beethoven à propos de sa Missa Solemnis. Ce courant passant de l'artiste vers le public, était palpable, en écoutant le sublime Mondnacht qui clôturait cette deuxième partie.

Après l'entracte, place à la mélodie française. Cette section débutait avec les Chansons de Don Quichotte de Jacques Ibert (1890-1962). Les chansons de Don Quichotte furent commandées par le cinéaste Georg Wilhelm Pabst en 1932 pour le film éponyme. Ces quatre mélodies présentent des accents hispanisants typiques de l’auteur d’Escales et plus généralement des musiciens français du début du 20ème siècle. Les trois premières mélodies évoluent dans un climat léger et chevaleresque. La dernière plus sombre et sardonique résume l’épitaphe du héros, fantôme dans la vie, réel dans la mort. Ludovic Tézier nous a fait vivre cette musique avec une aisance incomparable et beaucoup d'humour. Ce n'est que dans La chanson de la mort, qu'il fit passer, avec la participation de la pianiste, une émotion intense.

Avec Fauré on quittait l'univers malicieux de Jacques Ibert pour des contrées plus mystérieuses. L'Horizon chimérique opus 118, poèmes de Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914), est une œuvre tardive de Fauré, contemporaine du splendide trio en ré mineur opus 120 pour piano, violon et violoncelle, du deuxième quintette en do mineur et du quatuor à cordes en mi mineur opus 121. Oeuvre d'intimité, voire d'intériorité, elle n'est pas d'accès facile mais réserve à l'amateur des joies profondes. Dans Je me suis embarqué, on remarque la ligne puissante des basses du piano qui, de la main gauche de la pianiste, imprime au morceau sa sombre rudesse, atmosphère qu'on trouvera aussi dans l'andante du trio en ré mineur opus 120..

L'île inconnue, la sixième et dernière des mélodies des Nuits d'été de Berlioz (poème de Théophile Gauthier) donnait une conclusion légère et joyeuse au récital entier. Un voyage vers une île où on s'aimerait pour la vie d'un amour fidèle s'avère être une utopie. Cette rive, ma chère, on ne la connait guère au pays des amours.

Dès le début du récital, on est conquis par la voix noble, le timbre envoûtant, la diction parfaite de Ludovic Tézier. La ligne de chant présente un phrasé et une articulation harmonieux et le timbre, une coloration chatoyante. Le coeur sombre de la voix résonne dans le grave de Erlkönig. Cette même voix peut avoir une puissance expressive extraordinaire dans l’aigu et être portée à l’incandescence dans l’exclamation Erlkönig hat mir ein Leids getan.. Ces mêmes aigus peuvent aussi montrer un éclat chaleureux dans l’île inconnue ou la plus extrême douceur dans Diane, Séléné. Cet art du chant, cette technique accomplie s’expriment pourtant toujours avec sobriété et retenue.

Thuy Ahn Vuong avait la tâche délicate de donner au piano un rôle approprié, en accord avec l’esprit de la musique de chambre. En outre, la pianiste a des passages en soliste importants dans les conclusions de deux Lieder de Schumann (magnifique solo dans Hör ich das Liedchen klingen). La pianiste s’acquitta brillamment de ces difficultés en trouvant le ton juste. Elle interpréta les œuvres du programme avec beaucoup d’émotion, de sensibilité et souvent de puissance. Jamais en retrait, elle apporta sa touche personnelle à ce récital, notamment dans les passages solistes.

Les deux artistes donnèrent trois bis. Le premier était le romantique Zueignung opus 10 de Richard Strauss où chanteur et pianiste purent donner un maximum de puissance. Le second est un air bien connu de Lohengrin dans lequel, Ludovic Tézier, au lieu de reprendre une deuxième fois la célébrissime mélodie, eut l'élégance de la laisser entièrement à la pianiste qui en donna une version pleine de chaleur et d'émotion. Enfin, surprise finale, les artistes firent une incursion dans la chanson populaire avec La Bohème (Charles Aznavour, Jacques Plante) dans une transcription originale. Durant la seconde strophe, la pianiste et le chanteur introduisirent un contrepoint malicieux en combinant couplet et refrain à la manière de J.S. Bach.

Le public totalement conquis laissa éclater bruyamment sa joie! C'était pour moi un des meilleurs récitals auquel il me fut donné d'assister.

Pierre Benveniste

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