Mascagni - Cavalleria Rusticana/Rapsodia satanica – Carminati/Bianchi – Palerme – Juin 2018

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jeantoulouse
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Mascagni - Cavalleria Rusticana/Rapsodia satanica – Carminati/Bianchi – Palerme – Juin 2018

Message par jeantoulouse » 30 juin 2018, 10:53

Direction Fabrizio Maria Carminati
Mise en scène Marina Bianchi
Costumes Francesco Zito
Lumières Bruno Ciulli

Orchestra e Coro del Teatro Massimo

Santuzza Sonia Ganassi
Lola Martina Belli
Turiddu Murat Karahan
Alfio Gevorg Hakobyan
Mamma Lucia Agostina Smimmero

Représentation de la dernière, 23 juin 2018

Opéra court (70’) en un acte, Cavalleria Rusticana est souvent associé à un autre opéra bref et le couple Cav-Pag, constitué au MET en 1895, fait encore les beaux soirs de bien des théâtres. Alors que la même production en 2008 avait curieusement réuni le chef d’œuvre de Mascagni et Le Toréador d’Adolphe Adam, le Teatro Massimo de Palerme a choisi cette saison un mariage moins problématique entièrement consacré à la musique de Mascagni, signant là un « accord parfait ». En 1914, le compositeur comblé et acclamé se voit proposer d’écrire l’accompagnement musical d’un film ambitieux Rapsodia satanica (La Rhapsodie du Diable) avec l’actrice star de l’époque, Lyda Borelli qui obtiendra là son plus grand triomphe. Tournée en 1914, l’œuvre signée Nino Oxilia ne sortira qu’en 1917, l’année même de la mort du cinéaste tué au front. C’est une brillante variation, esthétisante, sur le mythe de Faust. Le film (45’) est visible ici avec les « cartons » traduits en français et avec la musique de Mascagni. https://www.youtube.com/watch?v=b0B1w1XRZx0
En ce mois de juin, à Palerme, Cavalleria rusticana (1890) est donc précédé par la projection de Rapsodia satanica. Le pacte avec le diable (la jeunesse contre le renoncement à l’amour) que signe la vieille comtesse Alba d’Oltrevita (nom éloquent) avec un Méphisto grand guignolesque ramène jeunesse, plaisirs, étourdissements, flirts. Le suicide d’un amoureux sous ses fenêtres la conduit à comprendre que l’Amour est tout et le baiser qu’elle donne à un cavalier mystérieux scellera la rupture du pacte satanique, le retour de la vieillesse et la mort de l’héroïne. La musique de Mascagni se révèle dans la première partie dansante, riche d’effets rythmiques et sonores efficaces, de mélodies de bon aloi, de tourbillons enfiévrés à l’image des divertissements frivoles qui enivrent la jeune fille. Une valse de Chopin introduit la grande scène où la tension croit jusqu’au coup de feu fatal. La seconde partie fait vivre l’évolution psychologique de la jeune fille, de la mélancolie à la renaissance du désir d’amour. Loin de se réduire à un simple commentaire musical, la partition développe sa propre originalité : postromantique, ample, généreuse, vibrante, elle porte en totale harmonie avec elles les images souvent splendides, très travaillées du réalisateur (cadre, couleurs, jeux d’ombres, reflets lumineux, plans larges vs gros plans, montage, effets de voiles, références à la peinture). L’ensemble compose un chant lyrique à la Nature. Des accents héroïques accompagnent la métamorphose d’Alba jusqu’au dénouement tragique, abrupt.
L’interprétation de l’orchestre du Teatro Massimo de Palerme exécutée en direct sous la direction de Fabrizio Maria Carminati se révèle d’une grande force dramatique, ne reculant pas devant les effets pathétiques, mais capable aussi de touches délicates, notamment dans le grand hymne au Printemps et à la renaissance, telle une reverdie, qui ouvre la seconde partie de l’œuvre. Il est rare d’assister ainsi à la projection d’un film muet et d’écouter in vivo la partition conçue par le compositeur. Ce choix sert autant l’œuvre cinématographique que la musique. L’une et l’autre retrouvent fraicheur et émotion, et on apprécie chez Mascagni l’efficacité des correspondances qu’il crée entre images et accompagnement musical. Ce premier temps de la soirée obtient ainsi un vif succès.

La mise en scène de Cavalleria conçue par Marina Bianchi s’avère on ne peut plus fidèle au livret et à la tradition. Dans cette œuvre réaliste (personnages issus du peuple, ancrage dans une réalité sociale précise, cadre spatiotemporel bien défini - un village de Sicile, la fête de Pâques célébrée avec ferveur -, récit d’un fait divers passionnel), rien ne vient transposer l’œuvre de quelque manière que ce soit. La tradition, au meilleur sens du terme, est respectée scrupuleusement. Le décor partage le vaste espace de la scène entre la taverne tenue par Mamma Lucia à jardin, la façade de l’église à cour, dégageant l’aire de la place de village pour les nombreux choristes et le cortège religieux. Les costumes, sobres, opposent le blanc et le sombre, dans une vision austère des gens du peuple endimanchés. Des touches de couleurs discrètes (du bleu, du jaune pâles) animent notamment la procession qui respecte la tradition méditerranéenne pascale de la présentation du Christ ressuscité. Les tableaux ainsi composés reflètent une piété et une ferveur que le chœur porte vaillamment sans effet pathétique superflu. Le contraste entre la fête de Pâques célébrant le retour à la vie et la mort de Turridu se marque par un dramatisme efficace : l’évanouissement de Mamma Lucia entourée de pleureuses rappelle ainsi la figure maternelle de Marie au pied de la croix et toute une iconographie religieuse. L’ensemble, digne, maîtrisé, bien construit, recueille aux saluts une ovation de la part d’un public qui semble retrouver dans le spectacle une part de ses racines et de ses traditions.

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Crédit Franco Lannino

Récente Leonor dans la favorite à Liège, Eboli à Marseille, Sonia Ganassi chante souvent Adalgisa de Norma (Londres, Berlin, Paris au TCE…). Son mezzo large et puissant excelle dans l’expression de la douleur de Santuzza dont elle épouse les tourments, la jalousie, l’humiliation, la passion. Loin d’apparaitre comme une femme fragile, résignée, elle se bat pour conquérir à nouveau Turridu. La dignité du jeu scénique, le refus de tout pathos, la projection de la voix hissent le personnage sur des hauteurs tragiques rarement atteintes par la musique même de Mascagni. Le lancement de la prière (« Inneggiamo, il Signor non é morto ») est vibrant de ferveur et semble entrainer toute la masse des choristes et l’orchestre dans une envolée non dénuée de grandeur. Et l’interprétation noble du récit ("Voi la sapete, o mamma") avec ses accents de douleur (io pango) et de passion (ah !l’amai) fait de cette confession simple et humble un superbe moment d’intensité émouvante. Enfin la scène centrale avec Turridu la voit user de toutes les ressources lyriques et dramatiques d’une voix et d’un jeu qui impressionnent chacun. Le public salue sa performance comme il se doit.
Même si Murat Karahan a été repéré par quelques fidèles du site dès 2014, beaucoup d’ODBiens ont pu découvrir le ténor turc au Festival de Radio France et Montpellier en juillet 2017 : il interprétait Vassili dans l’opéra Siberia d’Umberto Giordano aux côtés de Sonya Yoncheva. Pinkerton, Don José, Alfredo dans La Traviata, Manrico du Trouvère (qu’il a chanté en 2014 à Limoges et Reims) sont ses plus fréquents engagements. Il sera Calaf aux Arènes de Vérone en juillet. Le rôle de Turridu n’est pas le plus complexe. La voix puissante, bien timbrée, aux aigus sonores – JdeB évoquait dans Siberia des « aigus percutants dardés au-dessus de l’orchestre » - convient au personnage un peu frustre. Elle semble cependant s’être enrichie de couleurs variées, de nuances qui rendent ses adieux très touchants. La mezzosoprano Agostina Smimmero, bien jeune pour incarner la mère de Turridu, a dans son répertoire les trois rôles féminins de l’opéra de Mascagni. En Mamma Lucia, elle fait valoir une belle voix grave dont on pressent qu’elle peut devenir puissante et riche de couleurs. Son jeu scénique et son timbre de voix s’accordent bien avec ceux de Sonia Ganassi, et rapprochent dans une même douleur les deux personnages, sombres échos d’héroïnes de tragédies antiques.

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Crédit Rosselina Garbo

La Lola de Martina Belli qui chantait le même rôle à Rome en avril dernier aux côtés de la Santuzza d’Anita Rachvelishvili, est discrètement sensuelle et bien chantante. Gevorg Hakobyan en Alfio apporte une force et une dignité qui donnent un sombre éclat au charretier trompé. Le duo de la vengeance avec Santuzza est porté par une fureur à laquelle on croit : les deux voix puissantes et sensibles font de cet air de colère et de jalousie le cœur du drame.
Les chœurs ont cette musique dans le sang. Elle fait partie de leur patrimoine culturel. Le chant de repos initial, la participation à la scène de genre avec le charretier, et surtout l’ardente prière convainquent aisément de la qualité de l’ensemble et de son engagement.
Fabrizio Maria Carminati bien connu du public français a souvent dirigé surtout à Marseille, et Saint Étienne, Rouen ou Strasbourg. D’une phalange solide, ardente, il sait tirer le meilleur, et fait vibrer les couleurs, le lyrisme, l’intensité du drame. Le célèbre Intermezzo, pièce symphonique la plus connue de l’opéra, respire largement, apportant la détente après la tension des scènes précédentes. La conclusion abrupte, puissante, urgente apparait comme un apport décisif à la force de la représentation et déchaine une salve d’applaudissements qui dénouent la tension.
La fusion affective et culturelle du public palermitain avec cet opéra devient une plus-value dans l’appréciation d’une telle représentation. Je tiens à souligner enfin l’amabilité, la disponibilité, l’efficacité du personnel du Teatro Massimo de Palerme. Tous les services (billetterie, presse, accueil, placement) méritent remerciements et éloges.

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micaela
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Re: Mascagni - Cavalleria Rusticana/Rapsodia satanica – Carminiati/Bianchi – Palerme – Juin 2018

Message par micaela » 30 juin 2018, 10:58

Merci pour ce beau compte-rendu (et pour le lien pour le film). Découvrir un film rare (en plus d'une musique peu jouée) , je suis comblée. C'est une programmation qu'on pourrait reprendre ...
En ce qui concerne les liens des Siciliens avec Cavalleria, j'ai vu dans un documentaire que ceux-ci sont forts également chez les Américains d'origine sicilienne (à quand une mise en scène de l'œuvre par Scorsese ?).
PS En vacances là-bas ?
Le sommeil de la raison engendre des monstres (Goya)

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