Cherubini- Médée- Niquet/ Ruf-Rouen- 05/2018

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pingpangpong
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Cherubini- Médée- Niquet/ Ruf-Rouen- 05/2018

Message par pingpangpong » 23 mai 2018, 17:29

Médée, Opéra-comique (tragédie) en 3 actes
Livret de François-Benoît Hoffmann
Musique de Luigi Cherubini
Création au Théâtre Feydeau de Paris le 13 mars 1797

Direction musicale Hervé Niquet
Mise en scène Jean-Yves Ruf
assisté de Anaïs de Courson
Scénographie Laure Pichat
Costumes Claudia Jenatsch
Coiffure et maquillage
Cécile Kretschmar
Lumières Christian Dubet
Son Jean-Damien Ratel en collaboration avec David Jackson

Médée Tineke van Ingelgem
Jason Marc Laho
Créon Jean-Marc Salzmann
Dircé Juliette Allen
Néris Yete Queiroz
Première Suivante de Dircé Liesbeth Devos
Deuxième Suivante de Dircé Inès Berlet
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie
Coproduction Opéra de Dijon, Opéra de Rouen Normandie


Installé définitivement à Paris dès l'âge de 27 ans, le florentin Luigi Cherubini bâtit petit à petit une réputation régulièrement remise en cause, avant de recevoir honneur - le titre de Chevalier de la Légion d'honneur lui est attribué en 1814 avant d'être commué en “Commandeur“ un an avant sa mort survenue en 1842 - et postes prestigieux - il est nommé Directeur du Conservatoire en 1822.
Il est peu de dire que la reconnaissance fut laborieusement acquise malgré les succès lyriques de sa jeunesse, tels Démophon ou Lodoïska, créés respectivement en 1788 et 1791, et les louanges reçues de la part de Haydn, Beethoven, Brahms ou Wagner, ni plus ni moins que le gratin de la musique allemande.
Ses concurrents, Spontini et Boieldieu, auront raison de sa carrière opératique, le reléguant au rang de compositeur de musique sacrée ou de chambre, avec cette fois une reconnaissance durable. C'est également à son initiative que l'on doit la création de la première formation symphonique en France, à savoir l'Orchestre de la Sociéte des Concerts du Conservatoire.

Médée, malgré un relatif succès à la création, faisant partie de ces œuvres rapidement boudées par le public, il faudra attendre le XXème Siècle, avec, en 1953, l'intuition géniale de Maria Callas, pour réévaluer, mais en italien, cette tragédie classique d'inspiration française, telle que la conçurent Gluck et Berlioz sur les bases posées par Euripide et Corneille et dont s'imprègneront les alexandrins écrits pour les dialogues de cet opéra-comique.
On se faisait donc une joie d'entendre enfin cette œuvre dans sa version d'origine, en français et en vers.
Las, cette production affadit les dits dialogues en les proposant en prose pour leur donner un air plus direct et plus contemporain, dixit Jean-Yves Ruf.
Et Pierre Corneille de tourner le dos à l'opéra de Normandie, sur l'esplanade duquel il trône avec majesté si ce n'est indifférence...

Un fond sonore discret, mais lancinant, créé spécifiquement, habillant les parties dialoguées, lesquelles sont partiellement sonorisées, on se demande pourquoi, à quoi s'ajoutent de nombreux silences, incompréhensibles temps morts qui paraissent interminables notamment à l'acte II, achèvent de dénerver un spectacle qui aurait dû monter en tension dramatique.
Ajoutons enfin que les chanteurs ne sont pas suffisamment dirigés en ce sens, le metteur en scène ayant axé son travail sur leur vécu intérieur plus que sur les conflits qui les opposent.
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Ambition politique de Jason, solitude de Médée, peur de Dircé ou morgue de Créon, les enferment sur eux-mêmes, au même titre que le très beau décor de parois percées de lourds panneaux pivotants.
Les éclairages de Christian Dubet, parfaitement pensés et réglés, contribuent à les mettre en valeur, les parant de teintes allant du vert au brun, en passant par les nuances de gris ou d'ocre.
Les élégants costumes aux tons roses, beiges ou noirs, mélange de styles différents, sont également très réussis.
Moucharabiehs, bains vaporeux, voiles aériens, projections mêlant sang et visages, contribuent à la réussite visuelle du spectacle en évitant de l'ancrer dans une pseudo-antiquité.
La sobriété de la direction d'acteurs, visant l'essentiel, le réglage des mouvements de foule, efficaces, sont à porter au crédit du metteur en scène.
Sans doute aurait-il fallu en demander plus à Marc Laho qui campe un Jason bien placide et auquel on ne croit guère. Heureusement, le chant et le phrasé sont soignés, la voix, bien projetée, sonnant claire et touchante.
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Le Créon hiératique de Jean-Marc Salzman possède les mêmes qualités d'élocution et de musicalité, l'instrument manquant cependant un peu de puissance.
Juliette Allen compose une Dircé frêle et diaphane, ce que n'est pas son chant, noble de ligne, aux aigus certes perfectibles, pur de timbre, dans son air “Hymen ! Viens dissiper une vaine frayeur“.
Le très beau “Ah! Mes peines seront communes“, qui ouvre le troisième acte, est servi par la voix de mezzo charpentée de Yete Queiroz et un basson solo savoureux.

Médée, sur les épaules de laquelle repose toute la tension de l'œuvre, déçoit.
Trop en retenue, malgré l'envie qu'elle en aie de sortir de ce cauchemar, Tineke Van Ingelgem ne trouve guère à exprimer sa rage de mère et de femme blessée.
Et ce n'est pas vocalement qu'elle peut trouver des ressources qu'on lui refuse scéniquement. La voix est belle et puissante, ronde et chaleureuse. Mais, outre un français qui n'est pas irréprochable, certains sons étant avalés, les aigus manquent d'éclat , ce qui ne serait rien si elle ne recourait pas systématiquement, dès le bas medium, à un poitrinage du plus vilain effet qui gâche tout.
Les deux suivantes interviennent avec assurance, tandis que le chœur Accentus fait des miracles à la fois d'investissement dramatique, de diction et de musicalité. On comprend tout sans avoir recours aux surtitres.
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Sous la baguette inspirée d'un Hervé Niquet heureux comme un poisson dans l'eau, l'orchestre de l'opéra de Rouen Normandie, transcendé, joue la carte des couleurs, de l'expression et de la délicatesse : jubilatoire !
E.Gibert
Enfin elle avait fini ; nous poussâmes un gros soupir d'applaudissements !
Jules Renard

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