Schönberg/Weil - Les Sept Péchés Capitaux - Kluttig/Pountney - ONR - 05&06/2018

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Piero1809
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Schönberg/Weil - Les Sept Péchés Capitaux - Kluttig/Pountney - ONR - 05&06/2018

Message par Piero1809 » 22 mai 2018, 07:28

Les sept péchés capitaux
Kurt Weil – Arnold Schönberg
Nouvelle production

Roland Klüttig, direction musicale
David Pountney, mise en scène
Marie-Jeanne Lecca, décors et costumes
Fabrice Kebour, Lumières

Mahagonny – Ein Songspiel
Musique de Kurt Weil, livret de Bertolt Brecht
Créé à Baden-Baden, le 17 juillet 1927

David Pountney, mise en scène
Amin Hosseinpour, chorégraphie
Roger Honeywell, Charlie
Stefan Sbonnik*, Billy
Antoine Foulon*, Bobby
Patrick Blackwell, Jimmy
Lenneke Ruiten, Jessie
Lauren Michelle, Jessie
Wendy Tadrous, danseuse

Pierrot Lunaire
Musique d'Arnold Schönberg, poèmes d'après Albert Giraud, pour voix et cinq instrumentistes.
Créé à Berlin, le 16 octobre 1912
David Pountney , mise en scène, en collaboration avec
Amin Hosseinpour
Amin Hosseinpour, chorégraphie
Lenneke Ruiten, soprano
Lauren Michelle, soprano
Wendy Tadrous, danseuse

Les Sept Péchés capitaux
Musique de Kurt Weil, livret de Bertolt Brecht
Ballet chanté en un prologue et sept tableaux, créé à Paris en 1933.
David Pountney, mise en scène
Beate Vollack, chorégraphie
Lenneke Ruiten, Lauren Michelle, Anna
Roger Honeywell, Père
Stefan Sbonnik, Frère
Antoine Foulon, Frère
Patrick Blackwell, Mère
Wendy Tadrous, Anna, danseuse

Ballet de l'Opéra National du Rhin
Orchestre symphonique de Mulhouse

Représentation du dimanche 20 mai 2018

Quand Arnold Schönberg créa Pierrot Lunaire en 1912 sur 21 poèmes d'Albert Giraud, il jeta un pavé dans la mare. L'oeuvre eut un grand retentissement non pas tellement à cause de son atonalité (le dernier mouvement du 2ème quatuor à cordes en fa # mineur de 1908 était déjà atonal) mais en raison de la technique vocale du Sprechgesang (parlé-chanté) que l'on peut expliciter en déclamation avec une ligne musicale. Le texte, la voix et les instruments (piano, piccolo, flûte traversière, clarinette, clarinette basse, violon, alto, violoncelle) tissent une ambiance poétique, mystérieuse et surréaliste, teintée de cruauté et d'érotisme. Dans cette œuvre il n'est pas encore question de dodécaphonisme, technique compositionnelle qui sera employée dix ans plus tard par Schönberg. La partition est très complexe et comporte une multitude de procédés contrapuntiques. L'épisode n° 18, Der Mondfleck par exemple comporte une fugue à la flûte et la clarinette pendant que le violon et le violoncelle entonnent une deuxième fugue toute différente, chaque partie ayant une structure palindromique.

La musique de Mahagonny (1927) révèle l'influence de la musique populaire de cabaret mais également celle du Jazz qui, véhiculé par les soldats américains à la fin de la guerre de 14-18, agissait à cette époque sur de nombreux compositeurs européens comme Maurice Ravel, Igor Stravinsky, Darius Milhaud, Francis Poulenc etc...Kurt Weil connaissait peut-être déjà Georges Gerschwin, artiste avec lequel il nouera, après son arrivée aux Etats Unis, des liens musicaux étroits. Au delà du simple pastiche, c'est l'esprit du jazz qui imprègne plusieurs numéros comme Alabama song ou Benares Song. C'est d'ailleurs quasiment un jazz-band qui accompagne les chanteurs et les danseurs. Cette musique jazzy contraste avec la présence évidemment parodique d'un quatuor masculin dans la tradition allemande des choeurs d'hommes. A la fin, les harmonies deviennent proches de Stravinski, reflétant l'éclectisme du compositeur.

La musique des Sept Péchés Capitaux (Die sieben Todsünden) (1933) est donc postérieure à Mahagonny et à l'Opéra de Quat'sous. Curieusement, elle s'écarte du jazz, prend l'allure de la musique européenne classique de son temps et, de mon point de vue, s'apparente davantage au courant expressionniste allemand. Dès le début, on pense à Gustav Mahler, au troisième mouvement Feierlich und gemessen... de sa première symphonie, aux scherzos grimaçants des symphonies n° 4, 6 et 9 et tout particulièrement celui de la symphonie n° 7, Schattenhaft. En fait, c'est la dernière œuvre de Weil en tant que musicien européen. A partir de cette date, Weil va s'intégrer dans le tissu musical new-yorkais et composer des comédies musicales de qualité pour Broadway comme par exemple Lady in the dark sur un livret d'Ira Gerschwin ou encore Street scene, considéré comme son chef-d'oeuvre dans ce style.

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Mahagonny, Bobby, Jimmy, Billy, Charlie, photo Klara Beck

Mise en scène. Arnold Schönberg et Kurt Weil n'avaient pas d'atomes crochus, le premier reprochait au second la relative facilité et le caractère répétitif de sa musique. Pourtant David Pountney et Amin Hosseinpour (dans Pierrot Lunaire) vont chercher à mettre en valeur tout ce qui rassemble ces deux compositeurs, tous deux contributeurs à la modernité, chacun selon son style. Les trois pièces de ce spectacle se déroulent dans un même cadre, celui du cabaret berlinois, voire de la boite de nuit. Au quatuor des hommes dont nous avons évoqué le caractère parodique, répond le trio des femmes, que le metteur en scène aime appeler les trois grâces, harmonieusement vêtues de robes scintillantes. Les liens organiques entre les œuvres sont soulignés. Par exemple, le metteur en scène britannique fait en sorte que Pierrot Lunaire se coule dans Mahagonny, œuvre par laquelle le spectacle commence. Cette option fonctionne très bien car l'insertion se situe au niveau de Benares song, épisode harmoniquement le plus aventureux de Mahagonny et donc plus proche de l'atonalisme de Pierrot Lunaire, et que les deux scènes sont éclairées par la lune, dénominateur commun des deux oeuvres. Avec les chorégraphes Amin Hosseinpour, Beate Vollack et la scénographe Marie-Jeannne Lecca, le metteur en scène va créer un espace restreint (un podium puis un ring de boxe) dédié à la danse. La danse, ainsi réduite à des mouvements de faible amplitude, tire son pouvoir expressif d'un jeu subtil des mains, bras et jambes et vise à éclairer le caractère quelque peu obscur des textes du poète Albert Giraud et de façon générale à augmenter l'intensité de l'émotion. Une large bande jaune couvre le fond de la scène et figure une autoroute conduisant aux lieux imaginaires ou réels parcourus par les protagonistes. Les éclairages de Fabrice Kebbour soulignent les aspects dadaïstes et surréalistes de certaines scènes, notamment le rayon lumineux qui ensanglante le glaive brandi par Pierrot. Le but recherché est conforme au dessein de Kurt Weil, celui de présenter un spectacle capable de générer l'émotion et s'adressant, non pas à un cercle d'initiés, mais à un vaste public populaire.
Critique du capitalisme, des valeurs morales de l'époque, de l'asservissement de la femme ? Telles sont les questions posées par ce spectacle. Au spectateur d'y répondre à sa manière.

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Pierrot Lunaire, Lenneke Ruiten, Lauren Michelle, Wendy Tadrous, photo Klara Beck

Lenneke Ruiten joue, danse et chante les rôle de Jessy, d'Anna et chante la moitié des poésies de Pierrot Lunaire, Lauren Michelle joue, danse et chante les rôles de Bessie, d'Anna et chante l'autre moitié des textes de Pierrot Lunaire. Wendy Tadrous danse dans les trois œuvres au programme. Lenneke Ruiten, mozartienne chevronnée (excellente incarnation de Giunia dans Lucio Silla) n'est pas à ma connaissance une habituée du répertoire expressionniste allemand. Pourtant la chanteuse néerlandaise a remarquablement tiré son épingle du jeu grâce à son engagement, la beauté de son timbre de voix et la lisibilité de sa récitation dans Pierrot Lunaire. Je ne connaissais pas du tout Lauren Michelle et c'est pour moi une découverte. Sa voix opulente, son excellente intonation et son timbre chaleureux conviennent autant au style de Kurt Weil qu'à celui de Pierrot Lunaire. Wendy Tadrous, artiste accomplie, par sa gestuelle génératrice d'émotion et son insertion harmonieuse et expressive dans le trio des femmes, a donné vie à la part abstraite des trois œuvres. Les hommes chantent parfois solistes mais le plus souvent en trio ou en quatuor notamment dans les Sept Péchés Capitaux où le quatuor masculin représente la famille. Patrick Blackwell donne une solide assise sonore au quatuor des hommes de sa voix de baryton-basse superbement projetée. Roger Honeywell, ténor, impressionne par la puissance de sa voix. Antoine Foulon, baryton basse, se distingue par sa voix généreuse et son engagement et Stefan Sbonnik complète l'ensemble d'une belle voix de ténor bien timbrée. Le quatuor qu'ils forment sonne admirablement.
Félicitations au ballet de l'Opéra du Rhin pour sa contribution très vivante.

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Les Sept Péchés Capitaux, Antoine Foulon, Lauren Michelle, Wendy Tadrous, photo Klara Beck

L'orchestre symphonique de Mulhouse a joué un rôle essentiel dans ce spectacle en intervenant à trois niveaux : en hauteur, sur des tréteaux, sous le forme d'un jazz-band (Mahagonny), en surface et en petit comité de cinq instrumentistes jouant sur sept instruments solistes (Pierrot Lunaire) et finalement dans la fosse en grande formation symphonique (7 Péchés Capitaux). Les trois formations étaient placées sous la direction de Roland Klüttig, spécialiste des deux compositeurs depuis sa participation à l'Ensemble Intercontemporain, plusieurs décennies auparavant.

Bref un spectacle enthousiasmant.

Pierre Benveniste

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Re: Schönberg/Weil - Les Sept Péchés Capitaux - Kluttig/Pountney - ONR - 05&06/2018

Message par Piero1809 » 24 mai 2018, 07:39

David Pountney, un metteur en scène au service de Kurt Weil, Bertolt Brecht, Arnold Schoenberg et Albert Giraud et pas à son propre service. Cela mérite d'être souligné.

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