Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

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RODELINDA
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Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

Message par RODELINDA » 27 avr. 2018, 14:31

Umberto Giordano

Andrea Chénier


Chef d’orchestre Marco Armiliato
Mise en scène Otto Schenk
Décors Rolf Glittenberg
Costumes Milena Canonero

Andrea Chénier Jonas Kaufmann
Carlo Gérard Roberto Frontali
Maddalena di Coigny Anja Harteros
Bersi Ilseyar Khayrullova
Contesse de Coigny Donna Ellen
Madelon Zoryana Kushpler
Roucher Orhan Yildiz
Pietro Fléville Manuel Walser
Fouquier Tinville Alexandru Moisiuc
Mathieu Wolfgang Bankl
L’Abbé Benedikt Kobel
Incroyable Carlos Osuna
Gardien de la prison Marcus Pelz
Dumas Dan Paul Dumitrescu
Schmidt Ayk Martirossian



J’ouvre ici ce fil en prévision de la représentation du 29 avril (représentation diffusée à la fois sur www.staatsoperlive.com et, en différé, sur ORF3), afin que les odbiens qui pourront voir le livestream ou ceux présents sur place puissent faire part de leurs impressions.

Contrairement à tous les pronostics pessimistes qui circulaient encore la semaine passée, le couple très attendu (c’est la première fois qu’on peut les applaudir ensemble sur cette scène) était bien présent en ce début de série et en excellente forme vocale, pour le plus grand plaisir du public viennois. Autant le dire d’emblée, on ne pouvait pas espérer tutoyer les mêmes sommets que lors des représentations munichoises, qui était bien plus que la somme de 3 grandes voix – le fruit de semaines de travail intense et d’une mise en scène foisonnante et expressive. Ici, les quelques heures de répétition, mêmes enrichies de l’expérience et la complicité des principaux interprètes, permettent difficilement d’atteindre la même intensité, qui plus est dans une mise en scène certes agréable à l’œil, mais passablement datée.

Ceci expliquant cela, on commence par un premier acte un peu en demi-teinte, avec un « improvviso » certes élégamment phrasé, puissant et racé dans ses accents de colère et sa véhémence, des aigus bien en place, mais peut-être plus retenu, moins fiévreux que l’an passé. Les quelques répliques de Maddalena dans le 1er Tableau ont beau être quasi insignifiantes, je me fais toujours la réflexion qu’elles semblent avoir été écrites pour une autres soprano que celle qui doit chanter les tableaux suivants – ici même l’ivoire si pur du timbre d’Anja Harteros ne parvient pas tout à fait à rendre crédible le personnage de cette jeune fille facétieuse, presque une enfant - la voix parait toujours trop lourde ou trop mûre.
Ce n’est qu’au second tableau que sa Maddalena prend vie et chair - tout d’abord une présence, une silhouette, grande, sculpturale, la taille admirablement prise dans sa robe blanche, presque frêle, avec cette aura de fragilité et de noblesse qui sied si bien au personnage. Son « Ho paura », d’une douceur douloureuse, résonne plus terriblement qu’un cri de détresse. Et puis les voix des amants s’élèvent lors du premier duo et déploient enfin toute la magie dont ils sont capables – bizarrement, alors que d’ordinaire l’acoustique du Staatsoper est moins d'ordinaire moins favorable, je crois que jamais encore, à Munich, je n’avais entendu une harmonie aussi parfaite entre leurs couleurs vocales, à tel point qu’on jurerait parfois qu’ils chantaient d’une seule voix. Ces deux-là se connaissent désormais si bien qu’on dirait qu’ils n’ont même plus besoin de s’accorder pour suivre l’autre, jusque dans les prises de risque les plus audacieuses, comme ce moment du premier duo qui fut pour moi le sommet de la soirée : Jonas Kaufmann (décidément très entêté) débute son « ooooora soave » sur un fil de voix tellement ténu qu’on se dit « damned, encore raté ! » et miraculeusement, il tient la note et réussit un crescendo magistral auquel répond en écho, quelques instant plus tard le "ora soave, sublime ora d’amore » d’Anja-Maddalena d’une indicible pureté, comme une caresse d’une infinie douceur – moment de grâce absolu (si seulement ils pouvaient nous le refaire aussi bien le 29 ! :Jumpy: ).

Si j’avais ici un souhait à formuler pour l’avenir, c’est que l’un comme l’autre ne progresse pas trop vite dans leur exploration de rôles plus lourds pour conserver le plus longtemps possible cet art de sculpter le son et le mot, et le mettre au service d’un répertoire comme celui-ci, où l’on entend trop souvent un torrent de décibels dépourvu d’âme et de sens.

Certes, ce type d'interprétation ne sera jamais du goût de tout le monde et je rappelle avoir eu moi-même du mal à apprécier pleinement ce que faisait Anja Hartero dans "la Mamma Morta » par exemple – il me manquait ce grain de folie, ce « lâcher prise » qui fait les grandes véristes, cette capacité de pousser sa voix vers ses limites, de se jeter dans chaque note à corps perdu… Ce soir-là, je dois dire qu’elle m’a littéralement subjuguée – malgré les conditions moins favorables que l’an dernier. Et quand un artiste vous donne l’illusion d’entendre un air aussi connu pour la première fois (un peu comme M. Polenzani m’a fait « redécouvrir » "una furtiva lagrima" il y a quelques mois !), ça ne s’oublie pas.

Ce qui rend son interprétation si singulière à mon sens, c’est cette façon de dérouler la « trame narrative » de son air comme un poète file sa métaphore, car chez elle l’émotion procède moins de la voix qui enfle et reflue (ce qui n’exclue pas des accents dramatiques de toute beauté et des graves somptueux), mais de la « sève » poétique qu’elle extrait des mots admirablement scandés …vita…cielo….lacrime….cammino…...oblio….précisément ce que savait faire la Callas comme personne et qui m’émeut bien plus, personnellement, que les aigus torrentiels – les mots non pas derrière mais au cœur de la musique. Du coup, son grand air se rapproche beaucoup de celui de Chénier au dernier tableau – chanté là aussi comme ce qu’il est – non pas le dernier cri d’un révolutionnaire, mais un poème, tout en clair-obscur, d’une bouleversante intériorité… « carezza di poesia ». Au passage, on note que la mise en scène d’Otto Schenk, particulièrement inexistante au 4ème et dernier tableau, met en exergue à la fois les forces et les faiblesses de celle de Christoph Stölzl : en effet, si à Munich le cachot souterrain resserrait son étau autour des amants tragiques avec un réalisme fascinant, les voix, elles, peinaient parfois à s’épanouir dans un espace scénique très fragmenté, alors qu’ici, libérées de ce carcan, elles se déploient à merveille, pour un ultime et splendide duo.

Face à ce couple tragique et lumineux, Roberto Frontali (que je retrouvais ici avec plaisir après son excellent Michonnet aux côtés de d’Anna Netrebko et de Piotr Beczala) signe une performance également remarquable. Lui aussi débute légèrement en retrait, silhouette un peu gauche, voix assez puissante mais timbre un peu mat. Une impression vite oubliée lors de son grand monologue du III, ainsi que dans sa confrontation avec Maddalena, où le chanteur trouve des accents saisissants de rage et de désespoir et se montre aussi un acteur sensible et sincère, laissant brusquement tomber le masque du héros révolutionnaire triomphant pour révéler l’homme dans toute sa vulnérabilité, déchiré par un amour impossible.

Autour de cet exceptionnel trio, les comprimarii, parmi lesquels beaucoup de noms familiers et appréciés du public viennois, se montrent solides, voire très bons : Donna Ellen en contesse du Coigny, autoritaire et hautaine à souhait, la verve agressive de Wolfgang Bankl dans le rôle de Mathieu, Carlos Osuna, venimeux et incisif en « incroyable », Orhan Yildiz remplace avec talent Boaz Daniel dans le rôle de Roucher ; mention spéciale pour la Madelon très bien chantante de Zoryana Kushpler, qui aurait bien mérité quelque applaudissement. A la décharge du public, il faut noter qu’il était ce soir-là remarquablement silencieux et discipliné, applaudissant certes chaleureusement mais brièvement chacun des 3 grands airs, soucieux visiblement de ne pas briser la tension dramatique, qui dans cette mise en scène ne peut procéder que du chant.

Au rideau final, les 3 principaux interprètes ont été récompensées par une belle ovation largement méritée, avec au passage un petit gag lorsqu’un nez long et noir a pointé avec insistance à travers le rideau pendant qu’Anja-Maddalena saluait son public. Facétieuse, la soprano s’en est littéralement emparé pour pousser la victime sur scène – un malheureux caméraman d’ORF qui ne s’y attendait visiblement pas.

Marco Armiliato dirige l’orchestre du Staatsoper avec fougue et énergie, un peu trop même, a-t-on pu lire çà et là dans la presse. C’est vrai que l’ai le souvenir à Munich d’un rendu musical souvent plus subtil, en particulier au 1er acte, mais on ne va quand même pas trop faire la fine bouche, car qu’y a-il de pire qu’un A. Chénier sans feu ni passion ? Du fond de ma loge, en tous les cas, à aucun moment je n’ai eu l’impression que les chanteurs était systématiquement couverts par l’orchestre.

Une bien belle soirée, avec en somme une certaine marge de progression pour chacun des protagonistes, ce qui laisse espérer un final au sommet mercredi prochain (et dimanche pour la retransmission !)
En attendant, quelques belles photos du spectacle + l’invitation de Jonas et Anja pour le live-stream sur la page facebook du Wiener Staatsoper :

https://de-de.facebook.com/wiener.staatsoper/

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Re: Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

Message par HELENE ADAM » 27 avr. 2018, 22:07

Merci à toi pour ce CR :D

Un article
https://diepresse.com/home/kultur/klass ... m-Schafott

Acte 1 dans la mise en scène d'Otto Schenck, très "poudrée".
Image

Les saluts ....

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Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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Re: Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

Message par philipppe » 28 avr. 2018, 17:33

J ai eu la faiblesse d’acheter un ticket sur un site spécialisé pour la représentation de demain . Je constate avec angoisse qu’il figure imprimé sur le ticket, sous le numéro de rang, la mention « NO Eintrittskarte »
Linguistiquement je ne pense pas que cela puisse signifier « ceci n est pas un ticket d entrée ». Ce serait drôle d un certain point de vue mais pas du tout dans ma perspective.
Quelqu’un sait il ce que cela signifie ?

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Re: Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

Message par Loïs » 28 avr. 2018, 17:40

philipppe a écrit :
28 avr. 2018, 17:33
J ai eu la faiblesse d’acheter un ticket sur un site spécialisé pour la représentation de demain . Je constate avec angoisse qu’il figure imprimé sur le ticket, sous le numéro de rang, la mention « NO Eintrittskarte »
Linguistiquement je ne pense pas que cela puisse signifier « ceci n est pas un ticket d entrée ». Ce serait drôle d un certain point de vue mais pas du tout dans ma perspective.
Quelqu’un sait il ce que cela signifie ?
Cela signifie en principe que tu dois changer ton voucher contre un billet ; tu dois avoir un commentaire qui te donne un lieu et horaire (en principe caisse du Staatsoper)

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Re: Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

Message par philipppe » 28 avr. 2018, 18:15

Loïs a écrit :
28 avr. 2018, 17:40
philipppe a écrit :
28 avr. 2018, 17:33
J ai eu la faiblesse d’acheter un ticket sur un site spécialisé pour la représentation de demain . Je constate avec angoisse qu’il figure imprimé sur le ticket, sous le numéro de rang, la mention « NO Eintrittskarte »
Linguistiquement je ne pense pas que cela puisse signifier « ceci n est pas un ticket d entrée ». Ce serait drôle d un certain point de vue mais pas du tout dans ma perspective.
Quelqu’un sait il ce que cela signifie ?
Cela signifie en principe que tu dois changer ton voucher contre un billet ; tu dois avoir un commentaire qui te donne un lieu et horaire (en principe caisse du Staatsoper)
Merci lois
C est ce que j ai pensé dans un premier temps, mais je ne m explique pas le « no » anglais suivi d un terme allemand !

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Re: Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

Message par philipppe » 29 avr. 2018, 19:41

Pour l instant le fait notable c est que Armiliato semble s’être donné la mission de rendre absolument tous les chanteurs inaudibles, c est terrible ! Orchestre somptueux certes, mais du coup sans émotion, subtilité, sans nuance. Trés dommage. Quand on entend, ça chante plutôt bien.
Harteros a été annoncée souffrante mais a accepté de chanter.

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Re: Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

Message par HELENE ADAM » 30 avr. 2018, 10:43

RODELINDA a écrit :
27 avr. 2018, 14:31

Si j’avais ici un souhait à formuler pour l’avenir, c’est que l’un comme l’autre ne progresse pas trop vite dans leur exploration de rôles plus lourds pour conserver le plus longtemps possible cet art de sculpter le son et le mot, et le mettre au service d’un répertoire comme celui-ci, où l’on entend trop souvent un torrent de décibels dépourvu d’âme et de sens.
Je ne reprends pas l'ensemble de ton compte-rendu ci-dessus mais je le partage entièrement et sans réserve au vu de la retransmission de la séance d'hier soir.
Il est plus facile de les imaginer "en vrai" quand on les a vus et entendus dans ce rôle en salle à plusieurs reprises et je dirai qu'ils importent quasiment leur savoir-faire et leur magnifique entente, sur le plateau de Vienne malgré l'indigence de la mise en scène au regard de celles de Londres (Mc Vicar reprise au Liceu) et surtout de Munich qui garde décidément ma préférence.
En passant, ce que tu signales des "voix un peu enfermées" lors du duo de l'acte 2, avait été changé dès la dernière de la première série à Munich il y a un an, puisque les amants sortaient de la "cave" pour venir chanter leur duo sur le devant de la scène. Par contre ils s'allongeaient à la fin du duo et leurs ébats pendant la longue ovation qui suivait, suscitaient des rires enthousiastes dans la salle.
La mise en scène de Vienne, outre le plateau très vide pour les actes 3 et 4, prévoit que Maddalena tourne le dos au public pendant le numéro d'improvisation de Chénier à l'acte 1. Ceux qui ont vu Kaufmann dans ce rôle savent à quel point il est emporté, coléreux, véhément voire menaçant (loin des ténors qui récitent la main sur le coeur... :wink: ). Anja Harteros à Munich montrait son désarroi de jeune fille espiègle qui découvre la vraie vie (et la virilité séduisante... :wink: ), modifiant les traits et expressions de son visage pendant l'air. Là, évidemment, la métamorphose est rendue invisible même si elle réussit à nous montrer ses états d'âme par son départ brusqué....
Roberto Frontali est aussi dans ma liste des barytons à suivre de près. Quelle interprétation magistralen là aussi loin des "classiques" qui font du beau chant inexpressif, il varie les couleurs et le style pendant son nemico della patria avec beaucoup d'efficacité !

Les interviews diffusées à l'entracte pendant la retransmission de la télé autrichienne.
https://www.youtube.com/watch?v=vmjdMyQ ... ture=share
(j'ai beaucoup d'admiration pour le coiffeur de JK...quelle patience :roll: )


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Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
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Re: Giordano - Andréa Chénier - Armiliato - Wiener Staatsoper - 04-05/2018

Message par paco » 30 avr. 2018, 11:08

HELENE ADAM a écrit :
30 avr. 2018, 10:43
et surtout de Munich qui garde décidément ma préférence.
Oui, c'est pour moi ce qui s'est fait de mieux, et de loin, comme mise en scène d'Andrea Chenier (sur 40 ans de fréquentation de cette oeuvre)

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