Moody - Sindbad - Moody/Dutrieux - ONR - 04/2018

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Piero1809
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Moody - Sindbad - Moody/Dutrieux - ONR - 04/2018

Message par Piero1809 » 10 avr. 2018, 12:04

Sindbad, a journey through living flames
Howard Moody, musique, livret

Howard Moody, direction musicale
Sébastien Dutrieux, conception et mise en scène
Philippe Berthomé, éclairages
Friederike Schulz, collaboration aux mouvements

Igor Mostovoi*, Sindbad
Marta Bauzà*, Shéhérazade

Petits chanteurs de Strasbourg
Maîtrise de l'Opéra National du Rhin

Les élèves du collège Kennedy et de l'école Cour de Lorraine à Mulhouse
Les élèves du collège Lezay Marnesia et de l'école de la Canardière à Strasbourg**

Orchestre symphonique de Mulhouse

*Artistes de l'Opéra Studio de l'ONR
**Présents à la représentation du dimanche 8 avril.
Strasbourg-opéra Le 8 avril à 15h

Avec deux opéras de qualité leur étant dédiés, les jeunes spectateurs ont été gâtés cette saison. Après Mouton, c'est un spectacle très différent auxquels ils ont été conviés. Il s'agit de Sindbad de Howard Moody, créé le 14 février 2014 au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles. Le propre de Sindbad était de faire participer les élèves de différents collèges à la gestation et la création d'un opéra. Entreprise ambitieuse car les jeunes sont à la fois acteurs et chanteurs. Ils étaient près de deux cents sur scène, pendant une heure, encadrés par le choeur féminin de la maîtrise de l'ONR et les petits chanteurs de Strasbourg. Ils ont ainsi collaboré à une œuvre à visée éducative, morale et humaniste.

Au Moyen-Orient, suite à un bombardement, les enfants sont terrorisés. Ils trouvent la force de lutter contre la peur et stimulés par Sindbad et Shéhérazade, ils se mettent en route, traversent un désert où ils doivent affronter la soif. Shéhérazade les conduit au Pays de la Flamme d'Or, un pays verdoyant. Les enfants se disputent et adoptent le chacun pour soi (gagnons de l'argent, pillons la terre) mais Sindbad les rappelle à leurs devoirs et notamment à celui d'éprouver de la compassion envers ceux qui les ont meurtris et de partager avec les autres. Au terme de leur voyage, ils gagnent la mer et après diverses épreuves, acquièrent la sérénité. Il est temps alors de rentrer à la maison et d'y créer une Cité de Paix.

La musique. Elle est résolument tonale, accessible, dotée de thèmes qui se gravent facilement dans la mémoire. Un peu d'orientalisme au départ et à la fin, puis des rythmes jazzy, une forte imprégnation de musique pop, voire de musique de variété, des allures manifestes de comédie musicale anglo-saxonne. On pense aussi fugitivement à Notre Dame de Paris de Richard Cocciante. Le spectacle se raccordait aussi à une tradition d'opéra classique, d'abord les deux solistes chantaient sans micro, les chanteurs étaient soutenus par un orchestre symphonique classique et la scène ultime alliant l'orchestre au complet, les solistes et les multiples choeurs ressemblait bien au finale d'un opéra traditionnel. Par la répétition d'un motif musical incantatoire, ...recherchez ceux qui attisent votre feu..., par les alliages de sonorités des voix et des instruments, l'opéra se terminait en beauté.

Mise en scène. Sébastien Dutrieux s'est investi dans la tâche ambitieuse de faire chanter plus d'une centaine d'enfants des écoles. Lui-même, sujet dans son enfance à des peurs, a oeuvré de manière à ce que les enfants (comme les enfants du scénario de l'opéra au moment de quitter leur pays ravagé par la guerre) apprennent à évacuer leur crainte au moment de monter sur scène, car dit-il, vaincre la peur est une première étape dans l'acquisition de la personnalité. Une fois la peur vaincue, l'imagination peut alors être libérée. Howard Moody ne dit pas autre chose dans son texte : imagination sets us free (l'imagination nous rend libres). La mise en scène et la scénographie ne tiennent pas compte de l'action, des voyages, des exploits, de l'épopée, très présents dans le livret. Pour tout décor, un arbre calciné et quelques valises ou sacs de voyage. Sur scène, tout se passe dans le cœur (amour, compassion, partage) et la tête (esprit d'aventure, imagination) des protagonistes qui restent sur le plateau pendant toute la durée de l'opéra et miment par des gestes, des mouvements, réglés par Friederike Schulz, les aventures qu'ils vont créer et vivre en même temps. Les éclairages (Philippe Berthomé) soulignent avec à propos et vigueur certains passages, une lumière aveuglante sur le sable brûlant du désert, une vive couleur rouge quand les enfants arrivent au pays de la Flamme Aveuglante, un bleu profond quand ils voguent en mer.

Les artistes. Les deux solistes avaient la tâche redoutable de chanter face à des masses chorales considérables, les enfants d'une part et un choeur féminin (jeunes filles de la maîtrise de l'ONR) d'autre part, et à un puissant orchestre symphonique. Marta Bauzà (Shéhérazade) possède une voix drue, au grain fin, une excellente intonation et une puissance notable dans les aigus qui lui permettaient de survoler un océan musical parfois tourmenté. Gagnant en confiance et en projection en cours de route, elle termina en beauté avec des suraigus impressionnants. Igor Mostovoi (Sindbad), baryton, a un beau timbre chaleureux et une ligne de chant harmonieuse que l'on pouvait apprécier dans les passages en soliste. Du fait de sa tessiture et de son timbre de voix, il était un peu défavorisé dans les tutti mais cela n'enlève rien à sa performance globale remarquable.
Pour réaliser ce spectacle, une année de travail a été sans doute nécessaire pour les élèves du Collège Lezay-Marnésia et de l'Ecole de la Canardière. Comment de si jeunes enfants ont-ils pu mémoriser une telle somme de musique et de textes, voilà une question à laquelle je n'ai pas de réponse. Cette performance montre bien que les plus jeunes ont des capacités d'écoute et d'apprentissage extraordinaires pourvu qu'ils soient intéressés par le projet et motivés. En tous cas, tous ces enfants ont manifesté des qualités vocales impressionnantes et un engagement sans faille. Dans ce projet, ils étaient épaulés par les Petits chanteurs de Strasbourg, chorale d'enfants de haut niveau, sans que l'on puisse distinguer les uns et les autre. A noter également l'intervention impeccable des jeunes filles de la maîtrise de l'ONR que l'on reconnaissait facilement à leurs robes rouge vif. Il faut aussi féliciter les maîtres de chant, éducateurs, personnels de l'Education Nationale et Howard Moody lui-même dont l'engagement dans ce projet a été exceptionnel.

L'orchestre symphonique de Mulhouse sous la direction du compositeur a montré une fois de plus l'étendue de son talent. Les nombreux solos de harpe, de flûte, de violon, de clarinette basse, de cor, de violoncelle.., prévus dans la partition. ont donné aux solistes l'occasion de briller mais l'ensemble de l'effectif a fait preuve également d'une belle homogénéité (1).

(1) Je profite de l'occasion pour signaler que depuis le début de la saison 2017-18, le programme de l'ONR ne donne plus la composition de l'orchestre, information pourtant très utile pour le chroniqueur.

Pierre Benveniste

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