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par Epsilon » 21 mars 2018, 15:50
Représentation du 20/3
Don Carlos en français et en cinq actes, cent cinquantenaire oblige. Lyon fait mieux que Paris (!) puisqu’on retrouve, parait-il l’intégralité de la création en 1867, ballet en partie compris. On peut cependant penser que si Verdi a remanié certaines scènes, c’est qu’il n’en était pas content et que la nouvelle mouture est meilleure que la première. A mon avis, c’est exactement le cas pour le duo Posa/Philippe de l’acte 2, où la deuxième partie ne contient plus les confidences du roi à propos de sa femme, et aussi dans le quatuor Philippe/Posa/Eboli/Elisabeth de l’acte 4, un peu plus brouillon et confus que celui qu’on a l’habitude d’entendre, y compris dans la version Pappano du Chatelet.
Cela étant, les cinq actes passent à toute vitesse : le livret, la musique et la mise en scène ne laissent aucun répit.
Christophe Honoré s’attaque là à son premier « grand opéra », avec un résultat qui va du correct à l’excellent selon les scènes : ratage de l’autodafé, pourtant impressionnant par ses condamnés au pilori ; mais les protagonistes sont trop enfermés dans leurs loges, lorsque Carlos tire son épée, il touche le plafond, rien de bien royal dans tout ça. Il est étonnant d’ailleurs que la scène la plus grandiose, où les choristes (excellents comme toujours) sont les plus nombreux soit justement celle qui bénéficie du moins d’espace.
Magnifique caractérisation par-contre du personnage d’Eboli : on se dit au début que le fauteuil roulant est un gadget, mais il prend son sens ensuite. D’abord dans le trio où Posa humilie la princesse en la faisant ramper au sol loin de sa béquille et de son fauteuil, humiliation qui explique mieux sa délation sous le coup de la colère et son repentir rapide. Ensuite, à la fin du Don fatal, lorsque ses servantes l’ont abandonnée sur ordre et qu’elle reste seule à mouvoir péniblement son fauteuil.
La relation entre Carlos et la Reine est plus sensuelle que celles que l’on a pu voir ailleurs, du fait de la Reine d’ailleurs, plus que de l’infant qui est un personnage qui subit sans agir. Les autres protagonistes sont traités de façon plus classique, dans un décor très sombre, animé par de grands rideaux dont la manipulation produit de temps à autres des bruits incongrus.
Musicalement, c’est hétérogène aussi : glissons sur l’interprétation de Sally Matthews, qui crie, prend des respirations bruyantes et est aussi peu royale que possible, sans parler de son français incompréhensible : inutile de comparer à d’autres, ce serait humiliant ! Sergey Romanovski a une jolie voix bien conduite, mais il manque de puissance, surtout dans l’aigu, et disparait dans les ensembles, c’est criant dans la déploration de Philippe après la mort de Posa. Par-contre les trois basses sont excellentes, le Philippe de Roberto Scandiuzzi est très émouvant, comme souvent « Elle ne m’aime pas » est l’un des sommets de la soirée.
Venons-en aux 2 triomphateurs. Stéphane Degout d’abord : Un chant extrêmement châtié, une articulation parfaite, un bel engagement scénique. Un bémol cependant, cette voix si belle est trop claire pour Posa et elle manque de l’humanité nécessaire pour que sa mort nous émeuve aux larmes : si j’osais, je dirais presque « trop scolaire ». Eve-Marie Hubeaux n’a pas ce problème : son engagement est total, elle empoigne Eboli avec une énergie extraordinaire, une voix magnifique, un style parfait, une prononciation impeccable. En plus, on a vraiment le sentiment que c’est ce personnage qui a le plus intéressé Honoré.
Dernier point, l’orchestre et la direction de Rustioni sont très décevants : les cors canardent, les ensembles manquent de précision, et surtout la direction est brutale et souvent trop rapide. Don Carlos demande une autre finesse que le Trouvère ou Attila. On a l’impression que le chef n’a pas vu la différence…
Triomphe modeste dans une salle pas tout à fait pleine : deux rappels et hop, minuit, on rentre…