Massenet - Werther - Matiakh/Gürbaca - ONR - 02-03/2018

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Piero1809
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Massenet - Werther - Matiakh/Gürbaca - ONR - 02-03/2018

Message par Piero1809 » 12 févr. 2018, 16:10

Werther
Jules Massenet
Edouard Blau, Paul Millet et Georges Hartmann, Livret d'après Johann Wolfgang von Goethe
Créé le 16 février 1892 à Vienne (Hofoper)

Ariane Matiakh, Direction Musicale
Tatjana Gürbaca, Mise en scène
Klaus Grünberg, Décors et Lumières
Anne Kuhn, Collaboration au décor
Silke Willrett, Costumes

Massimo Giordano, Werther
Anaik Morel, Charlotte
Régis Mengus, Albert
Kristian Paul, Le Bailli
Jennifer Coursier, Sophie
Loïc Felix, Schmidt
Jean-Gabriel Saint-Martin, Johann
Marta Bauzé, Käthchen
Stefan Sbomik, Brühlman

Choeur féminin de l'Opéra National du Rhin (Direction Sandrine Abello)
Petits Chanteurs de Strasbourg
Maîtrise de l'ONR (Direction Luciano Biblioni)

Orchestre Symphonique de Mulhouse

Nouvelle Production à l'ONR

Dès la création de Werther en 1892, Théodore de Wizewa, musicologue et critique au Figaro, reprocha à Jules Massenet de céder aux sirènes de Bayreuth. D'autres compositeurs français opérant à partir de 1860 furent accusés de flirter avec l'esthétique wagnérienne, Emmanuel Chabrier dans Gwendoline et même Georges Bizet dans Carmen ! J'ai vainement cherché ce que la partition de Werther avait de wagnérien. Avec ses limpides mélodies diatoniques, Massenet me semble à des années lumière de Wagner et du chromatisme tristanesque mais ce n'est que mon humble avis. J'avoue n'avoir pas ressenti non plus une impression de mélodie continue. Avec douze numéros bien individualisés dans les deux premiers actes, comportant airs spectaculaires, duos et ensembles, on est en plein dans le grand opéra français. Avec une syntaxe impeccable, une inépuisable invention mélodique, un puissant souffle dramatique et une orchestration raffinée, la musique plutôt sage au plan harmonique de Massenet évite l'académisme, remarques qui s'appliquent également à celle de son contemporain Camille Saint-Saëns. Une décennie plus tard, les symbolistes, Ernest Chausson, Antoine Mariotte, Silvio Lazzari, Paul Dukas, et évidemment Claude Debussy donneront à l'opéra français, une orientation bien différente.

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Charlotte, son père et ses frères et soeurs. Photo Klara Beck

La mise en scène de Tatjana Gürbaca est sobre et vise au respect du texte et de la musique de Massenet qui donne au personnage de Charlotte une place bien plus importante que dans le texte de Goethe. L'action se passe dans une famille aisée, attachée aux valeurs chrétiennes et portant sur elle le poids de la tradition. Pour tout décor (Klaus Grünberg), une grande pièce entièrement lambrissée de chêne, avec une profusion de placards et une porte donnant sur l'extérieur. L'action débute en été, temps propice aux fêtes enfantines, aux divertissements d'adultes. Dans ce décor Charlotte s'active au goûter des enfants et à celui de personnes âgées. La mise en scène s'ingénie à montrer que toute la vie future de Charlotte, en tant que sœur, épouse et mère, est destinée à servir. Les personnages surgissent des placards au grè des scènes et signifient l'imprévu dans un petit monde bien formaté. L'imprévu arrive sous la forme de Werther et le coup de foudre, entre lui et Charlotte. La disruption entre la vie réelle dans une société patriarcale et la vie rêvée avec Werther, est traduite par le procédé d''arrêt sur image. Les entretiens de plus en plus passionnés entre Charlotte et Werther se déroulent tandis que le monde qui les entoure est figé comme si le temps s'était arrêté. Charlotte sait au fond d'elle-même que la vie véritable et la liberté sont avec Werther, elle ne peut toutefois défaire les liens familiaux et sociétaux innombrables tissés autour d'elle et représentés par des rubans de papier collant dans lesquels elle et Werther sont englués (procédé utilisé par Calixto Bieto dans une récente Tosca). Le choix de Charlotte de se conformer au schéma de vie prévu pour elle par la société, signifie la mort de Werther et aussi sa propre mort, ou du moins celle de ses aspirations. Une bonne direction d'acteurs favorise la fluidité du spectacle. Les costumes chatoyants et séyants (Silke Willrett) apportent un agréable contraste avec la nudité du décor.

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Noces d'or, Schmidt et Johann en action. Photo Klara Beck.

L'entrée de Werther (Massimo Giordano) est d'abord discrète. Son invocation à la Nature : Oh Nature, pleine de grâce..., toute en douceur, met en valeur un beau timbre et un phrasé élégant. Plus loin dans une sublime montée chromatique : Rêve, Extase, Bonheur...Giordano va donner de la voix et nous étonner par la projection et la qualité de l'intonation de cette dernière. Toutes ces qualités sont déployées dans le célébrissime Pourquoi me réveiller avec en sus des suraigus aussi impeccables dans le fortissimo que dans le pianissimo le plus doux. Sa diction est attentive au respect de la prosodie, attitude conforme à la volonté du compositeur.. Ce ténor est pour moi une révélation. Anaïk Morel (Charlotte) m'a également beaucoup impressionné. Sa prestation ira crescendo tout au long du drame. La mezzo est aussi à l'aise dans le grave que dans l'aigu, le timbre, chaud et velouté dans le grave devient lumineux dans l'aigu. Ses qualités brillent tout particulièrement au début de l'acte III quand elle lit la lettre de Werther « Je vous écris de ma petite chambre... A la fin de l'acte III, elle nous étonne par la qualité de la projection de sa voix et la puissance de ses suraigus et son engagement dramatique. Avec deux artistes aussi remarquables dans les rôles principaux, le public était particulièrement gâté. Je suis retourné à l'opéra pour les entendre de nouveau. Et cette deuxième audition et vision a été encore plus excitante que la première. Jennifer Courcier (Sophie) a réalisé une prestation de qualité. Ses dons se sont déployés dans l'air important de l'acte II Du gai soleil plein de flamme... Cet air néo dix huitième siècle m'a fait penser à Rameau et la soprano, d'une voix fraiche et légère, lui a donné un caractère joyeux et lumineux très attachant. Le suraigu qui achève l'air se termine ex abrupto et l'artiste en se gardant de prolonger la note, évite un effet bel canto bien déplacé ici. Régis Mengus (baryton) a interprété, d'une belle voix bien assurée, le rôle d'Albert, mari de Charlotte, qui voit son autorité de futur chef de famille très compromise. Kristian Paul, d'une ample voix de baryton, a fait preuve d'humanité dans la figure paternelle du Bailli. Les deux compères, piliers de cabaret, Johann et Schmidt étaient incarnés avec verve par Jean-Gabriel Saint-Martin (baryton) et Loïc Felix (ténor) respectivement. JG Saint-Martin est bien connu du public strasbourgeois et ses prestations sont toujours remarquables. Marta Bauzà et Stefan Sbonnik, tous deux membres de l'opéra Studio, interprétèrent de manière dynamique les rôles de Kätchen et Brühlman.

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Charlotte et Werther, dernière scène. Photo Klara Beck

J'ai beaucoup aimé la direction sobre, précise et très engagée d'Ariane Matiakh à la tête d'un excellent orchestre symphonique de Mulhouse. Sous sa baguette, cet orchestre avait un son tout à fait séduisant. Les pupitres des violons étaient très homogènes avec un excellent soliste, on les entendait vibrer aux paroles ...et toi soleil, viens m'inonder de tes rayons. Les altos avaientt fort à faire avec souvent des motifs indépendants comme à la fin de l'acte III. Dans le prélude de l'acte IV la harpe a une partie presque soliste jouée avec beaucoup d'art.
Les petits chanteurs de Strasbourg (Maîtrise de l'ONR) m'ont ravi par leurs voix pures et harmonieuses.

J'ai assisté à deux représentations. Le public strasbourgeois souvent réservé fit un accueil enthousiaste, notamment lors de la deuxième représentation, avec de très nombreux rappels. On y voyait nombre de jeunes spectateurs. Puisse un spectacle d'une telle qualité les amener à fréquenter durablement les salles d'opéra !
Pierre Benveniste

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Re: Massenet - Werther - Matiakh/Gürbaca - ONR - 02-03/2018

Message par Piero1809 » 14 févr. 2018, 08:17

Représentations très concentrées dans le temps.
Plus que deux à l'opéra de Strasbourg le 15 et le 17 février à 20h
Deux également à la Filature de Mulhouse le 2 mars à 20h et le 4 mars à 15h.

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