Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Munich - février /juillet 2018

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Luc ROGER
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Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Munich - février /juillet 2018

Message par Luc ROGER » 11 févr. 2018, 20:52

Götterdämmerung, un Crépuscule du tonnerre au Bayerische Staatsoper avec un Kirill Petrenko jupitérien

Image
Götterdämmerung, scène finale, le désespoir de Gutrune (Anna Gabler)
Crédit photographique Wilfried Hösl

Mise en scène

Avec le Crépuscule des dieux, la saga wagnérienne aborde le monde des humains. Dans la mise en scène munichoise du Ring par Andreas Kriegenburg, ce changement de plan s'accompagne d'une transformation radicale, avec une césure marquante. Si dans les trois premières parties du Ring, les humains servaient de matériaux de construction pour les décors, avec leur chair broyée dans le monde des dieux, ils rentrent pleinement en scène à présent, et les décors abandonnent partiellement le matériau des corps pour la modernité. Andreas Kriegenburg mobilise pour ce faire les allusions à l'actualité récente: Fukushima, la vie sexuelle tapageuse d'un ponte de la finance internationale, la crise de l'euro ou encore les moyens de communication contemporains et la dépendance irrépressible et frénétique au téléphone portable. Andreas Kriegenburg nous soumet à un tsunami d'images aussi dérangeantes qu'efficaces. Si la mise en scène utilise les procédés du Regietheater, elle les transcende le plus souvent, et les appels à l'actualité sont surtout l'occasion de dégager une vision plus universelle, celle de la chute des empires, fussent-ils divins, des systèmes, fussent-ils monétaires, internationaux, celle des cycles toujours répétés, celle de la mort et de la résurrection, de l'éternel retour. Faut-il souligner que si cette mise en scène du Ring date de 2016, elle a hélas encore gagné en actualité: les guerres et la dévastation climatique font partie de notre lot quotidien, et la dénonciation de l'instrumentalisation des femmes sur laquelle la mise en scène insiste fortement est aujourd'hui dénoncée par tous les médias.

L'actualité s'impose dès la première scène: une série d'écrans de télévision diffusent des émissions d'information avec leur défilé de calamités. Ils forment l'encadrement d'un caisson de scène dans lequel des humains grisâtres prostrés et fatalistes sont passés aux compteurs geiger par les hommes d'une cellule de décontamination. Ils ne semblent pas s'apercevoir de la présence des trois Nornes, en longues robes blanches qui circulent parmi eux et les observent tout en tissant leur fil, dont elle les encercle, sans doute pour signaler que le temps de ces malheureuses créatures est sur le point de s'achever. La scène est de toute beauté, puissamment évocatrice, comme l'est le chant des Nornes, magnifique.

Changement de décor pour la cour du roi des Burgondes, où on refait le monde en envisageant des manigances de politiques matrimoniale et financière. La luxure domine, des soubrettes sont séduites et contraintes à effecteur des fellations qui n'ont pas l'air de satisfaire ceux qui les reçoivent ou de servir d'objets à des jeux absurdes, ainsi de cette employée de maison assise par terre les jambes écartées, et dont le vagin sert de trou-cible pour un putting de golf. Le symbole géant de l'euro forme le corps d'un cheval à bascule, sur lequel viendra se balancer plus tard une Gudrune lascive. Une fois que Siegfried et Brünnhilde seront tombés dans les pièges tendus par la famille Gibichungen, les noces de Gudrun et Siegfried seront suivies d'un banquet organisé sur une gigantesque table ayant les formes du sigle de la monnaie unique. Et plus tard, la table-euro sera fragmentée, démantelée dans un monde en perdition. Les humains ne sont pas dans cette dernière partie beaucoup mieux lotis que dans les précédentes: ils sont ici avachis dans un monde intoxiqué. Le thème de l' intoxication est omniprésent: intoxication à l'atome dans la première scène, à l'alcool au moment des festins de noces, à l'assuétude des téléphones portables, tant dans leur usage téléphonique que dans les prises photographiques, intoxication idéologique enfin...

Pour le palais burgonde, Harald Thor a construit un décor d'architecture contemporaine de verre et de métal: les écrans et le caisson du premier tableau ont fait place à l'atrium d'un espace public qui tient du shopping mall de luxe ou du ministère. Trois parois de vitrages derrière lesquels on aperçoit sur plusieurs étages des couloirs aux fonctions changeantes: tantôt y sont projetées les images de boutiques qui rappellent le luxe du quartier de l'opéra à Munich, tantôt y déambulent des employés affairés, qui deviennent aussi les témoins le plus souvent indifférents, mais à la fin horrifiés, des scènes qui se déroulent dans l'espace central. Un jeu de passerelles mobiles, sur lesquelles peuvent venir prendre place les chanteurs ou le choeur, relie les parois latérales. Le peuple burgonde sans âme en sombre costume militaire est uniformément aligné et répète les gestes de tous les fascismes. C'est là le monde sinistre dérisoire de Mammon, un monde tout aussi condamné à la disparition que celui des dieux, mais qui croit encore, mais en vain, à l'exercice de la puissance. Kriegenburg traite particulièrement bien le personnage de Gutrune dans son inconsistance psychique: une mariée illusoire et lascive qui veut croire à son amour factice et qui promène la traîne de son inutile robe blanche.

Pour la scène où Waltraute vient rejoindre sa soeur et l'enjoindre à renoncer à ses entreprises, des figurants bâtiront un enclos de planche, retour momentané à la forme du caisson encadré du premier tableau. Le feu sacré qui entoure le rocher de Brünnhilde est projeté en fond de scène et, à rebours, pourra être vu comme la préfiguration de l'incendie final.

Puis c'est le retour au palais de verre pour le meurtre de Siegfried avec des tableaux scéniques puissants comme celui du choeur d'hommes qui vient entourer le cadavre ou encore la belle et lente procession du catafalque de Siegfried emporté en fond de scène à dos d'hommes, revenant ensuite sur scène. Le travail de la chorégraphe Zenta Haerter est ici comme dans les productions précédentes particulièrement réussi. L'équipe d'Andreas Kriegenburg, avec les lumières de Stefan Bollinger et les costumes d'Andrea Schraad, fournit un travail des plus remarquables.

Apothéose scénique dans l'incendie final qui embrase et détruit ce monde condamné à disparaître, mais où déjà pointe un nouveau cycle avec l'arrivée en scène de figurants vêtus de blanc. Les trois filles du Rhin se seront d'abord emparées de l'anneau lors d'une scène, qui fait pendant à celle des Nornes, où on les voit juchées sur les tables démantelées, repoussant avec dégoût du bout des pieds les corps avinés ce champagne de l'humanité pauvrement tragique des noceurs.

Après les crépitements des applaudissements et des hourras, le public sort d'un théâtre qui a pris feu, l'incendie s'est propagé à la façade du théâtre, on quitte l'opéra dans le crépitement des flammes et le fracas d'un effondrement. Une video installation géante et efficace qui rappelle qu'un monde est en train de disparaître.

Image

Interprétation

On est captivé par la force visionnaire splendide de la direction d'orchestre de Kirill Petenko qui fait s'écouler ici toutes grandes les vannes des sons et rend les vagues de la somptueuse musique wagnérienne avec sa précision désormais légendaire, avec des départs micrométrés, nous offrant la pleine richesse des sonorités et la chatoyante palette des couleurs. Kirill Petrenko n´interprète pas, il va au coeur de la partition rend la musique de Wagner telle que le Maître de Bayreuth l´a composée. Le Ring vient couronner l'admirable travail du directeur musical du Bayerische Staatsoper avec un orchestre national bavarois composé d'instrumentistes tous brillantissimes.

On a à nouveau pour ce dernier acte du Ring un plateau équilibré dans l'excellence, avec entre autres la basse profonde et formidable de Hans-Peter König en Hagen, qui utilise sa puissante rondeur pour donner une impressionnante assise scénique à son personnage avec une interprétation de tout premier plan. Stefan Vinke confirme son excellente Siegfried de la journée précédente, avec une incomparable subtilité de l'expression dans le piano et un troisième acte glorieux. Okka von der Damerau, excellente aussi en 1ère Norne, incarne une Waltraute fulminate d'intensité dramatique de sa belle voix puissante qui s'est encore affirmée dans les graves et une finesse dans l'interprétation émotionnelle complexe de son personnage dans la scène désespérée de sa rencontre avec Brünnhilde. L'évolution de la carrière de cette grande chanteuse, superbe dans tous les rôles qu'elle a interprétés dans ce Ring, laisse pantois d'admiration. John Lundgren continue le développement de l'analyse psychologique d'Albérich dont il souligne encore davantage ici le ratage de vie et la mesquinerie avaricieuse. Il faut observer l'excellence du jeu de l'acteur, et notamment les mimiques faciales, lorsque son personnage dérobe les cigares de Hagen, se sert avidement des alcools ou dérobe quelques cravates de la garde-robe du château des Burgondes. Markus Eiche module avec une précision tragique désenchantée la trajectoire périclitante de Gunther de sa belle voix sonore, souple et agile. Anna Gabler, également 3ème Norne, joue et chante avec bonheur une Gutrune complètement déjantée. Quant aux harmonies vocales plus légères des Filles du Rhin (Sofia Fomina, Rachale Wilson et Jennifer Johnston,- aussi 2ème Norne), elles confinent au ravissement. Cette cour des grands est dominée par la voix impériale de Nina Stemme, puissante, précise, vibrante, avec l'intensité concentrée du travail de l'actrice. On en reste stupéfié et on se demande comment une telle performance est possible, avec la même énergie, la même présence en scène d'un bout à l'autre de la plus longue des oeuvres du Ring. Primissima inter pares, Nina Stemme donne une Brünnhilde fulgurante, définitive! Et dire qu'avant le début de l'opéra, la direction fit annoncer que Nina Stemme, souffrante, avait cependant voulu assumer sa partie et demandait la compréhension du public.

La perfection de l'incarnation de la Brünnhilde de Nina Stemme, l'excellentissime distribution, combinées au travail charismatique de Kirill Petrenko et de l'orchestre national de Bavière font de ce Crépuscule une soirée wagnérienne inoubliable. Le Ring dans la mise en scène d'Andreas Kriegenburg atteint dans cette reprise un niveau d'excellence digne des premières places au panthéon des interprètes wagnériens.

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Re: Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Muncih février /juillet 2018

Message par leporenski » 11 févr. 2018, 22:43

Soirée du 11 février.
Je n’ai pas de mots pour décrire cet extraordinaire Götterdammerung. Inoubliable. La salle en extase debout pendant 25 minutes pour acclamer les artistes. L’orchestre et les chanteurs ont d’ailleurs chanté Happy Birthday à Petrenko pendant les saluts.

Le dernier acte m’a donné des frissons. Ah la mort de Siegfried et la marche funèbre...

Petrenko décidément génial dans Wagner. La prestation de Nina Stemme frôle encore une fois la perfection. Vinke excellent aussi et plus généralement tous les artistes.

Ce Ring a été d’un très très haut niveau. Et j’ai pour ma part beaucoup aimé la mise en scène qui je pense a largement contribué à son succès.
J’en profite pour souligner la qualité de chant d’Okka Von der Damerau qui a été présente et été brillante dans les différents rôles qu’elle a joués tout au long du Ring. Superbe artiste que j’ai déjà eu le plaisir d’entendre plusieurs fois à Munich.

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Re: Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Muncih février /juillet 2018

Message par enrico75 » 11 févr. 2018, 22:55

Pour moi une représentation historique devant une salle en délire ou TOUTE la distribution vocale était pratiquement idéale
Nina Stemme inoubliable Brunhilde dans une forme vocale extraordinaire portée par un K Petrenko époustouflant.
Un grang moment D'opéra : : :D :D :D

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Re: Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Muncih février /juillet 2018

Message par leporenski » 11 févr. 2018, 23:04

enrico75 a écrit :
11 févr. 2018, 22:55
Pour moi une représentation historique devant une salle en délire ou TOUTE la distribution vocale était pratiquement idéale
Nina Stemme inoubliable Brunhilde dans une forme vocale extraordinaire portée par un K Petrenko époustouflant.
Un grang moment D'opéra : : :D :D :D
Il m’arrive assez souvent de passer une très bonne soirée mais je dois dire qu’il est très rare que je ressente cette impression d’extase que j’ai eue au terme de ces 6h et de ce Ring.
Voilà aussi sans doute pourquoi Munich est ma salle préférée et de très très loin depuis plusieurs années.

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Re: Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Muncih février /juillet 2018

Message par philipppe » 12 févr. 2018, 09:31

leporenski a écrit :
11 févr. 2018, 23:04
enrico75 a écrit :
11 févr. 2018, 22:55
Pour moi une représentation historique devant une salle en délire ou TOUTE la distribution vocale était pratiquement idéale
Nina Stemme inoubliable Brunhilde dans une forme vocale extraordinaire portée par un K Petrenko époustouflant.
Un grang moment D'opéra : : :D :D :D
Il m’arrive assez souvent de passer une très bonne soirée mais je dois dire qu’il est très rare que je ressente cette impression d’extase que j’ai eue au terme de ces 6h et de ce Ring.
Voilà aussi sans doute pourquoi Munich est ma salle préférée et de très très loin depuis plusieurs années.
J’adhère en tous point à ces comptes rendus plus eu enthousiaste. Ce Crépuscule et l ensemble du ring ont été un achèvement extraordinaire, et , oui, Stemme hier soir était fabuleuse. Difficile d en dire beaucoup plus pour l’instant, si ce n’est éventuellement pour exprimer une forme de gratitude à la vie en général et à l opera de Bavière en particulier. Et au metteur en scène pour cette sublime image finale.

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Re: Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Munich - février /juillet 2018

Message par enrico75 » 12 févr. 2018, 14:11

Cette soirée a été pour moi un véritable petit miracle:tout était réuni:
distribution vocale de tous les rôles exceptionnelle.
mise en scène forte et spectaculaire.
un chef et un orchestre fabuleux .
le compte rendu de Luc étant parfait je n'ajouterai donc que des commentaires sur cette représentation du 11:
anniversaire oblige(46a je crois) Kirill Petrenko s'est encore surpassé en nous assénant avec son orchestre prés de 5h de musique géniale ou l'on ne s'ennuie pas un instant tant il arrive à maintenir une tension stupéfiante avec une énergie fabuleuse,tout en faisant ressortir en permanence les moindres détails de la partition.
N.Stemme sublime:avec les moyens vocaux colossaux qu'on lui connait quand elle est en bonne forme vocale, elle compose successivement une femme aimée puis paniquée,terrorisée,soumise,révoltée et enfin apaisée et rayonnante.c'est pour moi la plus grande Brunnhilde du début du siècle.
H.P.Konig ,je trouve, a gagné en puissance surtout dans les graves qui sont maintenant "effrayants" et il compose un Hagen machiavélique terrifiant.
Stefan Vinke a beaucoup progressé dans le rôle de Siegfried:projection de voix ,sureté des aigus,aisance naturelle même si j'ai trouvé qu'il manquait un peu de nuances dans le récit du 3eme acte.
un mention pour Okka von der Damerau qui,en plus de chanter une norne nous offre une Waltraute passionnée dans un duo mémorable avec Stemme.
la mise en scène de Kriegenburg,bien décriée ,est pourtant trés astuçieuse:un seul exemple,l appel d'Hagen chanté depuis les passerelles transversales, comme l'a decrit Luc,avec les choeurs à différentes hauteurs crée un effet sonore phènoménal.

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Re: Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Munich - février /juillet 2018

Message par philipppe » 12 févr. 2018, 14:14

D accord sur tout avec Enrico. Je trouve aussi que Vink était vocalement bien séduisant que ces dernières années oú pourtant il assurait déjà bien le job.

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Re: Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Munich - février /juillet 2018

Message par Luc ROGER » 12 févr. 2018, 14:30

Ce fut pour moi le meilleur Ring de mon parcours wagnérien.
Et grand merci à Enrico pour cette aimable appréciation :D

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Re: Wagner- Götterdämmerung- Petrenko/Kriegenburg - Munich - février /juillet 2018

Message par enrico75 » 15 févr. 2018, 16:18

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un souvenir de cette mémorable soirée

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