Rameau - Et in Arcadia ego- Rousset /Ménard & Beaujault- OC - 02/2018

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JdeB
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Rameau - Et in Arcadia ego- Rousset /Ménard & Beaujault- OC - 02/2018

Message par JdeB » 31 janv. 2018, 07:50

Et in Arcadia ego (2018)
Création sur des musiques de Jean-Philippe Rameau.

OUVERTURE
Zaïs (1748), Ouverture
Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour (1747),
Chaconne pour Dieux et Naïades puis chœur (acte II, scène 7)
Les Fêtes d’Hébé (1739), Chœur « Ô Ciel » (première entrée)

1er TABLEAU
- ENFANCE -
Les Boréades (1763), Prélude de l’acte V
Dardanus (1744), Air « Lieux funestes » (acte IV, scène 1)
Le Temple de la gloire (1745), Gigue un peu gaie
Zaïs (1748), Air « Coulez mes pleurs », (acte III, scène 2)
Zoroastre (1749), Air tendre en rondeau (acte I, scène 3)
Les Surprises de l’Amour (1757), Air « Ô Diane, ô sombre forêt » (première entrée, scène 2)
Zoroastre (1749), Sarabande (acte III, scène 9)
Naïs (1749), Musette puis Air « Je ne sais quel ennui me presse » (acte II, scène 6)
Castor et Pollux (1737), Air et chœur « Rassemblez-vous, peuples » (acte III, scène 1)

1er INTERLUDE
Dardanus (1739), Sommeil en rondeau puis trio et chœur (acte IV, scène 2)

2e TABLEAU
- ÂGE ADULTE -
Les Fêtes de Polymnie (1745), Air vif (acte III, scène 7)
Les Fêtes d’Hébé (1739), Air « Ô Mort, n’exerce pas ta rigueur inhumaine » puis choeur (deuxième entrée, scène 4)
Les Fêtes de Polymnie (1745), Descente d’Oriade et d’Argilie (acte III, scène 1)
Castor et Pollux (1754), Air « Eclatez, mes justes regrets » (acte I, scène 2)
Castor et Pollux (1737), Air et chœur « Rassemblez-vous, peuples » (acte III, scènes 1 et 2)
Dardanus (1739), Ritournelle vive (acte II, scène 1)
Les Surprises de l’amour (1758), Ariette « Dieu cruel, ennemi trompeur » (deuxième entrée, scène 6)
Dardanus (1744), Air vif (acte II, scène 3)
Castor et Pollux (1754), Chœur « Que tout gémisse » (acte II, scène 1)
Dardanus (1739), Ariette « Quand l’Aquilon fougueux » (prologue, scène 1)

2e INTERLUDE
Les Boréades (1763), Gavottes et Rigaudons (acte IV, scène 5)
Les Surprises de l’amour (1758), Sommeil d’Endymion (première entrée, scène 10)

3e TABLEAU
- VIEILLESSE / MORT -
Castor et Pollux (1754), Air « Tristes apprêts »
Les Indes galantes (1735), Prélude des Incas (ritournelle de la scène 1)
Hippolyte et Aricie (1733), Air et chœur « Quelle plainte en ces lieux m’appelle » (acte IV, scène 4)
Hippolyte et Aricie (1733), Fugue (prélude de l’acte III).
Les Surprises de l’amour (1757), Air « Le premier trait que l’amour lance » (acte I, scène 10)


Lea Desandre – Marguerite

Phia Ménard – mise en scène, décors, costumes
Eric Reinhardt – dramaturgie
Eric Soyer – décors, lumières
Fabrice Ilia Leroy – costumes et textiles
Rodolphe Thibaud – maître Glacier

Les Eléments (chef de chœur, Joël Suhubiette)
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset – direction musicale

Nouvelle production de l’Opéra Comique
Coproduction Théâtre de Caen, Compagnie Non Nova

Opéra Comique, le 3 février 2018.



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This is the way the world ends
Not with a bang but a whimper.

T. S. Eliot

Le mystère de la mort hante l’humanité et irradie ses créations. Qu’est-ce donc que créer sinon défier l’entropie ? Cette interrogation, et plusieurs autres, infusent le « big bang baroque » commandé par l’Opéra Comique à Christophe Rousset, parcours tout aussi psychique que mental, travail de mémoire et victoire du néant sur une conscience. En réalisant un montage musical de « la quintessence de l’art de Rameau », le fondateur des Talens Lyriques est passé de l’idée d’un « spectacle chorégraphié » à une approche plus narrative, suggérée par la performeuse-jongleuse Phia Ménard. L’introduction de la parole s’imposait donc, et l’écrivain Eric Reinhardt s’est alors penché sur le parcours de Marguerite, femme de quatre-vingt-quinze ans en attente de sa mort, pour le façonner aux pièces ramistes retenues.

Cette pratique n’est en rien novatrice, puisque le pasticcio est attesté depuis le XVIIe siècle, bien que le terme lui-même soit apparu dans les années 1730, qualifiant un opéra formé de différents numéros provenant de sources diverses. Depuis, le terme a été appliqué à des actions variées : la parodie – qui nous occupe présentement – étant l’adaptation textuelle de pièces préalables, au sein d’un nouvel objet théâtral, qu’il soit sérieux ou parodique, au sens où nous l’entendons généralement. (A ce propos, on se souviendra de La Belle-mère amoureuse, hilarant décalque de Hippolyte et Aricie, donnée à Favart en 2014.)


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En revenant aux fondements d’une pratique attestée, tout en présentant sur scène certains des éléments constitutifs du merveilleux baroque (machinerie à vue et artifices), les maîtres d’œuvre de cette méditation funèbre souhaitaient revivifier l’essence même de cet art, en une démarche passionnante qui ne pouvait que susciter la plus grande curiosité. Toutefois, Rameau fournissant la « pâte » à partir de laquelle cette nouvelle « pâtisserie » s’est élaborée, l’atout le plus puissant de cette entreprise devient alors un écueil assez rédhibitoire.

C’est que le Dijonnais apporte avec son univers sonore, la force des affects qui irriguent ses partitions et son attention pointilleuse à la prosodie d’origine. Que le compositeur, s’il pensait en musique, n’en est pas moins un dramaturge fulgurant, dont la puissance d’évocation nourrit la prose de ses librettiste, tout comme il s’est appuyé sur eux. Et que si l’on peut accuser ses livrets de certaines afféteries propres à leur temps, ils comptent pourtant d’authentiques chefs d’œuvres ; Pellegrin n’est certes pas Racine, mais son art est celui de la volute et du labyrinthique, figures qui conviennent parfaitement à Rameau. La tension racinienne, pour sublime qu’elle est, ne lui aurait sans doute pas convenu. Il devient donc difficile d’infléchir un discours redoublé par l’éloquence du compositeur…

Aussi, les efforts d’Eric Reinhardt de se fondre dans ce moule préexistant achoppent sur des formes qui résistent ; distensions, scansions et silences étant taillés comme des habits bien faits pour le verbe qu’ils revêtent et magnifient. Pis, les formes émergeantes des « vpoëmes[/i] » d’origine rendent d’autant plus bancales les adjonctions et modification de sens, et quelques inévitables maladresses prosodiques. La noblesse de la déclamation originelle se prête également mal à certains sauts de registre : la diatribe contre les excès entourant la célébrité, avec son escorte de « fans » et « groupies » harceleurs s’accordent mal à ces tonalités élevées. Quant aux jouets invoqués par l’adolescente qui quitte l’enfance, ils se glissent assez mal dans l’ancienne descente aux Enfers de Phébé. De même, la force initiale de « Triste apprêts » se dilue dans un « Mort qui me vient » bien banal. Cet affadissement du discours, et son côté parfois abscons – dû aux acrobaties nécessaires pour retrouver certains termes-clés – se redouble d’une interrogation non résolue : en quoi le pacte faustien de Marguerite (elle a eu connaissance de la date de sa mort) en ferait-elle un être supérieur, adulé ? Une pythie qui « donnait une direction » ? Fallait-il faire de Marguerite un être à part, et la distinguer de notre commune condition de morts en sursis ?


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Reste la fin – magistrale – de la protagoniste. Marguerite, qui ne trouve jamais réellement un langage qui en fait un être pleinement au monde, ne prend une humanité que lorsque ces mots lui font défaut, la trahissent et finissent par syncoper, balbutier et se déliter visiblement sur le rideau de fer – la virgule isolée au milieu de cet outre-noir figurant magistralement ce souffle qui vient à lui manquer. En un ultime gémissement.

Le récit alambiqué et un peu vain de cette existence s’accompagne d’une scénographie qui désoriente. Au premier tableau, se présente un « jardin onirique congelé » selon la didascalie. Néanmoins, ce tour de force technique évoque fort mal la glaciation du vert paradis des imaginaires enfantins : la masse bleue du jouet géant évoque davantage un Hamtaro défraichi ou un Pokemon boudeur, et son omniprésence corroierait la protagoniste, n’était le magnétisme de sa présence. L’impact des blocs de glaces s’écrasant en fleurs de givre dans Und d’Howard Barker, mis en scène par Jacques Vincey, avait un impact autrement plus provocateur que ces fleurs gelées qui s’affaissent en s’égouttant dans des vasques dorées. Difficile également de percevoir en ce drapé rigide dans lequel prend ensuite place Marguerite « une gangue rappel[ant] les turpitudes des désirs, le doute de la véracité des rapports humains. » Paradoxalement, c’est alors que la virtuosité scénographique se fait plus discrète que l’impact émotionnel est le plus grand : ainsi, l’écrasement symbolique de cette éternelle jeune femme, par un savant jeu de rideaux ; ou la rampe inclinée où glisse Marguerite, entraînée à rebours dans son engloutissement programmé, frêle silhouette vaincue par la montée du néant qui va jusqu’à la revêtir. Laissons donc rouler dans l’oubli la manifestation de cette pulsation noirâtre dont la matérialisation tient autant au sac poubelle qu’au trampoline de plage démesuré.


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Lea Desandre, loin d’être garrottée dans un dispositif envahissant et qui brouille souvent le discours, dévoile une présence charismatique. C’est dire l’impact de cette jeune mezzo-soprano. Elle rayonne, dans un engagement total où la fluidité du corps, l’agilité vocale, le funambulisme des affects se répondent et fusionnent harmonieusement. Protagoniste invisible, le chœur des Eléments assure les repons à cette âme qui se cherche et se souvient pour la dernière fois, avec autorité, tendresse et onirisme.

Dans cet univers chromatique proche de celui de Soulages, Les Talens lyriques apportent la seule touche de couleur. Mais quelles teintes ! Du chaos initial (la proprement sidérante ouverture de Zaïs où toutes les couleurs se fondent en un noir tourbillonnant) au délitement final, l’ensemble de Christophe Rousset délivre un discours ondoyant, précis, nerveux, où la sensualité étaye l’architecture sophistiquée du compositeur. Ce royaume dont le prince est tout autant penseur que danseur déploie ses munificences avec une générosité qui n’a d’égale que son élégance, et la précision de ses volutes savants. C’est bien lui qui capture notre imagination, l’emporte bien loin, et la fait s’élancer de concert avec la petite âme d’une Marguerite en laquelle on peut enfin reconnaître une sœur.

Emmanuelle Pesqué

Photographies © Pierre Grosbois / Opéra Comique, 2018.
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Rameau - Et in Arcadia ego- Rousset /Ménard & Beaujault- OC - 02/2018

Message par JdeB » 31 janv. 2018, 13:59

Lea Desandre et Christophe Rousset seront ce soir, mercredi 31 janvier à 20h sur Radio Classique dans le Journal du Classique de Laure Mézan


Lea Desandre et Eric Reinhardt seront ce même soir les invités de Lionel Esparza dans son Classic Club, à 22h sur France Musique


Et à réécouter enfin en podcast, l’émission la Grande Table sur France Culture d’Olivia Gesbert « Les Rameaux de Lea Desandre »


Le spectacle sera retransmis en direct sur Mezzo et Culturebox le 9 février prochain
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Rameau - Et in Arcadia ego- Rousset /Ménard & Beaujault- OC - 02/2018

Message par EdeB » 11 févr. 2018, 12:23

Mon compte rendu a été posté en tête de ce fil.

La replay de la captation du 9 février est désormais disponible sur Culturebox : https://culturebox.francetvinfo.fr/oper ... que-268925
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
Mon blog, CMSDT-Spectacles Ch'io mi scordi di te : http://cmsdt-spectacles.blogspot.fr/
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Re: Rameau - Et in Arcadia ego- Rousset /Ménard & Beaujault- OC - 02/2018

Message par Adalbéron » 17 févr. 2018, 20:17

Ça ne serait pas l'Opéra Comique qui a piraté ODB pour qu'on ne parle pas de ce spectacle ? :lol:

J'y étais le lundi 5, et je n'ai pas grand chose à dire sinon qu'heureusement, Christophe Rousset et ses Talens lyriques étaient là.

Je pense que si le spectacle ne fut pas une réussite, c'est surtout à Éric Reinhardt, sans doute, que la faute en revient. Les réécritures des paroles des airs et ensembles de Rameau qu'il a commises n'étaient pas toujours désastreuses : on a pu percevoir par moment un véritable effort pour suivre la prosodie originelle. Je ne sais pas si c'est l'habitude d'entendre les textes originaux ou bien que le travail n'était pas abouti ou réussi, mais ça sonnait malgré tout souvent à côté, trop fabriqué. Emmanuelle analyse bien cela. Quant aux textes projetés... À part quelques belles formules, je dois le reconnaître franchement, c'était fort tristounet à lire (j'ai adoré le "Mon âme est croquante", par contre :D). Bon, Reinhardt est sans doute meilleur romancier ? Non ?
Je trouve quand même assez drôle que Rousset défende le choix de la réécriture des paroles en affirmant que les librettistes de Rameau n'étaient pas de grandes plumes, et qu'il s'agit bien sûr d'une pratique qui fut courante à l'époque, alors que le résultat qu'on nous offre n'est finalement pas mieux, voire pire... ;)

Phia Ménard fait ce qu'elle peut avec ce livret fort peu riche. Il y a de beaux tableaux et des trouvailles intéressantes (les fleurs givrées s'ouvrant, par exemple), mais tout ça manque quand même singulièrement de feu... C'était un peu mou, presque trop prudent.

Lea Desandre est une artiste charmante. Une fois qu'on a dit que ses graves sont assez menus, que la voix accuse un certain manque de puissance et que le souffle est court, on peut quand même reconnaître qu'elle fait preuve d'une belle musicalité et d'une diction vraiment excise, avec un rare goût du mot : dommage que ce soit au service d'un texte comme celui-ci...

J'ai trouvé Les Élémens assez inégaux. Il faut dire qu'ils étaient dans la fosse la plupart du temps, ce qui n'était pas forcément la meilleure disposition pour apprécier convenablement leur travail.

Christophe Rousset et Les Talens lyriques ont véritablement sauvé la soirée en donnant à la musique de Rameau toute la merveilleuse saveur qu'on lui connaît. C'était vif, constrasté, coloré, dynamique, tout ce qu'on peut adorer ! Chaque instrumentiste serait à louer : des bassons au violoncelles et des hautbois aux timbales, un vrai festival de couleurs et une grande maîtrise technique. Dommage que le reste n'ait pas suivi !

Phia Ménard et Éric Reinhardt sont venus saluer et se sont fait copieusement huer par une partie de la salle, après que les techniciens ont eux-mêmes reçu leur volée de bois vert (oui oui, les techniciens !!!!!), dont ma voisine de devant, hurlant comme une furie, à qui j'ai gentiment demander d'arrêter en lui disant que ça n'était pas respectueux. Elle m'a non moins gentiment répondu : "PARCE QUE C'EST RESPECTUEUX CE QU'IL A FAIT ? - VOUS NE DEVEZ PAS BEAUCOUP CONNAÎTRE LE MONDE DE L'OPÉRA, VOUS". J'ai pensé "hihi, ça doit être JdeB déguisé", et puis elle est partie. Voulait-elle dire que j'étais ignorant du monde de l'opéra au point de ne pas savoir qu'il était courant de huer, ou bien que j'étais un petit jeune théâtro-branchouille égaré qui n'avait pas pu comprendre à quel point Rameau avait été torturé ?
En tout cas, je pense qu'il y a de plus constructives critiques face à un créateur ou un interprète qu'un "boooo", très franchement (/watch?v=4lydlc16K0o).
« Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets his hour upon the stage / And then is heard no more. It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing. »
— Shakespeare, Macbeth

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