Wagner-La Walkyrie – Flor/Joël – Toulouse Capitole – 02/2018

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Wagner-La Walkyrie – Flor/Joël – Toulouse Capitole – 02/2018

Message par jeantoulouse » 28 janv. 2018, 09:57

Wagner La Walkyrie.
Théâtre du Capitole
Du 30/01 au 11/02/2018

Claus Peter Flor direction musicale
Nicolas Joel mise en scène réalisée par Sandra Pocceschi
Ezio Frigerio décors
Franca Squarciapino costumes
Vinicio Cheli lumières

Anna Smirnova Brünnhilde
Michael König Siegmund
Tomasz Konieczny Wotan
Daniela Sindram Sieglinde
Elena Zhidkova Fricka
Dimitry Ivashchenko Hunding
Marie-Laure Garnier Gerhilde
Oksana Sekerina Ortlinde
Pilar Vázquez Waltraute
Daryl Freedman Schwertleite
Sonja Mühleck Helmwige
Szilvia Vörös Siegrune
Karin Lovelius Grimgerde
Ekaterina Egorova Rossweisse

Durée du spectacle 5h 50
Acte I 1h 10 Entracte 50'
Acte II 1h 35 Entracte 55'
Acte III 1h 20

Générale enthousiaste. Distribution et orchestre de premier ordre. Une mise en scène alliant la solennité et la puissance des décors et l'humanité très émouvante des situations et des gestes. Éclairages splendides. Une parfaite réussite.
Il reste quelques places, ce qui est somme toute étonnant, compte tenu de la qualité du spectacle et des promesses de la distribution de cette reprise de 1999. Nicolas Joël assistait à cette générale.
Compte rendu après la série des représentations.

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Re: Wagner-La Walkyrie – Flor/Joël – Toulouse Capitole – 02/2018

Message par jeantoulouse » 31 janv. 2018, 10:38

Pour donner une idée du dispositif scénique

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Crédit David Herrero

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Re: Wagner-La Walkyrie – Flor/Joël – Toulouse Capitole – 02/2018

Message par jeantoulouse » 12 févr. 2018, 10:12

En deux mots pour les plus pressés.
Une production de La Walkyrie exceptionnelle saluée à la dernière par des applaudissements scandés ad libitum. Distribution magnifique, sans faille. Orchestre puissant ou tendre en fonction des climats de l’œuvre, conduit avec lyrisme et dynamique par Claus Peter Flor. Mise en scène sobre et émouvante dans des décors grandioses et signifiants. Une grande réussite du Capitole et de Nicolas Joël. Longue représentation dont les entractes démesurés (près de deux heures) ne parviennent heureusement pas à casser le rythme et amoindrir l’émotion.
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Crédit David Herrero

Comment une mise en scène de La Walkyrie peut-elle à la fois rendre compte de la grandeur de fresque épique et mythologique du récit wagnérien, et de l’humanité émouvante de ses situations, de la fragilité et de la tendresse qu’éprouvent maints personnages de l’œuvre ?
La solution conçue par Nicolas Joël dans cette production de 1999 reprise aujourd’hui au Capitole dans la réalisation attentive et fidèle de Sandra Pocceschi (un nom déjà connu à retenir) passe par un respect total des situations dramatiques et de la musique.
Aux décors signés Ezio Friferio et aux costumes de Franca Squarciamino est confié le soin de porter l’héroïsme et la grandeur. A l’acte I, la maison de Hunding au centre duquel trône un tronc d’arbre nu emprunte son esthétique baroque à on ne sait trop quel sépulcre royal aux tentures de marbre noir et argent, à une vaste chambre mortuaire qui ensevelit le bonheur de Sieglinde. Les laquais sombres prompts à dresser la grande table du repas que renversera Hunding servent un maitre autoritaire et brutal, chef rustre d’une caste au passé immémorial. L’acte II voit s’affronter en haut d’un escalier grandiose une statue équestre et le char de Fricka attelé aux béliers, symbole même du déchirement du héros principal, Wotan, écartelé entre son amour pour Siegmund l’incestueux et le respect des pactes qui le lient. Une structure métallique qui rappelle celle du Grand Palais situe l’action dans l’ère industrielle, dans une histoire cependant fort ancienne. Ici encore le décor impose sa monumentalité que seuls peuvent habiter des hommes et des femmes de pouvoir, mais enfermés dans un univers qui augure le crépuscule de leur domination.
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Crédit David Herrero

L’acte III se déroule devant le frontispice d’un arc de triomphe d’où se rue le groupe statuaire de six chevaux au pied desquels les Walkyries, revêtues de leur cuirasse et casque guerriers étincelants, ramassent le corps des vaillants guerriers morts au combat. Au fond du dispositif une dalle surélevée abritera le sommeil de Brünnhilde quand toute la scène s’embrasera. Les habits des hommes inégalement seyants contrastent avec la panoplie de Brünnhilde et surtout avec les atours de Sieglinde et de Fricka drapées dans leur altière féminité. La tendresse et l’humanité sont portées par les mouvements et la gestuelle des personnages aux moments clés de l’action. On a aimé les gestes pudiques lors du partage de l’hydromel et cet élan de génuflexion offert à Sieglinde quand Siegmund extrait l’épée du tronc. Les échanges de regard entre Fricka et Brünnhilde à l’issue de la grande scène du II avec Wotan valaient mieux qu’un long discours. L’apparition spectrale de Brünnhilde derrière un voilage gris pour annoncer à Siegmund sa fin prochaine est une réussite. Et que de gestes tendres sur les cheveux, sur le visage de sa fille au moment tragique de la séparation entre Wotan et la Walkyrie châtiée ! La circulation des guerrières sur les marches de l’escalier à l’arrivée de leur sœur apeurée, puis quand elles l’abandonnent, réglée comme une chorégraphie, relève du bon théâtre, vif, animé, plein de sens. Soulignons encore les belles lumière de Vinicio Cheli qui savent accompagner les climats de l’œuvre et éclairer en effet la psychologie intime des personnages. Nicolas Joël est loin à mes yeux d’avoir réussi toutes ses mises en scène ; la dramaturgie de la Walkyrie aujourd’hui convainc sans réserve. Certes, elle ne renouvelle pas notre vison de l’œuvre. Mais elle la sert avec humilité, force et intelligence.


Cette alliance entre grandeur tragique et tendresse humaine est aussi parfaitement mise en œuvre dans la direction de Claus Peter Flor. Spectateur de la dernière des cinq représentations, j’ai pu apprécier, mieux qu’à la générale, combien la tension et l‘effusion, l’héroïsme et les épanchements s’expriment à travers un tissu orchestral infiniment coloré sans que les contrastes sacrifient la fluidité. On se trouve happé, emporté, exalté par un discours à la fois aéré et tendu qui s’emballe, halète, se calme, s’élance à nouveau pour déployer toute sa majesté dans un final d’une grande subtilité. Beau travail de maitrise du flux musical que renforcent la cohésion d’un orchestre concentré et dynamique et une attention aux chanteurs dont trois (Smirnova, König, Sindram) assurent pour cette série une prise de rôle.

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Crédit David Herrero

Rendant compte de la version concert de La Pucelle d’Orléans de Tchaïkovski dirigée par Tugan Shokiev à la Halle aux Grains en mars 2017, j’écrivais sur Anna Smirnova qui interprétait le rôle titre : « Voix d’airain, alliant puissance d’émission et projection ardente, voilà une héroïne qui ne laisse pas les doutes l’assaillir, les failles l’engloutir. En belle santé, tonique, tout en vaillance, cuirassée de certitudes, elle fait valoir de beaux graves, un aigu plein, sans jamais laisser percevoir le moindre abandon, fût-il amoureux. Mutatis mutandis, une Walkyrie russe, dont il faut saluer la performance. ». Cette comparaison valait prémonition, à ceci près que dans le rôle de Brunhilde la tendresse et l’humanité ne lui font nullement défaut. La voix s’adoucit dans l’annonce de la mort et la scène finale voit varier subtilement les nuances d’une voix qui, grande, puissante, déterminée, acérée, peut devenir tendre et s’abandonner. Anna Smirnova se positionne fièrement pour devenir une des grandes Brunhilde de notre époque.
Wotan est Tomasz Konieczny. Il n’en impose pas physiquement et son entrée (sa démarche, son habit, son attitude) paraissent (déjà) plus ceux d’un dieu engoncé, affaibli, quasi déchu que ceux qu’imposerait son statut. Dans un entretien, Tomasz Konieczny définit le Wotan de la Walkyrie comme « un Wotan brisé. Un chef de mafia qui se retrouverait prisonnier. Un solitaire. Un homme faible et en colère… » La caractérisation du personnage, le baryton basse la donne en jouant sur les couleurs et l’intensité d’une voix souple qui peut tonner et caresser. Le monologue final est magnifique d’intensité et de tendresse.
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Crédit David Herrero

Le Siegmund de Michael König tient les promesses qu’on peut attendre d’un ténor héroïque. Ses Walse sonnent avec l’éclat requis et l’hymne au printemps rayonne. L’entend-on par instant à la limité de ses possibilités ? Très vite une technique aguerrie permet de retrouver une assise sûre et un réel art de l’incarnation du héros, malgré un jeu scénique trop emprunté.
Révélation dans le rôle travesti d’Adriano dans Rienzi (mes Lavelli) au Capitole, Daniela Sindram y était aussi Brangane. Une mezzo donc en Sieglinde, dans un rôle que d’autres mezzos ont aussi servi. Un peu surpris au début par cette voix charnue, grave, le spectateur devient très vite convaincu par ce choix, tant la palette des couleurs, la tendresse, les attitudes, les frémissements, l’élan dessinent un personnage fait de chair et d’âme qui se jette hardiment dans la folle aventure de libération que lui offre Siegmund.
On le sait, Fricka n’a qu’une scène, mais quelle scène ! Elena Zhidkova impose l’autorité d’une voix, les subtilités d’une argumentation qui prend au piège l’époux tortueux portée par une diction exemplaire, l’élégance souveraine qui signent les grandes Fricka.
L’Hunding de Dimitry Ivashchenko s’avère tout aussi exemplaire dans la noirceur, la brutalité que soutiennent une voix de bronze et une allure imposante. Toutes les Walkyries ne sont pas également chantantes, mais leurs scènes impressionnent par leur fougue et leur énergie.

Une mise en scène solide et efficace rendant compte des enjeux psychologiques du drame, une interprétation musicale et vocale à la fois héroïque et sensible ont composé une longue représentation (coupée par deux entractes démesurés, sans doute justifiés pour des raisons techniques) dont on sort ému et ravi. Une exemplaire réussite.

Jean Jordy

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