Zemlinsky - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2018

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Zemlinsky - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2018

Message par dge » 18 janv. 2018, 09:33

Alexander von Zemlinsky– Le Cercle de craie

Opéra en trois actes sur un livret élaboré par le compositeur sur le texte de la pièce éponyme de Klabund
Crée le 14 octobre 1933 à Zurich

Opéra de Lyon - janvier/février 2018


Direction musicale : Lothar Koenigs
Mise en scène : Richard Brunel
Dramaturgie : Catherine Ailloud-Nicolas
Décors : Anouk Dell’Aiera
Costumes : Benjamin Moreau
Lumières : Christian Pinaud

Tschang-Ling : Lauri Vasar / Julian Orlishausen
Mr Ma: Martin Winkler
Yü-Pei: Nicola Beller Carbone
Tschang-Haitang : Ilse Eerens
Prince Pao: Stephan Rügamer
Tschao: Zachary Altman
Tong : Paul Kaufmann
Mrs Tchang : Doris Lamprecht
Sage-Femme : Hedwig Fassbender
Une bouquetière : Josefine Göhmann
Deux coolies : Luke Sinclair, Alexandre Pradier
Soldat : Matthew Buswell
Tschu-Tschu: Stefan Kurt
Une bouquetière : Tschu-Tschu *
Deux coolies : Luke Sinclair*, Alexandre Pradier*
Soldat : Matthew Buswell*

*artiste du Studio de l’Opéra de Lyon

Orchestre, Maîtrise et Studio de l’Opéra de Lyon



Représentation du 22 janvier


Image
©Jean-Louis Fernandez



La justice du retour du Cercle de craie


Le Cercle de craie est le septième et dernier opéra achevé de Zemlinsky ( le suivant, Le Roi Candaule ne le sera qu’une cinquantaine d’années après la mort du compositeur en 1942). Le livret est une adaptation de la pièce de Klabund - pseudonyme de l’écrivain et poète allemand Alfred Henschke - elle-même tirée d’un drame chinois de Ling Sing-Tao écrit au13e siècle et que Brecht adaptera à son tour dans Le Cercle de craie caucasien en 1945.
L’opéra aurait dû être crée simultanément dans plusieurs théâtres allemands mais l’arrivée des nazis au pouvoir rendit la chose impossible et la première fut donnée à Zurich en octobre 1933. L’œuvre sera représentée en Allemagne à Szczecin en 1934 puis dans quelques autres salles avant d’être bannie par le pouvoir. Depuis elle n’a connu que quelques reprises épisodiques (Dortmund-1955, Zurich-2003…). Cette production en est la création en France.

Le livret raconte l’histoire de la jeune Haitang vendue comme prostituée au propriétaire d’une maison de thé (en fait une maison de plaisirs) après le suicide de son père dépouillé par le Mandarin Mr Ma. Le Prince Pao la rencontre et est séduit par la jeune fille, mais Mr Ma réussit à l’acheter après une mise aux enchères. Haitang devient sa deuxième épouse, lui fait découvrir la bonté et lui donne un enfant ce que n’a pu faire sa première épouse Yû- Pei. Celle-ci craignant d’être dépossédée de ses droits décide d’assassiner son mari avec la complicité de son propre amant et accuse Haitang du meurtre et aussi de lui avoir ravi son enfant. Haitang est arrêtée et condamnée à mort par un juge et des témoins achetés par Yü-Pei. Mais l’Empereur meurt, Pao lui succède et toutes les condamnations à mort sont suspendues. Il soumet les deux femmes à l’épreuve d’un cercle de craie tracé sur le sol : l’enfant est en son centre et chacune des deux femmes doit le tirer par un bras. Haitang ne voulant pas le blesser laisse sa rivale le tirer à elle et sera, par ce geste maternel, reconnue comme la vraie mère. Pao lui révèle alors que le soir où elle a été achetée par Ma, il s’est introduit dans sa chambre et l’a aimée. Il accepte de reconnaître l’enfant et fait de Haitang son impératrice.

Cette fable qui se termine par un happy end où l’empereur arrive comme un deus ex machina n’en est pas moins une critique sociale très acérée : on y dénonce les régimes despotiques et leurs arbitraires, la corruption, l’injustice, le meurtre, la jalousie, la pauvreté, l’oppression des plus humbles. Faut-il voir dans cette fin heureuse l’espoir d’un avenir meilleur comme le laisseraient sous-entendre les dernières paroles du livret « Que la justice soit ton but le plus élevé » ?

Image
©Jean-Louis Fernandez


Sur ce très beau livret Zemlinsky a composé une partition d’un grand raffinement, loin de l’esthétique post-romantique que l’on trouve dans ses œuvres antérieures majeures que sont Le Nain ou Une Tragédie florentine. La partition fait se succéder passages parlés, mélodrames (passages parlés avec musique) et chant dans une continuité remarquable, sans césures entre les passages. Sa musique réalise une synthèse très personnelle de différents styles sans que jamais les « coutures » ne soient apparentes : on reconnaît bien sur l’influence des musiques de Kurt Weil (dont Zemlinsky avait dirigé la création de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny) ou de Krenek, mais aussi du jazz, de la musique orientale mais sans tomber dans l’exotisme. On y devine aussi des influences de Mahler ou même de Puccini (comment ne pas penser aux interventions des ministres de Turandot lors du témoignage des deux coolies faux-témoins dans la scène du procès). L’esthétique plus habituelle de Zemlinski reprend ses droits lors de la fin de l’ouvrage, sollicitant beaucoup plus les deux héros dans un superbe duo très lyrique.


Image
©Jean-Louis Fernandez


Il est toujours un peu difficile de chroniquer une production d’une œuvre dont on n’a pas auparavant la moindre connaissance. Mais le ressenti que j’ai pu en avoir est celui d’une belle réussite qui nous offre un moment de théâtre et de musique qui reste gravé en nous longtemps après le spectacle.

Richard Brunel nous propose une lecture qui privilégie la réalité sociale plutôt que les symboles. « Je mets en scène des personnes, des corps, des dialogues, des actions, des situations et je veux que les chanteurs incarnent ce qu’ils ont à dire, à jouer » précise t-il dans un entretien avec sa dramaturge Catherine Ailloud-Nicolas. Il situe l’action à l’époque contemporaine, soulignant ainsi le caractère d’universalité des messages du livret, comme en attestent les beaux costumes modernes de Benjamin Moreau et la scénographie esthétique et fonctionnelle de Anouk Dell’Aiera, très bien mise en valeur par les éclairages de Christian Pinaud, faite de cloisons, de baies vitrées et de voilages. Ces éléments de décor peuvent pivoter ou se déplacer très rapidement pour figurer les différents sites de l’action (maison de thé, maison de Ma, tribunal, campagne enneigée…) sans nuire à la continuité dramatique. La Chine n’est présente qu’à travers quelques allusions comme le karaoké dans la maison de thé ou l’écran de télévision qui diffuse l’information en chinois de la mort de l’empereur, images à l’appui, dans une édition spéciale du journal télévisé. Un soin très attentif est apporté à chacun des nombreux personnages de l’histoire, même s’il ne s’agit que de rôles épisodiques donnant à cette lecture une force théâtrale incontestable.
Il faut mentionner une incise du metteur en scène (scènes non présentes dans le livret) et qui a suscité bien des interrogations chez les spectateurs : Après sa condamnation Haitang est emmenée dans une salle d’exécution séparée du lieu du jugement par une vitre qui permet d’assister à sa mort par injection létale et au recouvrement de son corps par un drap blanc. La dernière image du spectacle nous montre à nouveau cette salle où un médecin recouvre le même lit du même drap blanc, mais sans la présence d’un corps. Est-ce l’utopie de la fin de la peine de mort et l’annonce d’« une justice démocratique dans un futur non encore réalisé » ?

Image
©Jean-Louis Fernandez


C’est une distribution homogène et de très grande qualité qui a été réunie.

On citera tout d’abord Ilse Eerens sublime Haitang, courtisane, épouse résignée mais aimante, amoureuse d’un homme qui l’a considérée mais surtout mère se battant avec l’énergie du désespoir pour faire reconnaître ses droits et subissant toutes les infamies. Toutes les facettes du personnage sont incarnées avec une justesse et un engagement qui forcent notre empathie et notre admiration. Si le timbre n’est pas très riche, Ilse Eerens maîtrise néanmoins tous les difficultés liées aux styles divers de l’écriture vocale de son rôle.
Sa rivale Yü-Pei est interprétée avec beaucoup de justesse par Nicola Beller Carbone. Très élégante dans ses tenues noires, elle joue sans caricature une bourgeoise cynique et sans scrupule à laquelle elle prête sa belle voix de soprano.
Avec un timbre sombre, une voix parfaitement projetée et un beau phrasé, Martin Winkler traduit très bien l’évolution de Mr Ma, passant du créancier arrogant et sans scrupule qui croit que tout s’achète à l’homme transfiguré par l’amour qu’il porte à sa femme et sa paternité. Stephan Rügamer fait valoir de beaux moyens en prince Pao et donne beaucoup d’intensité à son duo final. Lauri Vasar souffrant joue sur scène le rôle de Tschang-Ling le frère révolté de Haitang ; il est suppléé pour la partie vocale par Julian Orlishausen, jeune baryton allemand qui impressionne tant vocalement que par l’intelligente composition qu’il fait d’un rôle qu’il a sans doute découvert quelques heures auparavant.

Image
©Jean-Louis Fernandez



Les personnages plus épisodiques montrent le même niveau d’excellence, que ce soit Doris Lamprecht émouvante mère de Haitang venue vendre sa fille, Hedwig Fassbender qui donne beaucoup de relief à la sage-femme, Paul Kaufmann tenancier proxénète, Zachary Altman qui sacrifie son honnêteté à l’amour de Yü-Pei et Stefan Kurt dont la composition du juge corrompu Tschu-Tschu impressionne par la force de sa caricature.
Il faut aussi souligner la prestation des trois artistes de l’Opéra Studio Josefine Göhmann en fille de joie et Luke Sinclair et Alexandre Pradier coolies impayables dans leur scène de faux témoignage lors du procès.

L’ Orchestre de l’Opéra de Lyon est à son meilleur sous la direction de Lothar Koenigs qui sait caractériser et mettre en valeurs les raffinements de l’écriture orchestrale dans toute leur diversité. Il est assurément un rouage essentiel de la réussite de cette production qui marque une étape importante dans la connaissance de l’œuvre de Zemlinsky.


Gérard Ferrand

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Re: Zemlinski - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2017

Message par dge » 26 janv. 2018, 09:25

Je viens de publier mon CR

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Re: Zemlinski - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2017

Message par Adalbéron » 26 janv. 2018, 15:24

Merci pour cet excellent compte-rendu.

Toujours pas de captation vidéo pour ce spectacle lyonnais ?
« Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets his hour upon the stage / And then is heard no more. It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing. »
— Shakespeare, Macbeth

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Re: Zemlinski - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2017

Message par JdeB » 26 janv. 2018, 15:51

on ne met plus de Y à Zemlinsky ?
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
Odb-opéra

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Re: Zemlinski - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2018

Message par JdeB » 26 janv. 2018, 15:57

je rappelle à tous que nous sommes en 2018 depuis quelques jours tout de même. J'ai rectifié le titre du fil
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Zemlinski - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2017

Message par dge » 26 janv. 2018, 16:15

JdeB a écrit :
26 janv. 2018, 15:51
on ne met plus de Y à Zemlinsky ?
Si bien sûr sauf quand la vigilance se relâche tard dans la soirée après pas mal de soucis avec les photos...
Désolé. J'ai rectifié.

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Re: Zemlinski - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2017

Message par dge » 26 janv. 2018, 16:24

Adalbéron a écrit :
26 janv. 2018, 15:24
Merci pour cet excellent compte-rendu.

Toujours pas de captation vidéo pour ce spectacle lyonnais ?
Le programme mentionne seulement une diffusion sur FM.

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Re: Zemlinsky - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2018

Message par Adalbéron » 26 janv. 2018, 16:51

D'accord, c'est dommage...
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Re: Zemlinsky - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2018

Message par thth » 29 janv. 2018, 14:21

petite réponse au très bon compte rendu ci dessus...j'ai moi aussi cru au début de la 2eme partie à l'éxécution de Haitang.....hors à ce moment du récit elle n'est pas encore jugée/condamnée....et elle le sera dans la scène suivante.Ce qui m'a fait remarqué un détail..celle qui reçoit l'injection léthale est blonde et haitang est brune....Alors vision prémonitoire pour sa mère et son frère qui assistent à l'éxécution? je n'ai pas vérifié ce qui est dit de cette scène dans le livret.....

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Re: Zemlinsky - Le cercle de craie - Koenigs / Brunel - Lyon 01-02/ 2018

Message par dge » 29 janv. 2018, 14:33

thth a écrit :
29 janv. 2018, 14:21
petite réponse au très bon compte rendu ci dessus...j'ai moi aussi cru au début de la 2eme partie à l'éxécution de Haitang.....hors à ce moment du récit elle n'est pas encore jugée/condamnée....et elle le sera dans la scène suivante.Ce qui m'a fait remarqué un détail..celle qui reçoit l'injection léthale est blonde et haitang est brune....Alors vision prémonitoire pour sa mère et son frère qui assistent à l'éxécution? je n'ai pas vérifié ce qui est dit de cette scène dans le livret.....
Alors çà devient plus cohérent. La femme qui reçoit l'injection létale est habillée comme Haitang (tenue rouge ) et je n'ai pas fait attention à la couleur des cheveux...( je n'ai pas été le seul :) )
Merci pour cet éclaircissement.
Non cette scène, comme la dernière image qui montre la même salle d'exécution sans condamné(e), n'existent pas dans le livret. C'est un message ( codé / à décoder) du metteur en scène.

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