Haendel - Concert Jaroussky/Ensemble Artaserse - Toulouse - 30/12/17

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jeantoulouse
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Haendel - Concert Jaroussky/Ensemble Artaserse - Toulouse - 30/12/17

Message par jeantoulouse » 01 déc. 2017, 17:39

Concert Les grands Interprètes. Halle aux Grains. Toulouse

A près de 40 ans, Philippe Jaroussky a atteint une maturité musicale que manifestent ses choix d’enregistrement, de programmations (récital, opéra) et évidemment la richesse de ses interprétations. Il n’a plus à prouver sa technique, sa virtuosité, la beauté d’un timbre pur. Il n’est pas – mais il ne l’a jamais été - dans le déploiement baroque et (parfois) vain de la virtuosité. Il s’impose dans une recherche de l’expressivité, de l’émotion des personnages, de la force dramatique des situations, dans la plus précise relation avec la musique des compositeurs qu’il sert. Le concert de ce soir apporte un vibrant témoignage de cette maturité, et à plusieurs niveaux.

D’emblée, l’entrée en scène affirme que le concert sera un concert de l’Ensemble Artaserse qu’il a fondé et du chanteur. Les dix-huit instrumentistes et Philippe Jaroussky forment ensemble le groupe qui ce soir chantera Haendel. Après de brefs saluts collectifs, le chanteur va s’assoir sur une chaise un peu derrière les musiciens, place qu’il adoptera systématiquement quand se font entendre les pièces instrumentales. Humilité, délicatesse, respect, attention, complicité, cette position manifeste tout cela, et davantage encore : la volonté affichée d’être unis au service d’une seule cause, la musique de Haendel.
L’organisation du récital même s’avère singulière au point de troubler un peu le public. Chacune des deux parties du concert se décompose en deux temps : pièces pour orchestre et arias d’opéras s’enchainent sans qu’aucune pause excédant deux secondes ne vienne interrompre le flot mélodique. Ce choix ne va pas sans distorsion parfois (enchainement un peu sec entre l’extrait de Giustino et le Concerto grosso en sol mineur). Mais le plus souvent la fluidité harmonique entre les deux dessine un continuum subtil, pertinent, musicalement heureux : ainsi entre l’air d’Imeneo et le Concerto grosso en la mineur, puis avec l’extrait de Radamisto. Cette plasticité, après un moment de flottement pour l’auditeur, donne une cohérence, joue des correspondances thématiques ou harmoniques, crée un climat d’intimité qu’aucun applaudissement intempestif ne vient hacher.
Le choix des extraits, même si on retrouve douze des airs du CD Haendel tout récent (viewtopic.php?f=4&t=19359) et leur place dans la progression du récital démontrent la parfaite maitrise musicale de Jaroussky qui propose à notre curiosité et à notre admiration des pages rares d’opéras peu fréquentés. On ne saurait ici les mentionner tous. L’extrait de Giustino (le laboureur avide de gloire) qui ouvre la seconde partie convainc sans doute moins. Mais tous les autres s’avèrent admirables. Ainsi le récitatif et air (Bel contento) extraits de Flavio : les répétitions et ornementations sur le « ne piu teme » avec les bondissements du cœur réanimé comme si après la paralysie de la crainte, il se remettait à pulser, à revivre s’opposent en bonne intelligence de contraste baroque à la plage de sérénité étirée de « la placida calma ». La scène de la prison de Siroé n’est traitée de façon expressionniste ni par les instrumentistes qui savent toutefois marteler une sorte de marche funèbre, ni par le chanteur qui exprime l’abandon, la déréliction même, avec une pudeur poignante : l’âme semble ployer devant l’injustice du sort, la cruauté du destin. Et combien l’élégie extraite de l’operetta Imeneo, avec ses enjambements mélodiques, ses allitérations liquides et sifflantes voulues par Métastase, plus grand poète qu’on ne dit trop souvent, convient à la voix tendre, harmonieuse de Jaroussky ! Le public sous le charme reste suspendu à ses lèvres. On retrouvera la même suspension du temps (et des toux) dans l’écoute de l’Ombra cara de Radamisto, extatique, dans un Stile amara de Tolomeo déchirant, ou dans le célébrissime Ombra mai fu de Serse offert en troisième bis. Quoi ? Pas de furie , d’emportement, de virtuosité échevelée dans ce récital ? Qu’on se rassure ! Le Récitatif plein de flamme et d’ardeur guerrière et l’aria (Vile ! Se mi dai vita) de Radmisto offrent à l’interprète l’occasion de déployer tout son art de jeter les mots (sprezzera, les anaphores ) , d’impulser un élan, d’exprimer avec fougue le mépris du personnage pour son adversaire défié. De même le Rompo i lacci extrait de Flavio fait entendre un feu d’artifice vocal de haine qui culmine à la reprise avec un étincelant "Come o Dio viver potro". Triomphe assuré que prolongent les bis, dont un extrait splendide d’ Amadigi di Gaula, et un désopilant extrait de Serse dont Jaroussky résume plaisamment le texte : « Je la veux et je l’aurai ». Dans cet air, le jeu avec l’orchestre se fait émulation cocasse et témoigne de l’harmonie qui règne entre les musiciens prenant plaisir à s’applaudir mutuellement.
Comment ne pas parler de l’ensemble Artaserse ? Louons la précision des attaques des cordes, l’impétuosité de leur rythme, la tendresse et la virtuosité des hautbois et du basson, la caresse du clavecin, les couleurs chaudes, l’ardeur joyeuse de tous, l’engagement heureux de chacun.
Un splendide concert par un chanteur au zénith de ses moyens et un orchestre à l’avenant.

Jean Jordy

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