Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

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Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par Adalbéron » 30 nov. 2017, 17:19

Manfred - Robert Schumann

David Niemann direction musicale
Sandra Pocceschi conception scénique
Giacomo Strada conception scénique

Julien Testard Manfred

Noëlle Gény chef de chœur
Chœur Opéra national Montpellier Occitanie
Orchestre national Montpellier Occitanie
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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par Adalbéron » 06 déc. 2017, 18:34

« Il faudra annoncer Manfred au public, non comme un opéra, un singspiel ou un mélodrame, mais comme un ‘’poème dramatique avec musique’’. Ce sera quelque chose de totalement inouï et nouveau ». C’est ainsi que Robert Schumann s’adresse à Franz Liszt au sujet de Manfred dans une lettre datée du 5 novembre 1851. Et en effet, quelle œuvre étrange que ce Manfred, insaisissable, déroutante, radicalement atypique ! Schumann est bien le compositeur d’un opéra, Genoneva (1847-1850), mais c’est un genre dont les codes l’exaspérait : « Le style habituel des textes d’opéra me répugne, je ne sais pas trouver de musique qui aille avec ces longues tirades, et je ne les aime pas » avait-il ainsi écrit à son librettiste. Le texte de Manfred n’est pas un livret fait pour l’opéra, c’est un dramatic poem (un poème dramatique qui n’est pas destiné à être mis en scène) de Lord Byron écrit entre 1816 et 1817 (Schumann y a tout de même fait quelques coupures). Résumer ce poème et l’action (si tant est qu’il y en ait une) de l’œuvre de Byron et de Schumann n’est pas chose aisée, tant l’ensemble du texte semble centré sur l’expression par le langage d’une âme tourmentée : nous avons ici affaire à du théâtre mental. Il y a bien sûr un décor (les montagnes alpines), l’invocation des quatre éléments, la tentative de suicide de Manfred et l’entrée en scène du chasseur qui arrête son geste, l’apparition d’Astarté — la femme aimée, qui semble être à l’origine des tourments de Manfred —, et puis la mort du héros ayant trouvé un semblant de paix ; mais c’est bien avant tout la parole passionnée du héros qui est le centre et le moteur de l’œuvre. Schumann a choisi de faire de Manfred un rôle parlé : ainsi, c’est un comédien qui dit les vers de Byron, tandis que les figures fantasmagoriques qu’il invoque chantent. L’œuvre est introduite par une ouverture orchestrale et le texte est par endroit entrecoupé, augmenté, par des morceaux musicaux (comme à la fin d’une tirade de Manfred : le cor anglais entame un ranz des vaches), tandis qu’à d’autres moments la musique dialogue avec les vers : ainsi se succèdent également pour Manfred les passages en déclamation libre et d’autres où la déclamation est mesurée. Il faut aussi signaler que le choix ici a été fait d'une traduction française pour le texte de Manfred, mais que les parties chantées le sont en allemand, et que certains passages du poème de Byron sont déclamés dans leur langue originelle. Voyageant d’un mode d’expression à l’autre, jamais l’oreille de l’auditeur n’aura le sentiment d’une homogénéité : est-ce le défaut ou la qualité de l’œuvre ? Ce serait oublier que le chaos est une notion essentielle de la pensée romantique, que c’est dans l’informe, ici porté à son ultime degré d’artificialité, que jaillit l’expression des affects et la représentation sans doute la plus vraie du vertige de l'homme face au réel. Cet éclatement des formes anticipe d’ailleurs avec une grande force les recherches d’un Richard Strauss ou plus encore d’un Arnold Schönberg au XXe siècle.

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(© Marc Ginot)

La « conception scénique » de Sandra Pocceschi et Giacomo Strada ne cherche pas à résoudre les tensions à l’œuvre dans le « poème dramatique avec musique » de Schumann. La scénographie s’organise autour d’un grand cube en tulle blanc, épicentre dramatique autour duquel gravite Manfred et qui dans son développement accompagne le cheminement du héros. Le cube est lui-même circonscrit par les membres du choeur assis en cercle, présences inquiétantes. Le cube est tantôt opaque, tantôt support de projections vidéos oniriques se rapportant à la nature et à la présence d’Astarté, tantôt éclairé de l’intérieur : Manfred y entre, en sort, y ré-entre. Puis le cube éclate et devient une forme de cocon qui enserre le héros, jusqu’à ce que les six faces du cube ne s’écrasent sur le sol pour former une croix alors que le chœur chante le Requiem pour la mort de Manfred. Si le ton de Manfred ne varie pas au tout long de l’œuvre, son apparence physique évolue : il devient, enfilant une tête de chèvre sur la tête et se dévêtissant, une créature protéiforme traquée par le chasseur. Manfred ensuite se rhabille, mais enfile ses vêtements à l’envers ou dans un mauvais ordre. Il apparaît alors comme une sorte d’enfant ou de vieillard impotent ou fou. Toutes ces métamorphoses rendent le personnage encore plus insaisissable, témoignant visuellement du désordre musical de l’œuvre, mais permettent également au spectateur d’observer une distance face à un discours sur soi très réfléchi, de voir Manfred aussi comme un acteur organisant sa propre déchéance, ou bien au contraire dépossédé de toute volonté, incarnation d’une pure parole non-adressée. Enfin, agonisant, Manfred enfile la robe d’Astarté, comme s’il se réconciliait, se fondait dans le souvenir de celle qu’il avait aimé. Il est vrai que l’on est souvent dérouté, que l’on s’ennuie parfois, mais demeurent des impressions fortes, associant l’auditif et le visuel, comme cette scène où Manfred entoure une Astarté uniquement visible dans les reflets des trois pans du cube qui forme alors autour de lui un petit espace, subterfuge obtenu grâce aux projections vidéos.
Il semble que le duo de metteurs en scène ait réussi à « mettre en informe » sur scène cette partition d’après un poème écrit par Byron « avec une véritable horreur du théâtre et afin de le rendre injouable ».

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(© Marc Ginot)

Comme il est difficile de séparer musique et représentation visuelle pour rapporter l’impression que cette œuvre procure ! L’acteur-récitant Julien Testard est un Manfred qui sait tantôt attirer l’empathie des spectateurs, tantôt se rendre antipathique. On ne saurait lui reprocher le caractère un peu trop artificiel de la récitation du texte, tant cela semble absolument volontaire. Le chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie assure toutes les parties chantées : des solistes, on retiendra surtout Christine Craipeau, mezzo à la voix riche en harmoniques et puissante en Génie des airs, et le baryton Laurent Sérou en Voix, à la diction admirable et au timbre très séduisant. Les parties chorales sont très bien rendues et tous les chanteurs semblent soucieux de donner à cette musique une vive dynamique expressive.
David Niemann, chef d’orchestre assistant de l’Opéra Montpellier Occitanie, connaît bien l’œuvre pour avoir été l’assistant d’Emmanuel Krivine lors de la production de Manfred de l’Opéra-Comique en 2013. Il dirige avec fougue l’Ouverture et parvient ensuite plus ou moins heureusement à articuler les parties parlées et les parties musicales. Il rend avec une grande finesse l’impression d’évanouissement sonore progressif que Schumann a voulu rendre dans la fin de l’œuvre. L’Orchestre national Montpellier Occitanie révèle avec efficacité les alliances de timbres et les atmosphères que crée la partition, mais on regrette certaines imprécisions ou quelques défauts de justesse, non rédhibitoires cependant.

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On s’étonne au passage d’avoir vu la salle à peine à demi remplie. Peut-être était-ce dû au fait qu’avait lieu le même soir dans tout Montpellier l’événement « Cœur de ville en lumière » (il s’agissait de sons et lumières répartis dans tout le centre historique, et cet événement-là ne manquait pas de public…) ? On ne peut pourtant que féliciter l'Opéra Montpellier Occitanie d'avoir oser monter cette oeuvre quasiment injouable, mais pourtant si stimulante !

Clément Mariage
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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par Il prezzo » 07 déc. 2017, 00:33

Merci pour ce beau et pédagogique récit, plus concis que les textes du programme de l’opéra de Montpellier (mais on ne va pas se plaindre de l’excès de littérature proposé pour le même prix que les indigents livrets du TCE).

Nous avions emmené à cette œuvre étrange, deux cousins plus amateurs de théâtre que d’opéra, et je crois pouvoir dire qu’ils passèrent un meilleur moment que moi. Les réalisateurs de cette production ont certes réussi à monter « l’immontable », mais pas à gommer les lacunes de tension et ruptures de rythme qui en rendent l’audition parfois ennuyeuse.

Passée la surprise d’entendre « en situation » cette ouverture si souvent donnée en début de concert symphonique, on guette, quand on est plus tourné vers le lyrique que vers le théâtre, les rares moments d’émotion musicale de ce Manfred. Ils démarrèrent à mon sens, samedi soir, lors de « l’ouverture » du cube, vers la fin de l’acte 2, pour l’évocation d’Astarté (« Laisse-moi entendre ta voix… parle-moi… ») qui, ponctuée d’un sublime passage des cordes, vous faisait enfin frissonner pour la 1ère fois. Ensuite, l’émotion ne faiblissait pas jusqu’à la fin, « l’adieu au soleil », déclamé sur un magnifique fond de garrigue et de ciel méditerranéen (loin de l’environnement alpestre du héros de Byron), projeté sur les faces du cube blanc entièrement déployées, ambiance raccord avec l’esthétique douce des peintres du Languedoc. La nuit étoilée tombait ensuite très doucement, insensiblement, sur ce versant, et on vivait alors une vraie magie scénographique.

Mais décidément trop peu de musique, trop de silences, et la logorrhée du héros romantique me laissait assez peu concerné. Je ne pouvais m’empêcher de penser, comparativement, à l’émotion incroyable que l’on ressent à l’écoute de la « nature immense » chantée par le Faust de Berlioz :D

De plus, j’ai trouvé le peu de chant, contrairement à ce que je viens de lire ci-dessus, parfaitement massacré par la mezzo, l’orchestre donnant, lui, une impression, de « petit son » (effet de fosse ou d’effectif ?).

Soirée en demi-teinte donc, mais, encore une fois, à l’écoute d’une œuvre voulue (délibérément ?) déroutante par son auteur.
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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par JdeB » 07 déc. 2017, 10:36

Adalbéron a écrit :
06 déc. 2017, 18:34
On s’étonne au passage d’avoir vu la salle à peine à demi remplie. Peut-être était-ce dû au fait qu’avait lieu le même soir dans tout Montpellier l’événement « Cœur de ville en lumière » (il s’agissait de sons et lumières répartis dans tout le centre historique, et cet événement-là ne manquait pas de public…) ?

Clément Mariage
Mais cela ne peut étonner les habitués de l'Opéra de Montpellier qui a perdu beaucoup de son public...Enfin, Valérie Chevalier, mise sous pression par son principal bailleur de fonds, la Région Occitanie, a infléchi sensiblement sa politique et programmé des tubes cette saison ce qui va sans doute faire revenir du monde (Carmen, Nabucco, Chauve-Souris)

Je crois que bon nombre de ceux qui ont vu en mars dernier la mise au théâtre du Stabat Mater de Dvorak par ce même duo de metteurs en scène ont préféré s'abstenir (c'est d'ailleurs pour cela que je n'ai pas fait le voyage et que je t'ai confié cette mission)

il aurait été bien de préciser que Sandra Pocceschi a été l’assistante de Romeo Castellucci tant l'influence de son mentor est forte dans son travail
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par Il prezzo » 07 déc. 2017, 11:46

JdeB a écrit :
07 déc. 2017, 10:36
(c'est d'ailleurs pour cela que je n'ai pas fait le voyage et que je t'ai confié cette mission)
Et moi qui me réjouissais de faire la connaissance du "montpelliérain" Adal... :roll:
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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par JdeB » 07 déc. 2017, 11:53

Il prezzo a écrit :
07 déc. 2017, 11:46
JdeB a écrit :
07 déc. 2017, 10:36
(c'est d'ailleurs pour cela que je n'ai pas fait le voyage et que je t'ai confié cette mission)
Et moi qui me réjouissais de faire la connaissance du "montpelliérain" Adal... :roll:
S'il est sage je l'inviterai peut-être à nouveau au Festival de Montpellier...qui sait ?

La suite de la saison de Montpellier sera couverte par JPB30 qui vit à Avignon et par moi (Peer Gynt et Nabucco)...Désolé :wink:
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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par Piero1809 » 07 déc. 2017, 17:08

Merci beaucoup pour vos deux compte rendus d'une oeuvre que je ne connais pas mis à part évidemment l'ouverture, un morceau que je trouve génial!

De toutes manières, le Schumann des années postérieures à 1850 est déroutant: la 3ème sonate pour piano et violon, le concerto pour violon, le trio pour clarinette, alto et piano, la première partie de Faust, les Chants de l'aube etc..., les phrases musicales sont courtes, hachées, le discours morcelé, les redites si nombreuses qu'on a l'impression que le compositeur tourne en rond. Mais toutes ces oeuvres sont bouleversantes. C'est pourquoi je suis très curieux de découvrir ce Manfred!

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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par fomalhaut » 07 déc. 2017, 19:17

Assez dérouté par cette cette volonté de mettre le scène le "Manfred" de Schumann.
A mon sens, c'est une œuvre qui s'écoute. Ce n'est pas un opéra, ce n'est pas un oratorio.

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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par JdeB » 08 déc. 2017, 09:16

fomalhaut a écrit :
07 déc. 2017, 19:17
Assez dérouté par cette cette volonté de mettre le scène le "Manfred" de Schumann.
A mon sens, c'est une œuvre qui s'écoute. Ce n'est pas un opéra, ce n'est pas un oratorio.

fomalhaut
Pas plus pas moins que le Stabat Mater de Dvorak qui lui non plus ne se prêtait pas à une mise en scène qui d’ailleurs détournait l'attention de cette musique sublime.
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Re: Schumann - Manfred - Niemann/Pocceschi&Strada - 11-12/17 - Montpellier

Message par Bernard C » 09 déc. 2017, 23:17

Merci Adal pour la critique et il Prezzo pour ces impressions.
J'adore Manfred que j'avais vu avec enthousiasme à Paris en 2013:

http://odb-opera.com/viewtopic.php?p=216180#p216180

On s'en fiche que le théâtre se vide. J'avais écrit : " les spectateurs n'ont qu'à apprendre le texte avant de venir au spectacle" .

On s'en fiche de la Mezzo.
Manfred est ailleurs.

Quelle chance vous avez eu de pouvoir assister ( ou revoir) cette œuvre.
Vive le romantisme !

Bernard
Sunt lacrymae rerum et mentem mortalia tangunt Énéide I v

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